Tensions ethniques: « Ce qui nous attend sont des problèmes encore plus graves dans quelques années »
Saša Uhlová a étudié les langue et civilisation roms. Elle a longtemps travaillé sur le terrain et fait partie aujourd’hui de l’ONG Romea, qui publie un magazine appelé Romano Vodi, dont elle a la charge. Saša Uhlová avait déjà suivi de près l’affaire du mur d’Ústí nad Labem, qui avait fait beaucoup couler d’encre dans les médias nationaux et étrangers en 1999. Récemment elle était dans la région de Šluknov où la tension est montée d’un cran entre Roms et non-Roms. Au micro de Radio Prague, Saša Uhlová est revenue sur ces derniers développements.
« A vrai dire, j’étais un peu étonnée. J’attendais beaucoup plus de réactions ouvertement racistes et pleines de haine. J’étais étonnée que, quand j’ai discuté un peu plus longtemps avec les gens, bien qu’au début ils disaient que les Tsiganes étaient la source de tous les malheurs, qu’ils ne les aimaient pas et qu’ils créaient des problèmes, la majorité des gens avec qui j’ai parlé ce jour-là ont commencé ensuite à parler d’autres problèmes. Notamment de la corruption et des problèmes au niveau de la ville, de la mairie. Ma conclusion de ces dialogues est que les gens au Nord ont le même sentiment anti-tsigane que tous les autres Tchèques dans le pays, même ici, dans le quartier où j’habite à Prague où il n’y a quasiment pas de tsiganes, les gens ne les aiment pas. Cependant, ils ont beaucoup d’autres problèmes : ils sont au chômage, la région est un peu délaissée car l’Etat n’y investit pas. Les gens sont dans une sorte de « dépression », les Tsiganes sont la première chose qui leur vient en tête, si l’on discute avec eux on voit bien que ce n’est pas le seul problème qu’ils ont. Ce n’est pas vraiment les tsiganes qui causent leurs problèmes mais ils ont besoin de quelque chose qu’ils peuvent bien identifier, et dire tous ensemble qu’ils n’aiment pas quelqu’un. Je pense que c’est partout pareil. »
Le premier ministre tchèque, Petr Nečas, s’est rendu dans cette région de Šluknov récemment et a parlé de mesures prônées par le gouvernement et notamment de mesures qui consistent à conditionner le versement d’allocations familiales à certains travaux d’intérêt général. Est-ce que c’est le genre de mesures qui peut apporter des solutions, selon vous ?« Selon moi, ça ne peut pas apporter des solutions, c’est de la répression. De plus, ça vise un problème qui n’est pas vraiment « le » problème, comme je l’ai dit précédemment. Le problème de cette région est que, entre autres, il y a un taux de chômage très élevé. Du moment où l’on va poser les problèmes de cette manière aux gens, cela va toucher bien sûr des non Roms, la population va avoir encore plus de frustrations. Donc je pense que ces mesures vont dans le mauvais sens. »
On parle de solutions beaucoup plus en amont, à savoir faire en sorte que les enfants Roms ne soit plus discriminés dans le système scolaire. Je sais que vous connaissez bien le problème car vous avez enseigné dans une école pour enfants Roms, des enfants qui sont souvent envoyés dans des écoles dites « spéciales ». Est-ce qu’on peut dire que l’éducation est un problème-clé ?« On peut dire que l’éducation est un des problèmes principaux, il y en a d’autres : le travail ou le logement. Le problème de ce gouvernement-là est qu’il ne fait rien dans ce domaine. Avant les élections, il y a avait un autre ministre de l’Education, Ondřej Liška, du Parti Vert, et son adjointe, Klára Laurenčíková, qui a vraiment été la première personne depuis vingt ans à commencer à faire quelque chose contre ce problème de discrimination scolaire. Elle a commencé à faire un grand nombre d’étapes pour faire en sorte qu’il n’y ait plus cette ségrégation, pour faire en sorte que ces enfants n’aillent plus dans des écoles pour enfants handicapés mentalement. Après les élections on a arrêté tout ce travail et il y a des gens qui travaillent au ministère qui affirment que c’est peut être mieux pour ces enfants d’aller dans ces écoles-là, que ce n’est peut être pas mauvais que les enfants soient séparés car pour les parents tchèques c’est difficile d’accepter le fait que leurs enfants aillent à l’école avec des enfants roms. Donc la tendance est de nouveau contraire. C’est un peu le « statu quo » actuel : laisser la ségrégation car c’est difficile de faire quelque chose contre. Si maintenant le gouvernement dit qu’il veut faire quelque chose contre il devrait peut être continuer cette politique entamée avant. »Est-ce que la République tchèque peut s’en sortir seule ? En ce qui concerne l’intégration des Roms dans le contexte européen on voit dans plusieurs pays de la région de nombreux problèmes, comme très récemment en Bulgarie. Est-ce que la République tchèque peut y arriver seule ? Ou bien les solutions à entreprendre doivent venir de l’Union Européenne même si beaucoup de fonds destinés à l’aide de la minorité Rom n’ont pas été très efficaces jusqu'à maintenant ?« Je pense qu’il y a des ressources dans le pays pour résoudre ce problème. Il existe des gens qui s’occupent de cette question, qui sont vraiment des spécialistes et qui pourraient être engagés par les ministères. Cela serait possible. Le problème est qu’avec les changements de gouvernements, et notamment le dernier gouvernement dont le principal but est de faire des économies, ceux-ci ne pensent plus aux conséquences des leurs économies. Je pense qu’actuellement, même avec l’Union Européenne, on ne peut pas faire grand-chose. L’Union Européenne peut aider mais seulement du moment qu’on mobilise les forces du pays.»