Un enfantement douloureux

Tchécoslovaquie en 1918-1935
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Quand la Slovaquie fut rattachée aux Pays tchèques... Nous nous penchons cette semaine sur la naissance de Tchécoslovaquie, en 1918. D'ailleurs, doit-on vraiment en situer la date en 1918 quand on sait que la Slovaquie ne fut officiellement rattachée aux Pays tchèques qu'en 1920 ? Retour sur un enfantement douloureux.

Les voisins de la Tchécoslovaquie en voudront longtemps à cette dernière des grignotages de territoires opérés au lendemain de la première guerre mondiale. En 1918, l'Etat tchécoslovaque, en gestation, revendique ce qu'il estime être les "frontières historiques" du pays. Si Américains et Anlais sont plutôt tièdes, la France, elle, soutient les prétentions tchèques.

Les traités successifs instaurés en 1919 par la Conférence de la Paix de Paris délimitent les frontières du nouvel Etat : le traité de Versailles, signé avec l'Allemagne, transfert aux Pays tchèques la région de Hlucin. Le traité de Saint-Germain, avec l'Autriche, leur donne Valtice, dans le sud de la Moravie. Enfin, un accord avec la Pologne voit le partage de la région de Tesin, délimitant les frontières au nord.

Si les rancunes resteront vivaces, il faut garder à l'esprit que la Tchécoslovaquie doit, dès sa naissance, en subir le revers de la médaille : elle devra en effet supporter une partie du poids de la dette austro-hongroise d'avant-guerre.

Prag,  1918
Concernant la Slovaquie, les choses sont plus compliquées et elle ne sera pas rattachée aux Pays tchèques avant 1920. L'affaire est délicate car le pays est encore sous administration magyare au lendemain de la guerre.

Dès 1918 pourtant, la classe politique slovaque dans son ensemble souhaite quitter la sphère hongroise et se rattacher à la Bohême-Moravie. Le 30 octobre, les représentants slovaques affirment, par « la déclaration de Saint-Martin », le droit du peuple slovaque à disposer de lui-même ainsi que son souhait d'un avenir commun avec les Tchèques. 200 politiciens réunis dans les locaux de la banque Tatra, créent le Conseil national slovaque, dirigé par Matus Dula. La nation slovaque y est reconnue comme partie intégrante de la Tchécoslovaquie.

Le 2 novembre 1918, sur décision de Vavro Srobar, le Comité national tchèque décide d'occuper militairement la Slovaquie. Un petit détachement de soldats tchèques, aidé de quelques volontaires slovaques, prend pied jusqu'à Trencin, Trnava et Devinska Nova.

Dirigée par Mihaly Karolyi, la Hongrie réagit et force les corps tchèques à reculer. Les Tchèques ne peuvent se borner qu'à une note de protestation car l'armée magyare agit dans son bon droit. Entre-temps, en effet, a été signé le traité de Belgrade, qui oblige la Hongrie à céder à la Roumanie ses territoires du sud (Transylvanie, Banat de Temesvar) mais ne fait aucune allusion à la Slovaquie.

Autant les légions tchèques, bien entraînées, avaient fait merveille contre les Russes rouges, menaçant même un temps le projet bolchévique, autant les corps tchèques engagés en Hongrie sont mal préparés. Et cela se vérifiera très vite à nouveau ! Le 11 décembre, la Hongrie proclame la "République populaire de Slovaquie", pour mieux l'arrimer. Mais l'expérience tourne court car l'armée tchèque occupe Kosice.

Le 1er janvier 1919, les troupes magyars quittent le territoire slovaque et Srobar, assisté de conseillers, prend en main l'ensemble du pays, installant son ministère à Bratislava. La situation des Slovaques est alors médiocre : alors que l'on compte 3 500 écoles magyars en Slovaquie, les Slovaques n'en affichent que 344 en 1913. Ils ne disposent ni d'enseignement supérieur, ni d'enseignement secondaire. L'administration est entièrement hongroise. A son arrivée, Srobar doit en outre faire face à une grève des postiers, des cheminots et des artisans, essentiellement allemands et hongrois.

Mais ce sont les changements radicaux qui touchent la Hongrie voisine, qui vont compliquer la tâche des Tchèques. Le 21 mars 1919 est proclamée la République hongroise des conseils, une dictature de type soviétique, présidée par Bela Kun. Anticipant sur une éventuelle attaque hongroise, Srobar décrète l'état de siège, tandis que l'armée tchécoslovaque établit une zone de sécurité, pénétrant jusqu'à 80 km à l'intérieur du territoire hongrois.

L'Armée magyare repousse les soldats tchèques et occupe les deux tiers de la Slovaquie. A Presov, est proclamée la République des conseils slovaques, sur le modèle hongrois. Mais les anciens pays de l'Entente, dont la France et l'Angleterre, réunis à la Conférence de la Paix, obtiennent, non sans mal, le retrait des troupes magyares et la dissolution des conseils en Slovaquie.

Le 4 juin 1920, les Tchèques signent avec les Hongrois le traité de Trianon, qui voit la Slovaquie se rattacher aux Pays tchèques. C'est là la véritable naissance de la Tchécoslovaquie, dont la naissance aura été finalement plus douloureuse que la dissolution, en 1993.