Une année en musique
L'année qui vient de commencer sera l'Année de la musique tchèque. A ceux qui aiment la musique cette période donnera de nombreux prétextes pour se délecter en écoutant les oeuvres des compositeurs dont nous célébreront les anniversaires: le 180ème anniversaire de la naissance de Bedrich Smetana, le centenaire de la mort d'Antonin Dvorak, le 150ème anniversaire de la naissance de Leos Janacek, le 120ème anniversaire de la naissance de Josef Suk et le 45ème anniversaire de la mort de Bohuslav Martinu. Nous allons donc maintenant vous donner l'occasion d'apprécier le style de chacun de ces compositeurs et, comme nous espérons, vous donner l'envie de les écouter non seulement au cours de cette année, mais chaque fois lorsque vous aurez besoin de vous arrêter et de prendre un bain de belles mélodies. Et nous allons aussi céder le micro à l'homme qui est probablement le meilleur connaisseur de la musique tchèque en France. Il s'appelle Guy Erismann et il est auteur de nombreux livres consacrés à nos compositeurs et à la musique tchèque en général.
Commençons par Bedrich Smetana, né il y a 180 ans dans la belle ville de Litomysl, en Bohême de l'Est, un des centres de la renaissance nationale tchèque au XIXème siècle, ville culturelle, ville de la bonne bière. Et commençons par effriter un peu l'image trop austère de Smetana, père fondateur de la musique tchèque. Rappelons que Smetana aimait beaucoup la danse et était un excellant danseur. On dit que sa mère a passé toute une soirée à danser avant de mettre au monde, le lendemain, le petit Bedrich. Il avait donc ouvert les yeux sur le monde en dansant et c'est sans doute le secret des innombrables polkas qu'il allait composer et qui allaient devenir immortelles.
C'était "La Polka des dahlias" de Bedrich Smetana. Tandis que Smetana était fils d'un brasseur de château, Antonin Dvorak, autre grande figure de cette "Année de la musique tchèque", est né dans la famille d'un charcutier. On ne pouvait pas savoir que ce garçon d'origine modeste abandonnerait le métier paternel pour l'amour de la musique et finirait pas s'imposer dans les plus importantes salles de concert du monde. Il savait créer une musique robuste et énergique mais aussi des mélodies d'une légèreté et d'une pureté cristalline dans laquelle on chercherait en vain les muscles d'un fils de charcutier...
Le violoniste Josef Suk et l'Orchestre philharmonique tchèque ont joué la Romance pour violon et orchestre d'Antonin Dvorak. Parfois on dirait que la musique tchèque est l'affaire d'une seule famille. Le violoniste que nous venons d'entendre est l'arrière-petit-fils d'Antonin Dvorak et le petit-fils du compositeur Josef Suk que nous voulons vous présenter maintenant. Voici un extrait de sa suite intitulée le Printemps. Il l'a écrite au moment où il attendait la naissance de son enfant et cette attente se reflète aussi dans cette oeuvre. Elle a inspiré au musicologue Pavel Borkovec les lignes suivantes: "Les plans de ses images sont colorés de pastel; les ailes de papillons aux tons tendres flottent au dessus du clavier, illuminés par des éclairs d'accents passionnés. Le vert naissant sous le rayons de soleil, les impressions des coups de vent se propageant dans l'herbe et dans le feuillage, l'attente du grand événement - la naissance du fils, la crainte pour la mère, l'action de grâce - tel est le contenu de l'oeuvre."
Quel est le rôle de la musique dans la vie des Tchèques? Le musicologue français Guy Erismann la considère comme un des éléments fondamentaux de notre identité nationale et il est convaincu que la musicologie doit replacer la musique dans le contexte historique et social. "Il faut que la musique raconte ce qu'est le peuple, ce qu'est le pays, ce que signifie ses paysages, ces sites, etc. dit-il. Sinon, on ne comprend pas, on ne comprend pas les poèmes symphoniques de Smetana, on ne comprend pas pourquoi Dvorak a écrit "Dimitrij" plutôt qu'autre chose, pourquoi Smetana a écrit "Libuse", pourquoi Martinu après être venu en France et s'être nourri de la culture française retourne d'une manière tout à fait nette, vers les racines de son pays, vers Vysocina, par exemple."
