Saint-Adalbert, patron de l'Europe centrale
L'Europe centrale a un Saint-Patron et il est tchèque. Cela n'est sans doute pas le moindre des paradoxes pour le pays le plus athée du groupe de Visegrad, parmi lesquels la Pologne et la Hongrie. Retour sur l'épopée de Saint-Adalbert, dont l'importance n'est que trop souvent oubliée...
"Sacré Charlemagne". La célèbre rengaine, chantée par les têtes blondes de l'Hexagone, porte bien son titre. C'est en effet sous le règne du très sacré Empereur que se constitue l'Occident chrétien. En 797, au terme d'une guerre de trente ans, la Saxe païenne est à son tour convertie. Nouvelle frontière de la Chrétienté à l'Est, la Saxe ouvre le chemin vers le monde slave.
Dans cette région, l'initiative de la christianisation revient, non pas à Charlemagne, mais à Byzance, au IXème siècle. Et ce sont la Bohême et la Moravie qui font figure de terre d'essai. Il est donc presque naturel que ce soit un Tchèque, Vojtech, qui prenne le relais de la christianisation sur les marches orientales de l'Empire franc. Après sa mort, il deviendra le Saint-Patron de l'Europe centrale et sera vénéré aussi bien en Bohême, qu'en Pologne et en Hongrie.
Né aux alentours de 956, Vojtech appartient à la grande famille des Slavnikides, rivale de la dynastie des Premyslides. Libice, leur capitale, se trouvait en Bohême de l'Est. Sa famille étant liée à l'archevêque de Magdebourg, il y étudie dix ans, sous la tutelle d'Adalbert. C'est à la mort du maître que Vojtech prend son nom, dans une forme d'hommage. En 982, le roi de Bohême Boleslav II, soutient la candidature d'Adalbert à la tête de l'évêché de Prague, une charge qu'il semble accepter à contre-coeur. Sa mission est d'unir le diocèse de Prague à celui de la Grande Moravie mais son regard se pose bien vite au-delà des frontières du royaume : il se lie avec Mieszko Ier, roi de Pologne, séjourne à plusieurs reprises en Italie et part christianiser la Hongrie à la demande du pape. Dès 977 - il a environ 20 ans - mûrit en lui l'idée de convertir la Prusse païenne, soit toute la région de la côte baltique courant sur la Pologne et une partie de la Lituanie.
C'est peut-être le drame qu'il vivra en 995 qui le décidera à partir. En cette funeste année, les troupes du roi Boleslav II, qui assiègent Libice, massacrent la totalité de la dynastie Slavnikide. Absent du pays, Adalbert échappe au carnage. Sans doute plus résolu que jamais, il se lance à la conquête spirituelle des tribus de la Baltique.Il faut sans doute saluer, avant même la qualité spirituelle de l'homme, l'exploit physique et le courage de l'entreprise. Car environ 700 km à parcourir à cheval dans un environnement hostile, ce n'est pas rien ! Précisons qu'il n'est pas totalement seul : Boleslav le Vaillant, futur roi de Pologne, lui fournit un contingent de soldats pour l'escorter jusqu'à Gdansk - Dantzig en allemand.
Des missions de christianisation au Moyen-Age, les textes ont évoqué l'abattage des arbres sacrés, adorés par les tribus païennes. Ce faisant, les missionnaires espéraient gagner à leur cause quelques âmes "idolâtres". Censés détenir une force magique, ces arbres ne pouvaient être abattus que par des êtres d'une puissance supérieure. Ce genre de ruse n'était apparemment pas fait pour fonctionner à très long terme : à l'instar des Francs en Saxe, Adalbert devra faire face à de nombreuses résistances. En 997, il est décapité près de Truso - aujourd'hui Elblag - sa tête tournée vers son pays d'origine.
D'après les sources médiévales, son corps aurait été racheté par Boleslav le Vaillant pour un poids d'or identique à celui du défunt. Quelques années plus tard, Adalbert prend l'auréole, il est canonisé.
Au-delà de l'aventure, Adalbert a surtout fait de la Bohême un pôle majeur de la Chrétienté occidentale. Mais les voisins polonais ont également de quoi honorer la mémoire du saint. C'est en effet ce dernier qui donnera à Boleslav le Vaillant, roi de Pologne en 1025, la légitimité nécessaire pour asseoir la position du royaume dans l'Europe médiévale. Significative est aussi l'influence exercée par le Saint sur l'Empereur germanique Otto III dans sa décision de s'appuyer sur les nations slaves pour renforcer l'Empire.
On ne sera donc pas étonné que Saint-Adalbert reste longtemps l'épicentre d'enjeux culturels et nationaux. A sa mort, ses os, véritables reliques, restent un temps à Gniezno, à environ 50 km au nord de Poznan. En 1037, le duc de Bohême Bretislav Ier, les ramène à Prague. Mais selon d'autres versions, il ne prit avec lui qu'une partie des os, laissant l'autre partie en Pologne. Aujourd'hui encore, Adalbert est resté un symbole fort de la construction nationale dans les deux pays. Son originalité est sans doute d'être plus partagé que disputé. Le saint a non seulement deux tombes, mais également deux crânes, l'un à Prague et l'autre à Gniezno ! Ce dernier fut d'ailleurs volé en 1923.
Parmi les traces du passage du saint tchèque, il est encore possible d'admirer la magnifique porte en bronze sculptée de la cathédrale de Gniezno. Réalisée au XIIème siècle, elle illustre en 18 scènes l'aventure du martyr. Véritable épopée, la vie d'Adalbert est d'abord l'histoire d'une christianisation interne à l'Europe centrale. Par là, elle raconte aussi la naissance d'une identité commune.