Street-art : deux étudiants des Beaux-arts de Prague font le mur
Direction Prague-Holešovice pour admirer la fresque quasi-terminée des deux gagnants du concours de street-art organisé sur les murs de la station de métro Vltavská.
Sous la grisaille de l’hiver, des couleurs féériques et des mondes fantastiques se sont invités sur les murs de la station de métro Vltavská. Tout cela grâce au génie de deux artistes tchèques, Josef Šmíd et Pavel Dušek, grands gagnants de la compétition d’art mural organisée l’été dernier par le quartier pragois de Holešovice sur les murs de la station de métro Vltavská. Cette victoire, Pavel, diplômé de l’Académie des Beaux-arts de Prague, et Josef qui y étudie encore, ne s’y attendaient pas. Ce dernier raconte :
« Oui je me souviens encore de Pavel qui m’appelle en me demandant :- Est-ce que tu as des bombes de peinture chez toi ?
- J’en ai un peu ici et le reste est chez mes parents je pense, pourquoi ?
- C’est juste que nous venons de gagner la compétition donc nous avons du pain sur la planche.
Bien sûr je me suis senti heureux mais aussi un peu effrayé puisque soudainement, on réalise que, wow, ça devient concret. »
S’ensuivent donc plus de deux mois de préparation, d’observation du mur, de réalisation des pochoirs, puis le même temps consacré à la réalisation de l’œuvre. Josef raconte leurs débuts :
« Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois pour en discuter et nous avons essayé de trouver un moyen pour combiner nos travaux de manière logique. On réfléchissait davantage à comment faire une exposition publique, plutôt qu’une seule œuvre à plusieurs mains. Nous avons donc choisi de réaliser une grande image avec de nombreuses fenêtres s’ouvrant sur différents mondes mystérieux, très détaillés, que le spectateur pourra explorer en passant devant ou en attendant les transports en commun. Notre ambition était de créer quelque chose de complexe et détaillé comme personne ne l’a fait avant dans l’espace public. »
Josef Šmíd se dit humble devant un ouvrage de cette envergure dans l’espace public qui représente pour lui le plus gros challenge qu’il ait eu à surmonter. Cette pression, il la met aussi sur le compte d’une certaine responsabilité. Une responsabilité vis-à-vis du quartier dans lequel il a grandi, de la station de métro qu’il empruntait chaque jour, du mur devant lequel il passait souvent.
Un de leurs objectifs était notamment de repenser le concept de base du street-art. Pavel Dušek nous explique :
« Ça ne dit pas vraiment ‘Ceci est bien, cela ne l’est pas, voilà nos problèmes’. Il s’agit plutôt d’un puzzle visuel, issu de notre imagination, que les gens verront. L’interprétation dépend d’eux. »
Pour ce qui est des clefs de lecture, Josef tient à rassurer les spectateurs :
« Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’avoir un vocabulaire de références en pop culture pour lire notre œuvre, bien que ça puisse être un avantage de connaître les choses que l’on connaît, d’aimer les choses que l’on aime car à la base, on a créé cette fresque pour se faire plaisir. Bien sûr, cela peut être rassurant de reconnaitre une cathédrale, d’y voir peut-être Notre-Dame de Paris, de connaître des jeux-vidéo et de comprendre les effets visuels, la signification des interfaces. Mais je ne veux rien dévoiler. Bien évidemment, j’ai ma propre interprétation sur ce qu’on a fait, mais en le disant, j’aurais l’impression de priver le spectateur de sa liberté. »Pour Pavel comme pour Josef, leur fresque était destinée à proposer différentes lectures, notamment suivant l’état dans lequel se trouve le spectateur lorsqu’il jette un coup d’œil au mur. En trois mots, c’est une œuvre qui se veut ouverte, suggestive et métaphorique. Certains trouveront du plaisir à reconnaitre des éléments familiers tandis que d’autres préféreront y voir une lecture plus complexe comme s’il s’agissait d’une énigme à résoudre.
Lorsqu’on leur demande si le street-art a sa place dans l’enseignement des Beaux-arts, voilà ce que répond Josef :
« Je pense qu’il faudrait inverser la question. Est-ce que les Beaux-arts ont leur place dans le street-art. Il y a une sorte d’étiquette du street-art sous laquelle évolue une grande variété d’artistes allant de Banksy jusqu’à Brad Downey qui réalise de petites interventions dans l’espace public. Je trouve ça ennuyant. C’est très direct comme forme d’art et c’est cette approche qui la rend si accessible au public. Je pense que l’art dans les lieux publics devrait avoir des portes ouvertes pour les spectateurs mais également des parts à creuser. C’est ce qu’on apprend en études d’art et que l’on peut offrir au street-art ».Pourtant, les artistes préfèrent qualifier leur travail d’art dans l’espace public plutôt que street-art, ce dernier étant pour eux trop réducteur et créant déjà trop d’attentes chez le spectateur. Il n’est pas rare pour un étudiant en art d’être commissionné pour réaliser une œuvre dans l’espace public nous raconte Josef, avant d’ajouter, qu’il n’est pas rare non plus qu’il la rate magistralement. Pour lui, les étudiants de l’Académie des Beaux-arts n’ont pas toutes les clés en main lorsqu’il s’agit de construire un projet en extérieur, l’enseignement se portant davantage sur une culture de l’art en galerie.
Pour Josef, ce n’est pas tant savoir utiliser des bombes de peintures ou créer des pochoirs, mais plutôt de réfléchir à ce que signifie travailler dans un espace public, communiquer avec les spectateurs, combler le fossé qui sépare le grand public du monde de l’art. C’est peut-être l’unique contrainte des artistes de rue complète Pavel Dušek avant de blaguer sur les 30 mètres de mur à Vltavská qui leur laisse une grande liberté. Il ajoute qu’il s’agit là d’une chance pour de jeunes artistes comme eux à qui une galerie ne permettrait sans doute pas un travail à cette échelle. Si cela prend du temps, c’est un pari qu’ont pris les artistes selon Pavel :« C’était notre choix de réaliser quelque chose de très compliqué sur ce mur. Il y a des détails de 2 millimètres donc c’est assez fou ! Mais ce qui est incroyable c’est que la mairie du 7ème arrondissement de Prague, propriétaire du mur, nous a laissé dépasser l’échéance de la fin octobre. Ils ont été très compréhensifs quant à la complexité, la nouveauté de notre œuvre et nous ont laissé le temps que l’on voulait. Donc nous avons continué et je ne sais pas si ce projet aurait été possible autre part. »
Pour couvrir les frais en matériel, Josef et Pavel ont reçu des aides de la part du service des transports en commun (DPP) ainsi que du quartier de Holešovice. Ils ont également décidé de se partager le surplus entre eux comme argent de poche.Les fêtes de fin d’année ont été l’occasion pour les deux artistes de faire une pause dans leur travail. Pour ce qui est de finir la fresque, Josef répond que tout est une question de point de vue. Certains la verront complète tandis que certains détails nécessitent encore l’attention de l’artiste. Josef compte donc reprendre du service à l’arrivée du printemps mais puisque le changement appelle le changement, il est probable que l’œuvre ne se termine jamais vraiment. Pavel Dušek propose donc comme échéance :
« On pourra considérer que notre travail prendra fin quand commencera la prochaine compétition sur ce mur. »