Un mois après la fusillade, la faculté des Lettres réinvestie par les étudiants et professeurs
La Faculté des Lettres à Prague a rouvert ses portes dimanche, un mois jour pour jour après la tuerie qui a causé la mort de 14 personnes et fait 25 blessés dont certains très grièvement. Cette réouverture partielle s’inscrit dans un processus de deuil et de réappropriation du lieu par la communauté universitaire, avant la reprise officielle des cours lors du second semestre universitaire en février et alors que plusieurs personnes blessées sont encore hospitalisées.
La question s’est posée très vite, dès après la tragédie survenue fin décembre, quelques jours avant les fêtes de Noël : comment professeurs, étudiants et personnel non-universitaire vont-ils pouvoir revenir dans ce lieu entaché par le souvenir des amis et collègues disparus et par la violence du feu qui s’y est déchaînée cet après-midi du 21 décembre ?
Très vite, à côté des manifestations spontanées de deuil et de soutien des Pragois sous forme de bougies, de fleurs, de messages déposés devant le bâtiment situé place Jan Palach, l’Université Charles a décidé que la réappropriation du lieu se ferait via une série d’événements divers, échelonnés jusqu’au 19 février, date à laquelle les cours reprendront officiellement. Autant de jalons visant d’un côté à accompagner symboliquement la communauté étudiante et professorale et de manière collective, mais aussi à laisser le temps pour des travaux de réaménagement partiel des locaux qui ont subi, notamment au dernier étage, de lourdes dégradations. Eva Lehečková, doyenne de la Faculté des Lettres :
« Il y a différentes phases pour cette réouverture : elles ont été organisées de telle sorte que le 19 février, lorsque débutera le second semestre, nous puissions ouvrir le bâtiment depuis le rez-de-chaussée jusqu’au troisième étage inclus. Ce lieu va pouvoir redevenir celui de l’enseignement, de la science et des rencontres. »
Les semaines écoulées depuis la tragédie ont donné lieu à de nombreux reportages, manifestations collectives de solidarité et témoignages de survivants dans divers médias. Parmi les récits particulièrement marquants, celui de cet étudiant en histoire, Tomáš Hercík qui participait à un séminaire au deuxième étage de la faculté et qui, apprenant la nouvelle de la fusillade via un camarade, n’a pas hésité une seconde :
« À ce moment-là, je me suis dit que je devais faire quelque chose. J’ai repoussé ma chaise et j'ai couru hors de la salle de classe jusqu’au quatrième étage, » a-t-il confié à la Télévision tchèque, expliquant qu’il s’était empressé de faire le tour des salles de cours pour prévenir étudiants et professeurs de la situation, en les appelant à se barricader. Entré finalement au contact avec les forces de l’ordre qui avaient investi le bâtiment de la faculté, il a pu également orienter les membres des unités d’intervention, ignorants du plan des lieux, sur la localisation des cages d’escalier et des ascenseurs, comme le montre bien un enregistrement de la police. De nombreux camarades de cours ont salué son courage, soulignant que son intervention avait contribué à leur sauver la vie.
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Au cours de récentes conférences de presse, la police a également rendu hommage au sang-froid des étudiants et professeurs qui, en ayant la présence d’esprit de se retrancher dans des salles de cours, ont, selon elle, contribué à ce qu’il n’y ait pas davantage de victimes. De ces longues heures, enfermés sans savoir réellement ce qu’il se passait, une professeure d’histoire, Daniela Tinková, nous avait parlé au lendemain de la tuerie :
« D’abord on ne savait pas quoi faire, entre essayer de quitter le bâtiment ou rester sur place. Finalement, j’ai décidé de rester sur place, ça m’a paru plus certain. S’il y a une fusillade, c’est assez dangereux de fuir et de courir dans les couloirs et les escaliers, donc on a décidé de rester sur place, de fermer la porte et de se barricader. On a mis les tables contre la porte et on a appelé la police. Ils nous ont assuré qu’ils étaient déjà au courant, que des gendarmes étaient déjà dans le bâtiment, ils nous ont conseillé d’éteindre la lumière, de se mettre assis par terre, et de s’éloigner des fenêtres. »
Comment ont réagi vos étudiants pendant tout ce temps-là ?
« Ils ont été admirables, ils sont restés vraiment calmes, ils n’ont pas paniqué, il n’y a pas eu de cris, ni de confusion. »
Le mois écoulé depuis la fusillade du 21 décembre a suscité également des interrogations sur la réaction des forces de l’ordre qui a fait l’objet de certaines critiques, d’aucuns estimant que la police a pu sous-estimer la situation et perdre un temps précieux. Une première enquête préliminaire interne a estimé que celle-ci avait été adéquate, n’était un défaut de communication avec la direction de la faculté. Parallèlement, l’intervention de la police fait l’objet d’une procédure d’enquête menée par l’Inspection générale des forces de sécurité (GIBS) dont les résultats ne devraient pas être connus avant le mois de mars, selon le ministre de l’Intérieur Vít Rakušan (STAN).
Conséquences indirectes de la tragédie, si l’enquête sur la fusillade se poursuit, la police a également dû gérer parallèlement depuis le 21 décembre, d’autres procédures liées à l’expression publique, notamment via les réseaux sociaux, d’apologie du tueur, ou au contraire, de négation pure et simple que la fusillade ait réellement eu lieu.
Plusieurs personnes sont à ce jour encore hospitalisées en raison de la gravité de leurs blessures. La solidarité des Tchèques s’est toutefois exprimée avec des dons importants au Fonds de l’Université Charles. Parallèlement, une collecte publique en ligne a déjà amassé près de 3,5 millions de couronnes pour venir en aide à Eliška, touchée par balle à sept reprises. La poitrine, y compris le poumon droit, la région lombaire de la jeune femme ont subi de graves lésions, mais elle souffre aussi de blessures à un membre inférieur au niveau de la hanche, du fémur et du genou : son état de santé global nécessitera des mois de convalescence, de rééducation et de psychothérapie.