Urbaniste Krzysztof Nawratek : « la culture est un espace de dialogue »
A la surprise de nombreux spécialistes, la planification urbaine est devenue un des thèmes de la récente campagne électorale pour les élections municipales d’octobre dernier. Les débats sur le sujet s’intensifient également dans un contexte où l’Institut pour le développement et la planification, un organe de la mairie, pond à la chaîne des documents et des stratégies concernant la capitale tchèque, dernièrement un Manuel de création des espaces publics. Au mois de septembre, les organisateurs du festival « Street for Art » (littéralement, « La Rue pour l’Art ») ont convié des experts tchèques et étrangers à débattre de la place de la culture dans l’espace public. A cette occasion, Radio Prague s’est entretenue avec Krzysztof Nawratek, chercheur en urbanisme, dont la pensée s’est sensiblement démarquée des autres intervenants.
Le Polonais Krzysztof Nawratek, chercheur en urbanisme à l’Université de Plymouth en Grande Bretagne, est également l’auteur du plan de découpage territorial alternatif de la ville de Riga, présenté en 2005 à la 6e Biennale des villes européennes et des urbanistes à Copenhague. Fervent partisan de l’élaboration des budgets participatifs, il promeut une ville compacte permettant un renouveau de la ville en tant qu’idée politique. Critique de la logique néolibérale qui prévaut actuellement dans le développement urbain, Krzysztof Nawratek s’est exprimé contre la compréhension de la culture comme d’une commodité à vendre aux touristes :
« Au tout début de la discussion, la culture a seulement été conçue comme un synonyme de l’art et comme une commodité qui peut être vendue. On parlait des manières d’attirer les touristes et d’opportunités d’investissement. Si quelque chose ou quelqu’un manquait vraiment dans ce débat, ce sont les citoyens de Prague qui doivent principalement être pris en compte et non pas la question des touristes ou des investissements. »La première partie de la conférence, lors de laquelle Krzysztof Nawratek s’est exprimé, cherchait à répondre à des questions telles que : qu’est-ce que la culture pour la ville ? Est-elle une vitrine, un objet de commerce ou un élément vivifiant pour ses habitants ? Les représentants de la mairie, invités de cette séance, ont vanté les mérites des grands événements culturels généreusement subventionnés dont la vertu aurait été de fédérer en même temps et au même endroit les habitants de la ville et les touristes. Ils font référence aux concerts en plein air sur les îles de la rivière Vltava, United Islands of Prague, au festival du cirque Letní Letná et plus récemment au Signal Festival, une fête des lumières dont la seconde édition s’est déroulée en octobre dernier.
Lors de la même séance, Weston Stacey, directeur de la Chambre de commerce américaine en République tchèque a présenté une autre opinion. Selon lui, c’est la communauté qui devrait soutenir la culture et non pas l’Etat. A ce propos, Krzysztof Nawratek livre son commentaire :
« C’est une opinion très dangereuse. Le problème du système actuel est qu’il contient beaucoup de cavités permettant l’évasion fiscale. Nous, les citoyens, nous payons des impôts. Ceux qui ne paient pas sont les grandes corporations. Cela serait injuste d’attendre des gens qu’ils paient encore plus ne serait-ce que pour le maintien des musées. Si les individus veulent contribuer financièrement au développement des projets culturels, c’est parfait. Néanmoins, l’Etat reste l’acteur important. Il garde son rôle de négociateur entre les différentes communautés. En absence d’un médiateur entre les communautés, on tombe plus facilement dans une forme de xénophobie du genre « cela est mon territoire, dégage ». L’Etat est important pour dialoguer avec les communautés locales. »Pour déterminer les priorités de l’action publique en matière de culture, Krzysztof Nawratek est convaincu que les gens s’approprient les institutions qu’ils estiment bénéfiques.
