Sur le sentier de Bohumil Hrabal à Kersko
Direction, aujourd'hui Kersko : un endroit de villégiature à 25 km à l'est de Prague rendu célèbre par Bohumil Hrabal, un des plus grands écrivains tchèques du XXe siècle, auteur de « Une trop bruyante solitude » ou « Moi qui ai servi le roi d'Angleterre. » A Kersko où il a acheté en 1965 une maison de campagne, Hrabal a écrit beaucoup de ses romans et nouvelles. Un sentier didactique en l'honneur de l'écrivain dont nous célébrons cette année le centenaire de sa naissance, avec des arrêts au restaurant Hájenka, près de la source d'eau minérale locale et à d'autres endroits chers à Bohumil Hrabal, a été inauguré à Kersko le 17 mai dernier.
Notre premier arrêt à Kersko est dans l'atelier céramique de Bronislav Kuba. Sur un tour de potier, Bronislav Kuba fabrique des figurines de chats devenus un symbole de Kersko grâce à Bohumil Hrabal qui y venait les dernières années de sa vie, notamment pour nourrir ses chats à moitié sauvages l'attendant fidèlement devant sa maison. L'atelier Kuba est le point de départ des promenades à pied ou à vélo à travers la forêt de Kersko. A l'intérieur, on trouve une boutique vendant des objets souvenirs, et une salle d'exposition dans laquelle Jana Kubová, copropriétaire de l'atelier et adjoint au maire de Hradišťko – commune voisine de Kersko, organise des rencontres, concerts et expositions :
« Ici, au rez-de-chaussée, nous proposons une exposition inspirée par le centième anniversaire de la naissance de l'écrivain. Comme on le sait, Kersko figure dans la nouvelle de Hrabal « La fête des perce-neige » portée à l'écran par Jiří Menzel. Cette année, Bronislav Kuba a sorti un livre intitulé « La fête des perce-neige – les destins humains et les secrets dévoilés à Kersko de Hrabal » qui enrichit la nouvelle par les souvenirs de trois personnages réels, toujours en vie, et sur lesquels était basée la nouvelle. L'un d'entre eux était collectionneur de beaux objets sans utilité ; quelques-uns sont également présentés à l'exposition tels que des disques vinyles, des tendeurs de chaussures et autres reliques... Il y a aussi des manuscrits authentiques de Hrabal : tapés à la machine, puis barrés, coupés, corrigés et recomposés, ces textes permettent de se faire une idée de la façon dont Hrabal écrivait ses livres. »« La Fête des perce-neige » est une chronique de Kersko, des petites choses de la vie et des faits sans importance que Hrabal recense et magnifie. Jana Kubová raconte qu'à l'hôtel de Sadská où il se rendait souvent pour y boire ses bières, Hrabal a fait la connaissance d'un garçon qui s'appelait Vaníček : c'est celui-là même qui figure dans le roman « Moi qui ai servi le roi d'Angleterre. » C'est à Kersko que Bohumil Hrabal a achevé, en trois semaines, son roman, détaille Jana Kubová, en nous montrant la maison achetée par l'écrivain en 1965 et élargie d'une véranda en verre. Plus tard, Hrabal a baptisé cette véranda « poste d'aiguillage » en allusion au métier de cheminot qu'il exerçait, à part tant d'autres : magasinier, télégraphiste, figurant de théâtre, ouvrier dans une aciérie. L'arrêt de bus situé à quelques pas de la maison de Bohumil Hrabal porte aujourd'hui le nom de l'écrivain:« Nous avons édifié à Kersko un nouveau point d'arrêt de bus dans lequel nous avons installé les panneaux avec des textes de Bohumil Hrabal où il décrit l'achat de sa maison à Kersko, les rapports avec ses voisins et s'explique de son affection pour les chats. Sur une photo, on voit l'écrivain descendre du bus avec des sacs remplis de la viande de poulet pour l'alimentation des chats qui accourent près de lui. Deux grands chats sculptés en bois placés à côté du point d'arrêt de bus l'y attendent toujours, symboliquement. »
L'inauguration solennelle du sentier de Bohumil Hrabal a eu lieu à Kersko le 17 mai dernier, en présence des dizaines d'amateurs de son œuvre, ainsi que des artistes parmi lesquels le chanteur Václav Neckář qui a campé le rôle principal dans le film oscarisé de Hrabal « Les trains étroitement surveillés. » Jana Kubová :« Le sentier didactique de Bohumil Hrabal contient les descriptions figurant sur les panneaux explicatifs, ainsi que les textes poétiques de l'écrivain qui aimait s'exprimer sur tous les aspects de la vie à Kersko : sur son histoire, sur ses habitants, sur les muguets qui poussent par milliers dans la forêt locale. Le sentier est long de sept kilomètres et peut être raccourci à cinq kilomètres si l'on évite les étangs de Kersko qui appartiennent au réseau de zones naturelles protégées Natura 2000. »
