« La figure de saint Venceslas n’a jamais été contestée, même par les anticatholiques »
Pour parler de saint Venceslas (svatý Václav en tchèque), de sa légende, du symbole religieux et historique qu’il représente, mais aussi de son importance ou non dans l’imaginaire des jeunes Tchèques, catholiques notamment, à l’heure actuelle, rencontre aujourd’hui avec frère Ludvík Grundman, de l’ordre des Dominicains. Radio Prague a commencé par lui demander s’il se souvenait de ce que saint Venceslas représentait pour lui enfant…
En tchèque, on a tendance à contracter le prénom, à trouver un diminutif. Pour Václav, c’est Vašek, et pourtant personne ne parle saint Venceslas en disant « Vašek »…
« Non… alors même qu’on dit parfois ‘Vašek’ pour les présidents ! Mais on ne dit jamais saint Vašek ! (rires) »
Saint Venceslas, c’est beaucoup de choses. Pour quelqu’un qui arrive à Prague, c’est déjà un point de repère, une place centrale. Souvent les héros ou les grands personnages de l’histoire d’un pays ont des endroits attitrés, importants dans une ville. C’est donc déjà une place symbolique au niveau de l’urbanisme. Et puis saint Venceslas est un symbole religieux et politique…« Cela s’explique par le fait que c’était surtout un culte populaire qui a perduré pendant de longs siècles. Les Tchèques vénéraient saint Venceslas et c’est finalement cela qui a poussé Rome à le reconnaître comme saint, de faire un procès en canonisation en bonne et due forme, même si ça a été fait très tardivement. »
Il a fallu attendre le XVIIe siècle…
« Exactement. Alors qu’il était vénéré par la population depuis sa mort. Son importance pour la nation a été reconnue beaucoup plus tôt qu’il n’a été canonisé. D’ailleurs c’est le seul saint tchèque à être dans le calendrier romain. »Ce culte est venu de la culture populaire mais il a été repris par des personnages importants de l’histoire tchèque. Je pense à l’empereur Charles IV par exemple dont on sait qu’il vouait un culte aux saints de manière générale et à saint Venceslas particulièrement. Ce n’est donc pas uniquement le petit peuple qui adore le saint au Moyen Age…
« Vous avez raison. Il faut savoir qu’il y a d’abord eu la dynastie des Přemyslides qui se sont tous revendiqués de saint Venceslas. D’ailleurs plusieurs rois de Bohême portent son nom. En même temps, pour Charles IV, il faut savoir que c’était un homme très cultivé qui avait un immense projet de restauration culturelle en Bohême. Il a repris tous les grands personnages de l’histoire tchèque pour les mettre en valeur. C’est d’ailleurs aussi vrai pour saints Cyrille et Méthode : il a fondé un monastère qui devait célébrer la liturgie de saints Cyrille et Méthode alors qu’elle avait été abandonnée depuis des siècles. C’était quelqu’un qui avait un projet très réfléchi, donc c’est très particulier parmi les rois de Bohême : on voit quelqu’un qui a consciemment repensé et repris certains éléments historiques, dont le culte de saint Venceslas. »
On pourrait se demander quand même comment ce culte est né à l’origine. Parce que saint Venceslas est certes un personnage historique, mais on ne sait pas énormément de choses sur lui. On ne connaît même pas exactement sa date de naissance ni sa date de décès. Les sources sont assez peu fournies. Comment expliquez-vous la naissance spontanée du culte ?
« En effet, c’est un peu compliqué au niveau des sources historiques. Aujourd’hui on aurait du mal à faire un procès en canonisation avec si peu de sources historiques à disposition. En même temps, je trouve très beau que la piété populaire précède les démarches officielles. Et puis cette ferveur était tellement forte qu’elle a réussit à perdurer pendant tous ces siècles : c’est cela qui a forcé l’Eglise à l’officialiser. Je crois que nous sommes en face de quelque chose de très naturel, très spontané. Il est difficile de comprendre pourquoi nos ancêtres si lointains ont été tellement touchés et émus par la vie de saint Venceslas, mais ce qui est arrivé jusqu’à nous, c’est cette dévotion perpétuée. Il y a d’autres saints tchèques qui, à certaines périodes, ont été un peu contestés comme saint Jean Népomucène. Mais pour saint Venceslas, il n’existe aucune tradition de contestation, même de la part des anticatholiques. »Puisque l’on parle de cette foi populaire, en Angleterre, il y a un chant de Noël qui dit « Good King Wenceslas went home on the Feast of Stephen ». C’est une des chansons de Noël les plus connues par les petits Britanniques. Pensez-vous que c’est là aussi le résultat de cette piété populaire ?