Vous connaissez cette mélodie? Si elle vous rappelle quelque chose, alors c'est l'indicatif de notre émission du lundi. "Un peu de musique quand même", que nous avons tiré d'une Sérénade de Bohuslav Martinu. Mais Guy Erismann n'a pas oublié d'évoquer aussi un autre grand compositeur: "Et Janacek, n'en parlons pas, Janacek c'est le soleil, c'est le phare, c'est, comment dirais-je, c'est un visionnaire, non seulement un visionnaire de la musique mais aussi de la vie sociale." Et nous voilà face à une autre grande figure de l'année de la Musique tchèque. Guy Erismann a écrit une monographie de ce compositeur intitulé"Leos Janacek ou la Passion de la vérité". Il explique pourquoi il a donné ce titre à son livre..." Oui, parce que votre pays a été longtemps partagé entre plusieurs vérités, je dirais même, entre la vérité et le mensonge, entre ce qu'il était et ce qu'on a voulu en faire. Après Jean Hus et après la Montagne blanche, qu'est ce qu'on a voulu faire de ce pays? Une sorte d'appendice germanique des Habsbourg, alors que cela a été un grand combat afin que le pays reste ce qu'il était ce qu'il représentait non seulement en tant que sol, mais aussi en tant que mentalité. Vous êtes au coeur de l'Europe, ce n'est pas une formule d'historien, une formule de poète. Vous, en Bohême et en Moravie, vous êtes le coeur de l'Europe, le carrefour de l'Europe, tout s'est passé chez vous, les grandes choses se sont passées chez vous, les grands courants de pensées s'y sont rencontrés, les grandes armées s'y sont rencontrées, les grandes religions s'y sont affrontés, etc. Vous êtes un pays qui apporte beaucoup, si l'on se donne la peine d'étudier son histoire, et qui apporte beaucoup aussi à l'histoire des autres. Moi, je ne peux plus parler de l'histoire de France sans penser immédiatement à ce qui s'est passé chez vous en même temps."
C'était un extrait de la Sinfonietta de Leos Janacek, compositeur sorti des milieux traditionalistes pour ouvrir la musique tchèque à la modernité. Si Guy Erismann dit que Janacek est un compositeur phare, un compositeur visionnaire, que dire de Bohuslav Martinu, un grand Tchèque qui a passé presque toute sa vie à l'étranger sans cesser de composer la musique tchèque. Il doit y avoir quelque chose de très fort dans cette musique pour imprégner tellement le coeur d'un homme. Comment Guy Erismann explique-t-il ce phénomène, que voulait-il dire par ses livres consacrés à notre musique? Voici son explication: " ... dire que la musique tchèque existe, qu'elle existe parce que les Tchèques existent eux-mêmes et que c'est la meilleure manifestation, que c'est le meilleur véhicule de votre culture qui passe par la musique qui a été longtemps une des rares expressions restées intactes."Au cours de l'Année de la musique tchèque nous évoquerons les compositeurs géniaux du passé. Aujourd'hui cependant, même Janacek, même Martinu sont des compositeurs classiques. Mais quelle est la musique tchèque contemporaine? Est-ce qu'il y a des personnalités assez fortes et assez originales qui pourraient rivaliser avec ces grands noms du passé? Guy Erismann est optimiste: "Vous abordez le XIXème siècle avec la même richesse, le même potentiel de qualité, de diversité, de variété. Je crois qu'il faut faire confiance à l'avenir. Il n'y a pas de raison que tout ce que vous avez connu en tentatives d'étouffement revienne sous une autre forme. Et je pense et je l'avais dit déjà qu'il faut que les artistes tchèques, les compositeurs tchèques, les créateurs tchèques respectent leur identité culturelle."
La première émission de l'année qui est l'Année de la musique tchèque est terminée. Nous vous souhaitons, pour cette Nouvelle année, santé, bonheur et aussi beaucoup de plaisir à l'écoute de nos émissions.