Sport et éducation : la Ligue tchèque du football fair-play parmi les meilleurs projets européens
Mis en œuvre avec succès en Tchéquie depuis 2016, le programme éducatif appelé « Ligue du football fair-play » a été récompensé, récemment à Bruxelles, comme un des trois meilleurs projets dans la catégorie « Éducation » des #BeActive Awards 2024, des prix de la Commission européenne qui visent à mettre en lumière les initiatives qui contribuent à promouvoir le sport et l’activité physique à travers le continent. Programme combinant de manière innovante le sport et l’apprentissage social, destiné à des enfants issus majoritairement de milieux défavorisés, cette « Ligue du football fair-play » est organisée par Fair Play Point, une ONG basée à Prague dont Ansley Hofmann est le responsable.
« Cette Ligue du fair-play se joue dans différentes régions de Tchéquie et repose sur le principe d’une transformation en quelque sorte d’un terrain de foot en une zone de dialogue et d’échanges. À travers une méthode assez spécifique, les joueurs doivent d’abord s'entendre sur les règles du jeu avant de jouer tout en respectant ces règles qu’ils ont donc préalablement définies entre eux, puis ensuite de débattre à la fin de match de leur respect. »
« Ce principe permet de développer les compétences sociales de jeunes qui, pour beaucoup d’entre eux, n’en ont pas la possibilité en dehors de l’école, parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer un cours après l’école, de jouer au foot dans un club ou d’avoir une autre activité extra-scolaire. Nous leur donnons donc cette possibilité grâce aussi aux partenariats que nous avons avec les organisations et les centres sociaux qui travaillent avec nous. L’idée est donc vraiment de combiner le travail qui est effectué avec les jeunes dans les centres et la touche sociale que peut apporter le football. Cette combinaison nous permet d’obtenir des résultats assez probants. »
Votre projet a été récompensé dans le cadre d’un prestigieux concours européen. De quoi s’agit-il ?
« Chaque année, l’Union européenne remet des prix appelés #BeActive Awards à des organisations qui s’engagent auprès de jeunes en promouvant une activité sportive avec ‘une valeur ajoutée’. Nous concernant, nous avons été nominés dans la catégorie ‘Éducation’ où sont mis en avant des projets et des organisations qui s’engagent à mettre en œuvre des activités sportives avec cette finalité éducative et pédagogique. »
La Ligue du fair-play a été lancée en 2016. À l’époque, l’organisation qui s’en occupait, s'appelait « Football pro rozvoj », en français « Le football pour le développement ». Désormais, c’est une autre ONG, Fair Play Point, qui chapeaute le programme, dont vous êtes toujours le responsable…
« Tout d’abord, ‘Football pro rozvoj’ est né en 2006 et cette Ligue du fair-play en était un des projets phares. Nous voulions quelque chose qui engage les jeunes à la fois sur une base régulière tout le long de l’année et surtout sur une base d’engagement et de coopération avec nos partenaires sociaux dans les différentes villes dans lesquelles nous travaillons. Et donc, en 2016, nous avons commencé à Prague avec nos partenaires sociaux et nous nous sommes alors dit que ce serait bien de mettre sur pied quelque chose qui ressemble à une ligue de foot classique tout en utilisant la méthode dite du ‘football 3’, dont j’ai expliqué un peu les principes. Le but était que les jeunes puissent se rencontrer chaque mois à travers un tournoi, et qu’après chaque tournoi, les points soient comptés avec un total de points à la fin de la saison, à la fois pour les résultats des matchs et pour le fair-play dont ils ont fait preuve. »
« La base, c’était aussi le fait qu’à Prague il y avait quelques soucis au niveau de la cohésion sociale entre les jeunes. On avait différents voisinages, par exemple à Žižkov ou à Modřany, où la cohésion n’était pas idéale. Et le football nous a permis d’établir des ponts entre des jeunes qui se percevaient plutôt comme des ennemis que comme des amis dans la vie réelle. Notre programme a permis aux jeunes de se rencontrer, de voir qu’ils pouvaient trouver des affinités et que des relations d’amitiés pouvaient même se créer entre eux. Depuis, le projet s’est développé dans six autres régions de Tchéquie. »
Si, sur le papier, l’idée est très belle, en revanche, quand on est sur le terrain, on se rend compte que pour ces jeunes, l’idée du fair-play n'est pas forcément évidente. Beaucoup d’entre eux ne savent même pas ce que c’est…
« C’est une très bonne réflexion. En fait, c’est sûr qu’au début, l’attrait principal reste le football traditionnel. Les jeunes ont envie de jouer au foot mais n’ont pas d’autres possibilités, pas d’autres organisations qui organisent des matchs et des tournois. Et c’est justement en pratiquant avec eux de manière régulière et en essayant d’apporter cette touche de fair-play que l’on développe avec eux la réflexion autour de ce principe et de ces valeurs. Mais au début, c’est vrai, il faut d’abord utiliser le football pour les attirer avant d’essayer d’y ajouter cette ‘graine pédagogique’. La finalité est que le fair-play l’emporte, mais c’est sûr qu’au début, ce n’est pas évident. »
L’est-ce davantage à la fin ?
