Un roman de Bohumil Hrabal en bande dessinée

Bohumil Hrabal

"Une trop bruyante solitude", le livre de Bohumil Hrabal, ne cesse d'inspirer les artistes. L'histoire du vieux Hanta, un des personnages hrabaliens les plus célèbres et auquel l'auteur a donné de nombreux traits autobiographiques continue à nous poursuivre, à nous hanter. Il travaille dans un centre de collecte de vieux papiers où il fait écraser dans une grande machine hydraulique les livres condamnés par le régime communiste. Dans les années 1990, le roman sur ce fossoyeur de livres a été porté à l'écran par la réalisatrice Vera Caisova avec Philippe Noiret dans le rôle principal. Récemment, un groupe d'artistes français est venu à Prague pour présenter leur oeuvre commune - "Une trop bruyante solitude" adaptée en bande dessinée. A cette occasion le dessinateur Ambre, le scénariste Lionel Tran et la photographe Valérie Berge ont proposé aux Pragois deux expositions, plus précisément une exposition en deux volets. Au Musée de la littérature nationale dans le couvent de Strahov on peut voir des documents (dessins et photos) sur 'l'adaptation du texte de Hrabal en bande dessinée, tandis que dans la synagogue de Prague-Liben une exposition scénographique doit permettre au spectateur de pénétrer dans l'univers hrabalien. Comment cela se fait que des artistes français trouvent tant d'inspiration dans le roman de Hrabal?Pourquoi ont-ils choisi justement "Une trop bruyante solitude"? J'ai posé ces questions et encore beaucoup d'autres au scénariste de la bande dessinée, Lionel Tran.

"J'ai lu le livre en 1999, c'est mon amie Valérie Berge, qui est photographe, qui me l'a conseillé. C'est un roman très court qui se lit en quelques heures, mais qui a une force incroyable, qui condense énormément de thèmes et j'en suis tout de suite tombé amoureux."

Avez-vous senti immédiatement le besoin de l'adapter en bande dessinée?

"A l'époque où j'ai lu "Une trop bruyante solitude" je venais de terminer avec Ambre notre premier album de bandes dessinées qui est un album de 130 pages, un album minimal, c'est une bande dessinée expérimentale proche du Nouveau roman. Nous avions besoins de faire, après, un travail complètement différent. Il faut savoir que le travail que je fais habituellement, le travail d'écrivain de bandes dessinées, est un travail qui est ancrée dans le réel. Je pars d'une expérience que j'ai eu et que je travaille comme matériau. L'idée c'est de faire quelque chose qui soit juste dans le ton. Le roman m'a beaucoup plus et tout de suite je me suis retrouvé face à quelque chose d'extrêmement difficile, parce que c'est un roman qui a ses amoureux ; je savais que c'était prendre une responsabilité énorme vis-à-vis des lecteurs du roman. Je crois que c'est ça qui m'attirait et je me suis demandé comment moi, en tant qu'auteur, je pouvais trouver une porte d'entrée dans ce roman. Et je ne la voyais pas. C'est un roman qui parle du monde des ouvriers, des ouvriers du livre, c'est un monde que je ne connais absolument pas. Et une semaine après (à l'époque je cherchais du travail) j'ai trouvé une annonce pour aller travailler dans une imprimerie et je me suis dit: "Peut-être si je suis pris dans cette imprimerie, cela pourrait m'aider pour faire cette adaptation." J'ai travaillé dans cette imprimerie pendant deux ans, aujourd'hui elle est fermée. Ce que j'ai vu, était très proche de ce qu'il y avait dans le roman, et toutes les photographies de machines, les photos des visages qu'il y avait dans l'album de la bande dessinée, c'est des anciens typographes qui devraient travailler, aujourd'hui, sur des machines offset et qui maintenant ont perdu leur travail. C'était très proche et si je n'avais pas cela, je n'aurais pas osé d'adapter "Une trop bruyante solitude"."


"Voilà trente-cinq ans que je travaille dans le vieux papier et c'est toute ma love story, dit Hanta, héros d'"Une trop bruyante solitude" au début du roman. Voilà trente-cinq ans que je presse des livres et du vieux papier, trente cinq ans que, lentement, je m'encrasse de lettres, si bien que je ressemble aux encyclopédies dont pendant tout ce temps j'ai bien comprimé trois tonnes ; je suis une cruche pleine d'eau vive et d'eau morte, je n'ai qu'à me baisser un peu pour qu'un flot de belles pensées se mette à couler de moi; instruit malgré moi, je ne sais même pas distinguer les idées qui sont miennes de celles que j'ai lues." Hanta n'arrive donc pas a considérer les livres qui tombent par le trou du plafond dans la cave où il travaille comme des déchets sans valeur. Certes, il en écrase beaucoup dans sa machine, mais il les aime et il les collectionne. Il est le fossoyeur de ces livres martyres, mais il est aussi leur monument funéraire, parce les livres qu'il a écrasés, ont laissé une empreinte en lui, dans son âme. Il ira jusqu'à partager leur sort. Au moment où la nouvelle technique sophistiquée remplace sa machine hydraulique et le vieux Hanta devient inutile, il finit ses jours avec ses livres bien aimés au fond de la vieille presse.


Est-ce que le texte s'est prêté plus facilement à l'adaptation après cette expérience de l'imprimerie?

"Beaucoup plus. J'ai commencé à écrire l'adaptation la semaine où mon contrat de travail à l'imprimerie était fini et j'avais encore à l'esprit les gens qui étaient là-bas, le fait qu'eux, il continuaient à travailler. Pour faire l'adaptation j'ai complètement retapé le roman, en entier, du premier au dernier mot. Et j'ai comparé ce que j'avais vécu avec ce que disait Hrabal et j'ai gardé certaines choses, d'autres non. Je pouvais faire ce travail-là. Autrement, je ne crois pas que j'aurais été capable de le faire."

Avez-vous vu le film "Une trop broyante solitude" avec Philippe Noiret dans le rôle principal? Est-ce qu'il y a une grande différence entre une adaptation pour le cinéma et une adaptation pour la bande dessinée?

"Le cinéma et la bande dessinée sont les médiums très différents. Pour nous la difficulté c'est qu'une bande dessinée est un livre, "Une trop bruyante solitude", est un roman, on passait donc d'un médium qui était un roman à un médium qui était très proche. On a cherché vraiment à traduire l'écriture. Comme beaucoup de textes de Hrabal c'est un monologue, on est dans la tête du personnage. Ce qui est écrit c'est ce qu'il sent, c'est ce qu'il pense, ce n'est pas forcément la réalité. Nous avons cherché à traduire cela dans l'album. Le film de Vera Caisova, je l'ai vu après qu'on ait terminé notre adaptation, puisqu'en France il n'est pas distribué au cinéma, c'est très compliqué de le voir. Il y a une différence de médium et après il y a une différence d'adaptation. Le film est plus doux que notre adaptation il fait de Hanta un être humain, nous, nous sommes dans la tête de Hanta, c'est une bande dessinée très expérimentale, puis qu'il y a un décalage entre les images et le texte. On est dans la pensée du personnage. Quand on a montré l'exposition et la bande dessinée en France il y avait beaucoup de gens, qui ne sont pas amateurs de bandes dessinées ni de littérature, qui ont été touchés parce qu'ils avaient perdu leur travail. Ils avaient eu un métier qui a été remplacé par des métiers informatisés aujourd'hui. Le thème qu'il y avait dedans les a touché. Nous avons fait un livre tragique."