« Je dirais que pendant le Moyen Age les rois et les reines se mariaient un peu partout en Europe. D’ailleurs une des filles de Charles IV a été reine d’Angleterre. Je me demande si ce n’est pas par ce biais-là par exemple que c’est arrivé à la cour d’Angleterre. Et puis, l’imaginaire populaire était assez facilement interchangeable : il existait différentes nations qui toutes avaient leur propre piété populaire pour leur roi fondateur, mais ensuite, il était facile de remplacer un nom par un autre. »
Saint Venceslas, c’est évidemment le patron des Tchèques, mais aussi de certaines corporations, comme par exemple les brasseurs. Immédiatement on se dit : les Tchèques et la bière, forcément, saint Venceslas ne peut être que le patron des brasseurs !
« Oui, et puis il est aussi patron de la ville dont je suis originaire, Choceň. Mais ce n’est pas difficile de trouver beaucoup d’associations et corporations dont il est le patron. Il est tellement populaire que chacun veut l’avoir pour soi. »
Je le disais tout à l’heure, c’est un symbole historique. La place Venceslas par exemple est au cœur de la ville de Prague, c’est là où se sont déroulées des manifestations en 1968, en 1989 mais aussi en 1939. 1918 aussi, c’est là qu’est annoncée la création de l’Etat tchécoslovaque. Saint Venceslas est toutefois un peu concurrencé par Jan Hus, sur la place de la Vieille-Ville. Aujourd’hui, on dit souvent que la République tchèque est le pays le plus athée d’Europe. Mais quand il se passe quelque chose, c’est toujours sous la statue de saint Venceslas que les gens vont manifester. Quelle est le message ou la portée de ce symbole pour les Tchèques ?
« Il faut quand même préciser que la place Venceslas s’y prête par sa taille. Et puis il y a le Musée national avec notre petit Panthéon. La statue de saint Venceslas date du XIXe siècle, une époque où la religion était forcément impliquée d’une manière ou d’une autre. Force est de constater que cela a pris une importance symbolique très vite et très tôt. Maintenant, c’est plutôt une réminiscence des choses qui s’y sont déroulées plutôt que directement saint Venceslas. Le lieu est aujourd’hui tellement chargé d’histoire que le nom de saint Venceslas est moins présent dans les têtes de ceux qui vont manifester. »Pensez-vous que saint Venceslas a une place dans l’imaginaire de la jeune génération ou que pour eux c’est juste un jour férié ?
« C’est difficile à dire. Mon petit frère par exemple s’appelle Václav, il a maintenant douze ans et je ne pense pas qu’il soit particulièrement attaché à saint Venceslas. »
Et pour les jeunes croyants, qui entrent dans l’âge adulte et qui ont une vingtaine d’années ?
« Je dirais que pour les jeunes catholiques, celui qui est plus intéressant, c’est saint Vojtěch (saint Adalbert, ndlr). En République tchèque, au moment de la confirmation, le jeune catholique choisit un patron. Souvent, les jeunes que j’ai rencontrés choisissaient saint Vojtěch. Je crois que c’est parce que son image et sa vie sont beaucoup moins populaires et légendaires. Même s’il est de la même époque que saint Venceslas, sa vie est bien mieux documentée. On voit un personnage réel qui se dessine et qui nous parle, alors que saint Venceslas reste quand même recouvert de ce voile légendaire, dans le sens où on a difficilement accès au personnage réel. Dans sa vie, on trouve difficilement des exemples à suivre, alors que saint Vojtěch était d’une dynastie concurrente des Přemyslides. Les Přemyslides ont assassiné toute la famille de saint Vojtěch et toute sa vie est une aventure incroyable. »Il est donc susceptible de toucher les jeunes gens. C’est donc finalement l’avantage et le désavantage de saint Venceslas, c’est à la fois le plus connu mais aussi le plus intouchable.
« Et puis c’est paradoxal puisqu’on a là un personnage fondateur d’un saint duc et à côté un personnage fondateur d’un saint évêque, tous deux issus de dynasties concurrentes. Et pourtant même pour les gens qui ne veulent pas devenir prêtre, c’est l’évêque dont ils se sentent proches et non pas du duc. Enfin, il faut signaler qu’il existe un chant consacré à saint Venceslas, ‘Svatý Václave’. C’est un chant national très important. Quand Benoît XVI est venu, les gens qui assistaient à la messe le jour de la saint Venceslas m’ont dit qu’au moment où on a entonné ce chant, tout le monde chantait, alors que c’était une messe pour les jeunes. Cela montre qu’il est quand même important pour les jeunes. A travers ces chants, il les touche, je crois. »