Ukraine : « Le 24 février comme un traumatisme que je ne veux plus vivre »

Violetta

Ce vendredi marque la première année depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Violetta a quitté Kyiv avec sa fille et sa mère quelques heures après cette attaque massive. A Prague, elle travaille dans le tourisme, sa fille de 13 ans va à l’école. RPI l’avait rencontrée en juin 2022. Depuis, sa mère est rentrée dans la capitale ukrainienne mais son mari, grâce à une exemption, a pu les rejoindre en Tchéquie.

Pour l'intégralité de cet entretien, version audio disponible en appuyant sur Lecture ci-dessus

RPI : Comment se passe la vie à Prague pour vous depuis ces quelques mois ?

Violetta : « Cela a beaucoup changé. Mon mari nous a rejointes donc je suis soulagée, même si je souffre pour mon pays et ma famille. Ma mère, mes cousins, mon grand-père et ma grand-mère sont sur place. »

Comment a fait votre mari pour sortir d’Ukraine (d’où tous les hommes jusqu’à un certain âge ne peuvent sortir, ndlr) ?

« Il a un souci médical, donc il a officiellement les papiers disant qu’il ne peut aller au front – il a donc pu sortir du pays. »

A t-il pu trouver du travail ici ou peut-il travailler à distance ?

« Non, il ne peut pas travailler à distance et n’a pas encore trouvé de boulot ici. Il est informaticien et les employeurs disent qu’ils sont réticents à embaucher des gens qui repartiront dès la guerre finie. »

Pour votre fille, ça va à l’école ?

« Mieux que ce à quoi je pouvais m’attendre ! Elle a changé d’école pour être plus près de notre logement, elle a des bonnes notes, elle aime beaucoup et a été très bien accueillie. »

A t-elle également des amis ukrainiens ici ?

Photo illustrative: Eva Malá,  ČRo

« Non, elle a des copines et copains tchèques, elle a déjà une bande… »

Quels sont vos contacts avec la famille et les amis restés au pays ?

« Chaque jour on essaie de communiquer, même si parfois ce n’est pas facile avec les coupures d’électricité… »

« Je comprends que je ne serai jamais mieux que dans mon pays »

Vous parliez d’un retour au pays évoqué par les employeurs potentiels de votre mari. Est-ce une chose à laquelle vous pensez concrètement ?

Lviv,  Ukraine | Photo: Petros Giannakouris,  ČTK/AP

« Bien sûr, on attend que ça finisse. Avant, je pensais toujours à déménager à l’étranger. Après un an ici, je comprends que je ne serai jamais mieux que dans mon pays. Malgré tout le soutien, la solidarité et l’aide ici, je vois que ce n’est pas ma place, que je suis Ukrainienne ici. Les gens sont très gentils ici, mais je vois comment ça se passe quand on est étranger. »

Ce retour après la guerre est-il déjà redouté, surtout quand on est un homme, avec la perspective de se confronter aux interrogations ou aux reproches de ceux restés ?

« Oui, je pense qu’ils poseront des questions, pourquoi il n’est pas resté, pourquoi il ne s’est pas battu ? Il a ce sentiment de culpabilité, c’est aussi pour ça qu’il aide beaucoup avec des donations ou en aidant des amis. Bien sûr pour moi, je suis très contente qu’il ne soit pas au front – je pense que toutes les femmes peuvent me comprendre. Mais toutes les femmes ayant perdu leur mari au front vont me détester bien sûr... »

Des soldats ukrainiens à Bakhmut,  Ukraine | Photo: ČTK/AP/LIBKOS

« On se pose beaucoup de questions autour d’un potentiel retour. Comment faire nos vies ? Il faut recommencer tout à nouveau. Pas de boulot ici pour lui et là-bas c’est difficile. La vie est complètement différente. On fait ce qu’on peut. Il faut aussi qu’il y ait des gens pour payer des impôts, aider, on ne peut pas avoir tout le monde au front. »

Moins de drapeaux ukrainiens qu'avant

Nous sommes dans le centre de Prague – derrière nous il y a un supermarché où le personnel est ukrainien, l’hôpital à côté à une signalisation en ukrainien avec des consultations possibles en ukrainien… Prague a beaucoup changé ces derniers mois, est-ce que votre mari, arrivé après vous ici, a été surpris ?

Photo: René Volfík,  iROZHLAS.cz

« Oui, on peut voir que les services pour les Ukrainiens se sont beaucoup améliorés. Avant avec ma famille je n’arrivais pas à trouver un médecin qui parlait anglais. Maintenant, pour la santé, l’assurance, les visas, c’est beaucoup plus simple. Il y a quand même moins de drapeaux ukrainiens qu’avant. Mais je peux le comprendre, ils en ont marre de voir des Ukrainiens partout. Même moi, parfois j’entends plus la langue ukrainienne que le tchèque dans la rue. »

« Certains disent que le taux de criminalité a augmenté à cause des Ukrainiens, mais j’ai regardé les statistiques et c’est seulement 1% de plus et je ne crois pas que ce soit à cause de nous ! Les Tchèques me prennent parfois pour une extraterrestre parce qu’il y a des stéréotypes sur les Ukrainiens, qui sont selon eux soit femmes de ménage ou ouvriers. Ah bon, vous pouvez exercer d’autres professions, parler anglais ? La situation a changé, peut-être ont-ils plus de respect maintenant. »

« Je pense encore en russe, mais j'essaie de diminuer au maximum l'usage de la langue »

Quand on s’est rencontré la dernière fois, vous disiez vouloir oublier la langue russe, est-ce toujours le cas ?

Photo illustrative: Artem Beliaikin,  Unsplash

« On parle beaucoup mieux et plus ukrainien dans la famille désormais. Mais de toute façon je pense en russe, ma langue maternelle. Bien sûr que cela a beaucoup changé. Tous les amis avec lesquels je parlais russe avant écrivent leurs messages en ukrainien maintenant. La langue russe est celle d’écrivains et d’une histoire que je respecte beaucoup. Parfois on parle encore russe, mais j’essaie de diminuer au maximum. »

Est-ce possible pour vous de faire des aller-retours, d’aller voir votre mère à Kyiv ?

« Oui c’est possible, mais on fait l’inverse, c’est elle et les amis qui viennent nous voir ici, parce que moi j’ai toujours peur. Ma mère est habituée, les gens ne courent plus aux abris quand résonnent les sirènes. Des amis ont eu leur maison bombardée, il faut toujours faire attention. Et moi j’ai peur, les gens vivent normalement à Kyiv mais les quelques heures que j’ai vécues le 24 février est resté comme un traumatisme que je ne veux plus vivre. »

Station de métro utilisée comme abri à Kyiv pendant une alerte aérienne | Photo: Emilio Morenatti,  ČTK/AP
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