Sommet UE-Turquie : un accord nécessaire mais qui ne règle pas la crise migratoire
Vendredi soir, à Bruxelles, les Vingt-Huit ont signé un accord avec la Turquie, engageant Ankara à reprendre tous les migrants arrivant en Grèce. Depuis dimanche ainsi, tous les « nouveaux migrants irréguliers » arrivant en Grèce pourront être refoulés vers la Turquie s’ils n’obtiennent pas l’asile. Un accord qui était soutenu côté tchèque, à tout le moins par le Premier ministre Bohuslav Sobotka.
« Ce qu’on appelle ici accord entre la Turquie et l’UE, en Turquie, on l’appelle simplement accord turc. Là-bas, ça a été vendu comme un plan de la Turquie. Cela sape totalement l’image de l’Union européenne comme une organisation basée sur des valeurs, car elle est très généreuse vis-à-vis de la Turquie à un moment où la Turquie réprime de manière systématique les libertés et droits fondamentaux. Mais pire que cela peut-être, cela sape certains aspects législatifs de l’Union européenne en termes de politique migratoire et d’asile. Ces aspects sont violés avec le principe du mécanisme ‘Syrien contre Syrien’, avec d’un côté des réfugiés de Grèce retournant en Turquie, et de l’autre un réfugié syrien de Turquie prenant la direction de l’UE. L’Union européenne emprunte là un chemin particulièrement dangereux. »
En effet, l’accord entérine le principe des retours vers la Turquie de tous les « migrants irréguliers » qui arrivent depuis le 20 mars en Grèce. Les demandes d'asile faites en Grèce seront examinées, mais toutes les personnes dont la demande a été déclarée irrecevable ou infondée seront renvoyées en Turquie. C’est ce principe de retours qui posait problème, puisque selon l’ONU et certaines ONG, il s’agit là d’une violation de la Convention de Genève sur la protection des réfugiés. L'accord prévoit aussi que pour chaque personne renvoyée en Turquie, l'Europe accueille un réfugié syrien provenant de Turquie. La priorité ira aux personnes qui n'ont pas déjà essayé d'entrer dans l'UE.En échange, l’UE s’est engagée à accélérer le déblocage des 3 milliards d’euros destinés à la Turquie, et à rajouter 3 autres milliards d’ici fin 2018. Ankara a également obtenu une accélération du processus d’adhésion à l’Union et une levée accélérée du régime des visas pour les Turcs, d’ici à la fin juin 2016. Tout cela, si et seulement si, la Turquie respecte ses engagements. Mais pour de nombreux hommes politiques, l’UE est allée trop loin dans ses concessions, et même au sein de la coalition gouvernementale tchèque, les opinions divergent. Andrej Babis, ministre des Finances, du parti ANO :
« L’Union européenne a été incapable de gérer cette crise, et maintenant, elle se fie à la Turquie qui ne va pas se gêner pour faire du chantage de manière permanente. »
Du côté du Premier ministre tchèque, social-démocrate, Bohuslav Sobotka, on préfère voir le bon côté des choses. Cet accord est officiellement soutenu dès le départ par la République tchèque et est vu comme une nécessité :« Bien sûr, cet accord entre l’UE et la Turquie ne va pas régler le problème de la crise migratoire. Mais il peut stopper la migration illégale sur l’un des axes migratoires principaux qui depuis des mois part de Turquie, passe par la Grèce, les Balkans, en direction de l’Europe centrale. »
Autre argument avancé, l’aspect dissuasif que peut avoir l’accord pour les potentiels candidats au départ, comme le souligne encore Bohuslav Sobotka :
« Nous devons envoyer un signal clair à tous les réfugiés du Proche-Orient : ne payez pas les passeurs, c’est inutile, car en Grèce, on vous renverra en Turquie. »
Si sur le papier, donc, les grands principes de ce nouveau mécanisme semblent être établis, reste qu’il faudra les mettre en œuvre concrètement. Rien de moins sûr toutefois que le succès et l’efficacité de ces retours de réfugiés, prévus dès le 4 avril, puisque tout repose sur la Grèce et son Etat déjà bien mal en point. Et si l’Union européenne a promis de débloquer quelques autres centaines de millions d’euros pour financer personnel et équipement, c’est un travail « herculéen » qui s’annonce comme l’a reconnu lui-même le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.