Sous la première République tchécoslovaque, Kersko devient propriété de Josef Hyross, grand propriétaire foncier qui procède à la création d'un réseau d'allées perpendiculaires numérotées, suivant le modèle de Manhattan en côté impair à l'ouest de l'avenue principale appelée Betonka, et en côté pair à l'est de celle-ci. Kersko devait devenir une importante station thermale à l'instar de la ville de Poděbrady, développe Jana Kubová :
« La source d'eau minérale a été percée à Kersko en 1934 sous l'impulsion de Josef Hyross. La source portant le nom Joseph jaillit d'une profondeur de 89 mètres et l'eau y parvient depuis les Monts Jizerské. Dans les années 1930, Kersko a été une station de villégiature très prisée par les Praguois. Aujourd'hui, la source est rénovée et surveillée par la statue de saint Joseph, son patron, installée ici il y a un an et demi. »Le dernier arrêt sur le sentier de Bohumil Hrabal est au cimetière de Hradišťko, commune voisine de Kersko. Bohumil Hrabal est mort à Prague le 3 février 1997, en sautant ou en tombant de la fenêtre de l'hôpital de Bulovka où il était soigné. Certains disent qu'il est tombé en se penchant excessivement du châssis de fenêtre pour nourrir des pigeons, d'autres affirment qu'il s'est suicidé. Mais beaucoup ignorent qu'il est inhumé au cimetière de Hradišťko :
« Le sentier nous amène jusqu'au cimetière où est inhumé Bohumil Hrabal. La pierre tombale est marquée par une simple inscription : la famille Hrabal. Ainsi, pour ceux qui ne savent pas, nous avons installé au cimetière un panneau explicatif où il est écrit que dans cette tombe reposent Bohumil Hrabal, ses parents, son frère ainsi que son épouse, Eliška Plevová, disparue prématurément en 1985. Nous y avons également mis un texte de Bohumil Hrabal qui décrit les circonstances de l'achat de la tombe : c'était un cadeau pour sa femme à l'occasion de son anniversaire... Ceux qui ont connu son humour n'en seront pas étonnés. »A la fin de la randonnée qui peut durer de quatre à six heures selon les options choisies, le fameux restaurant Hájenka, haut lieu du culte hrabalien, attend le promeneur fatigué. L'écrivain y venait régulièrement prendre ses déjeuners et boire ses chopes de bière. Le restaurant est connu aussi pour avoir figuré dans le film de Jiří Menzel « la Fête des perce-neige », lorsque deux groupes de chasseurs s’étant disputé la propriété d'un sanglier abattu, s'assoient finalement à la même table pour goûter au porc sauvage préparé pour chacun des groupes à deux modes différents. Le restaurant est resté fidèle à cette tradition, ainsi que le note Jana Kubová :
« Au restaurant Hájenka, on peut goûter au sanglier à la sauce d'églantine ou au sanglier rôti accompagné de choucroute : deux plats emblématiques de Kersko qui sont restés les mêmes que ceux du film, inspiré du roman éponyme. Bien entendu, on sert de la bière de Nymburk surnommée la bière « postřižinské» selon le titre d'un autre ouvrage de Hrabal, « Postřižiny » – la Chevelure sacrifiée. A la mémoire de l'écrivain, la bière brassée à Nymburk porte les appellations des personnages de Hrabal : la bière de Pepin, la bière forte de Francin et d'autres encore. » L'esprit de Bohumil Hrabal est toujours présent dans ce restaurant ainsi qu'à Kersko. Jana Kubová qui a eu la chance de rencontrer Bohumil Hrabal se souvient que c'était quelqu'un qui aimait la vie, les gens, et qui aimait palabrer – comme il appelait la façon d’expression des états d'âme. Aujourd'hui, la maison de l'écrivain tchèque le plus traduit appartient à ses proches parents et n'est pas accessible au public. Une partie de l'aménagement intérieur y compris des objets personnels de l'écrivain, dont la machine à écrire de marque Consul, sont à voir au musée de Nymburk, une ville située à dix kilomètres de Kersko dans laquelle Bohumil Hrabal a passé son enfance. Il n'empêche que sa maison à Kersko a su garder l'âme du romancier et les gens s'y arrêtent longuement lors de leur visite.