« À la fin, oui. La plupart du temps, cela fonctionne. Depuis 2016, nous enregistrons un grand intérêt pour cette ligue qui grandit. Chaque année, nous essayons de nous étendre. Nous avons aussi un très bon retour au niveau des travailleurs sociaux. Parce que pour nous, l’intérêt évidemment, c’est de mettre à leur disposition une autre plateforme où ils peuvent effectuer leur travail. Sur un terrain de foot, il y a plein de choses qui se passent. Et ce sont autant d’éléments, autant de situations que les travailleurs sociaux peuvent ensuite utiliser dans le cadre du développement personnel des jeunes. Cette continuité du travail social est le plus important à nos yeux, mais encore faut-il lui donner une forme à la fois attractive et pédagogique pour que les jeunes, après l’école, puissent avoir ensemble une activité au sein d’une même communauté et dans un cadre stable où ils se sentent bien. Et tout ça, donc, en pratiquant un sport qu’ils aiment : le football. »
Comment cette Ligue du fair-play a-t-elle évolué depuis huit ans ?
« Il y a d’abord un important travail qui est effectué surtout à la base avec les travailleurs sociaux. Nous leur montrons comment transmettre ces valeurs sur le terrain de foot, et ensuite aussi dans les discussions, parce qu’il est important qu’une réflexion soit menée après chaque match et aboutisse à un développement concret. Pour les jeunes, c’est une méthode qui reste attractive, tout en gardant cet aspect pédagogique. Donc chaque année, on essaie de mettre en place des innovations au niveau de la méthode : comment transmet-on cette idée ? »
« Ensuite, nous essayons aussi de proposer d’autres activités que les matchs de la Ligue. Par exemple, nous organisons des camps où les jeunes passent du temps ensemble pendant tout un week-end. Il y a des rendez-vous avec des jeunes d’autres pays. Il existe aussi un programme pour d’anciens participants à la Ligue qui se sont 'développés' et que l’on appelle désormais ‘young leaders’. Ce sont de jeunes leaders qui sont là justement pour transmettre aux plus jeunes leur expérience, leurs motivations, les inspirer et leur montrer que ces valeurs dont on leur parle ont un sens concret. Garder ce contact avec les jeunes est primordial, cela leur permet d’être engagés à un niveau différent de celui de simple joueur de la Ligue. »
La Tchéquie a accueilli un très grand nombre de réfugiés ukrainiens depuis le début de la guerre, parmi lesquels figurent beaucoup d’enfants. On voit aujourd’hui beaucoup de jeunes Ukrainiens jouer dans des clubs de foot tchèques, et c’est là un excellent moyen d’intégration. Cette arrivée massive de jeunes Ukrainiens dans un environnement étranger constitue-elle pour vous aussi un axe de travail ?
« Vous faites bien de le rappeler. Cela a été une de nos missions d’accueillir ces jeunes qui étaient en recherche d’inclusion et d’intégration. Alors, sur le terrain, c’est parfois un peu plus compliqué parce que ces jeunes sont toujours plus ou moins en mouvement et sont déjà intégrés dans des structures sociales, et pas nécessairement en lien avec le sport d’ailleurs. Mais nous avons quelques exemples dans diverses régions où notre apport a été bénéfique parce que nos activités leur ont permis de rencontrer d’autres jeunes, parfois d’autres minorités. Bien sûr, ce n’est pas toujours évident au début parce qu’il y a la barrière de la langue. Il y a aussi une culture et une approche des règles différentes, et cela se reflète un peu sur le football. Mais encore une fois, au final, ce que notre expérience nous montre d’abord, c’est que le football est vraiment un moyen de créer des ponts et des amitiés qui sont d’autant plus importantes ensuite en dehors du terrain. »
Est-ce difficile de « faire du social par le sport » en Tchéquie ? Et est-ce que passer par les écoles pourrait être pour vous une nouvelle voie pour développer davantage encore Ligue du fair-play ?
« Ce n’est pas du tout évident d’abord parce que la pédagogie à travers le sport et ses bénéfices ne sont pas tout à fait reconnus à leur juste valeur par le public. Nous n’avons pas toujours non plus le soutien des politiques. Il existe un soutien direct pour les clubs de sport ou pour l’éducation en tant que telle, mais pas nécessairement pour un programme comme le nôtre que se situe entre les deux. Et puis, plus généralement, il faut bien le dire, le travail social en Tchéquie n’est pas nécessairement très bien reconnu. Ça reste un métier à faible valeur financière, si je peux dire les choses ainsi, ou à faible valeur aux yeux de la société. Cette perception des choses se répercute forcément sur notre travail, parce que nous constatons beaucoup d’allées et venues parmi nos entraîneurs et nos pédagogues. »
« Quant aux écoles, oui, c’est aussi une stratégie que nous aimerions développer parce que l’éducation des jeunes passe par trois éléments que sont la famille et les parents, l'école et les activités hors du cadre scolaire. Or, si l’école ne remplit pas bien son rôle, s’il n’y a pas d’égalité à ce niveau-là ou si les parents n’ont pas les ressources ou ne sont pas là pour assurer cette éducation, il ne reste souvent plus que le côté ‘informel’, et c’est ce que nous nous efforçons de compléter. Mais justement, nous pensons que dans les écoles, il y a moyen de faire mieux en matière d’éducation physique, précisément pour faire progresser le niveau d’éducation plus généralement. Il faudrait intégrer davantage cette dimension sociale dans l’éducation. Je pense que nous aurons là un rôle à jouer dans le futur à condition, bien sûr, que les écoles nous ouvrent leurs portes et nous permettent d’apporter cette approche progressive au curriculum de l’éducation physique et sociale. »