« Savez-vous qui fait le ménage chez vous ?» : interpeller sur le travail domestique et illégal des femmes immigrées en République tchèque
« Savez-vous qui fait le ménage chez vous ?». C'est la question que pose l'association pour l'intégration et les migrations qui a lancé une campagne pour sensibiliser le public sur le statut des femmes immigrées en République tchèque, lesquelles sont très souvent obligées d'exercer des travaux domestiques sous-qualifiés par rapport à leurs qualifications réelles.
« Nous avons lancé cette campagne le 8 mars dernier, justement pour la symbolique de la journée internationale de la femme pour inciter la société tchèque à respecter les droits des travailleurs domestiques qui sont des femmes immigrées et pour informer les femmes immigrées elles-mêmes de leurs droits et obligations de travail dans les familles tchèques.
D'après notre expérience acquise au sein du conseil direct aux étrangères, on a pu se rendre compte que les femmes qui travaillent dans les familles sont très isolées et qu’elles manquent d'information. Elles ne connaissent pas leurs droits ni leurs obligations et ce qui conduit à l'irrégularité de leur séjour, ou du moins de leur travail. Ce qui peut entraîner par ailleurs des conséquences très sérieuses. La campagne consiste en deux parties. La première partie est orientée vers le public, avec cette vidéo lancée sur internet et dans certains médias. Elle interpelle les familles pour que ces femmes soient traitées avec dignité et respect. Elle vise aussi à inciter une réflexion sur la situation de ces femmes immigrées. L'autre partie de la campagne est dirigée sur ces femmes immigrées qui travaillent dans les familles. Il y a ainsi une autre vidéo qui est diffusée uniquement dans les institutions où les femmes cherchent des conseils et de l'assistance, comme par exemple le Bureau du travail, les départements de résidence du ministère de l'Intérieur ou d'autres associations où elles peuvent chercher de l'aide. »
« Je ne peux pas vraiment généraliser mais d'après notre expérience et d'après les réactions du public tchèque sur la vidéo, on peut constater que les Tchèques méprisent souvent les immigrés, surtout les immigrés de l'Est. Nous avons plus de préjugés sur les émigrés de l'Est, cela vient de notre histoire, tandis qu'on apprécie davantage les émigrés ou les « expats » venant de l'Ouest ou des Etats-Unis. C’est lié à notre histoire. Malheureusement, les préjugés sont très fréquents.
Le travail domestique est un très bon exemple de déclassement social. On considère cela comme une trajectoire migratoire très typique, surtout pour les femmes. Quand elles viennent en République tchèque, c'est souvent ce travail domestique qu'elles trouvent parce que c'est la voie la plus facile pour gagner de l'argent sans contrat et c'est aussi très bénéfique pour les employeurs. On trouve donc souvent des femmes disposant d’une éducation universitaire ou supérieure et qui travaillent dans des familles. A cause de la barrière linguistique elles y restent souvent très longtemps.
Par exemple, en regardant les réactions à cette vidéo, on a vu des gens se demander pourquoi ces femmes, en tant que professeur, n'ont pas appris la langue, ou ils se demandent pour quelles raisons elles se plaignent et se disent qu'elles peuvent retourner dans leur pays. On voit avant tout la dimension économique : elles gagnent assez d'argent, puisque le taux horaire moyen est à peu près de cent couronnes, ce qui peut faire jusqu'à 20 000 couronnes net par mois quand il s'agit d'un travail à plein temps et sans contrat. Mais d’un autre côté, on ne sait pas que ces femmes n'ont pas d'assurance maladie, quand elles tombent malades ou enceintes. Elles peuvent, en outre, se retrouver à la porte du jour au lendemain et sont donc dans une grande insécurité. Elles peuvent même être renvoyées si elles se font attraper par les autorités d'immigration. Donc, c'est tout cela qu'il faut voir derrière l'emploi illégal et le travail domestique des femmes immigrées en République tchèque. »
Quelles sont les femmes concernées ? Vous avez parlé de femmes issues du l'ancien bloc soviétique. Y a-t-il d'autres nationalités ?
« La vidéo montre une femme ukrainienne parce qu'il s'agit du groupe qui est le plus présent dans le travail à domicile, mais il y a bien sûr des travailleuses domestiques d'autres nationalités. Il y a maintenant un nouveau phénomène avec des femmes des Philippines ou de Thaïlande, et bien sûr, des Vietnamiennes. »Y a t-il de plus en plus de femmes qui viennent vous voir avec cette deuxième partie de la campagne qui appelle les femmes à témoigner et faire appel à vous pour des conseils ?
« La deuxième phase de cette campagne vient tout juste de commencer, depuis la deuxième partie du mois d'avril. Mais nous avons déjà eu des réactions et il y a des femmes qui viennent. Le message passe beaucoup par le bouche à oreilles entre les femmes donc on espère que ça va marcher. Nous avons eu de très bonnes réactions de la part du Bureau du travail qui ont apprécié nos fiches d'information, donc potentiellement, nous allons avoir de plus en plus de témoignages. Ce qui est très important pour nous, c'est qu'à partir du mois de juillet, notre association lancera avec un institut de recherches la première recherche sociologique et économique sur le domaine du travail domestique des immigrés en République tchèque. Ce phénomène est très peu connu. Il n'y a pas d'informations élaborées, surtout, il n'y a pas de statistiques, ce qui intéresse autant les médias que les autorités d'immigration. Dans la perspective de faire valoir des changements systématiques dans la législation, cette recherche est aussi très importante. »
Rediffusion du 11/05/2012