« Si la Galerie nationale faisait réellement partie d’une culture plus démocratique, de ce dialogue démocratique, elle ne devrait pas être menacée de fermeture car les gens l’empêcheraient. La bibliothèque d’Alexandrie n’est peut-être pas le meilleur exemple, mais pendant les turbulences politiques en Egypte lors du Printemps arabe, les gens ont créé une chaîne humaine pour protéger la bibliothèque, parce qu’ils la considéraient importante. Cela montre pourquoi le dialogue avec le public est important. Si personne ne s’y intéresse, alors oui, vous pouvez juste fermer ces institutions. »
Malgré les efforts, plutôt modestes, d’attirer les gens dans les musées et les bibliothèques, beaucoup de gens en sont toujours exclus, résultat non seulement des tarifs d’entrée mais aussi de la violence symbolique que peuvent exercer ces espaces pour ceux qui ne disposent pas des codes sociaux attendus. Krzysztof Nawratek estime qu’il faut chercher de l’inspiration ailleurs :
« Je me rappelle de mon séjour à Helsinki où j’étais invité pour une conférence. J’avais une journée de libre et j’ai décidé de la passer à la galerie nationale de Kiasma. Dans la galerie, j’ai vu un groupe d’enfants âgés de cinq ans munis de coussins qui se déplaçaient d’un objet à l’autre. C’est une galerie d’art moderne, c’est un art que je n’ai pas moi-même entièrement compris. Mais chaque école maternelle y passe une semaine. Un employé de la galerie passe toute la semaine avec les enfants. Il leur donne aussi du temps pour jouer et de cette manière pour participer à la culture. C’est comme ça que ça marche en Scandinavie et je pense que c’est la bonne manière de faire. »Mais limiter la culture aux musées et plus généralement à l’art revient à avoir une vision très élitiste de la culture. Krzysztof Nawratek en donne une définition beaucoup plus large basée sur l’idée du dialogue :
« Je conçois la culture de la manière la plus étendue possible. Pour faire simple, je dirais que la culture est une sphère ou un espace de dialogue entre différentes valeurs, langages et logiques. »
Beaucoup de participants à la conférence semblaient sous-entendre que la culture permet avant tout d’éduquer les gens, une vision qui mérite réflexion, selon Krzysztof Nawratek :
« C’est une question épineuse, en particulier dans le contexte postsocialiste où l’éducation par la culture était l’un des objets de la propagande. Néanmoins, dans une certaine mesure, le processus de socialisation fait aussi partie de la culture. La dimension du dialogue est très importante. C’est problématique quand une seule communauté décide ou quand seul l’Etat dicte ce que doit être la culture. Ce sont deux extrêmes, il faut trouver un juste milieu. Il est clair que la culture cultive les gens et nous permet de communiquer et de comprendre nos comportements. »
Krzysztof Nawratek est persuadé que la culture permet une certaine mobilité sociale surtout dans un contexte où les gens se l’approprient. Pour avoir la capacité de s’approprier la culture, les citadins devraient avoir un sentiment d’appartenance à la communauté qui s’entretient notamment à travers différents projets participatifs.
« Je dirais que la Pologne est un pays où les gens sont extrêmement individualistes, mais même en Pologne les processus de participation gagnent en ampleur et les gens commencent à s’engager. C’est lent, mais ça vient. Si c’est possible en Pologne, je suis sûr que c’est également possible en République tchèque. »
Le quartier de Letná à Prague peut être un exemple d’une coopération déjà existante. Les habitants du septième arrondissement se sont mobilisés contre la construction d’un centre commercial de huit étages près de Stromovka, l’espace vert du quartier. Ils ont mis en place une association qui lutte contre ce projet d’un développeur immobilier qui, selon eux, ravagera le caractère particulier du lieu, où les achats se font encore chez des petits commerçants et ne sont pas concentrés dans des centres commerciaux géants. En coopérant, les habitants du quartier se sont lancés dans d’autres projets, comme des visites guidées architecturales ou l’organisation des vendanges. La mairie a soutenu ce dynamisme en sollicitant le groupe d’anthropologues Anthropictures, des professionnels de la délibération communautaire, pour assister les deux côtés dans la volonté d’œuvrer à modifier leur quartier.Néanmoins, pour pouvoir mieux gérer le développement d’un quartier, il faudrait que l’autorité publique soit le propriétaire de ces lieux et l’idée de l’importance de la propriété publique constitue le cœur de l’argument défendu par Krzysztof Nawratek à Prague :
« Il y a eu une opportunité manquée avec la chute du régime communiste car à l’époque, les pays de la région ont adopté le type de capitalisme du courant dominant avec comme mot d’ordre de privatiser au maximum. Mais les mairies sont encore propriétaires de grandes surfaces dans les villes. Pour commencer, toute privatisation devrait être arrêtée maintenant ! »
A Prague, une ville qui s’étale sur près de 500 km2, la mairie est encore propriétaire de 145 km2 de surface, un chiffre qui cache pourtant une privatisation que certains urbanistes qualifient de sauvage. Krzysztof Nawratek conseille :
« Il faut négocier les termes selon lesquels les gens, les institutions et les entreprises pourront utiliser l’espace de la ville. C’est important car dans la politique de la cité, le dialogue est possible. En revanche, quand le terrain est vendu, vous perdez le contrôle du devenir de ce terrain. Vous pouvez rétorquer que le gouvernement est le méchant et qu’il est difficilement accessible mais vous avez toujours un certain contrôle. Vous votez pour ce gouvernement, vous avez certains moyens de contrôle. Avec les entreprises, c’est beaucoup plus difficile. Ce n’est pas impossible. En effet, tout le système de la planification est basé sur l’idée de poser certaines limites et règles à l’usage de la propriété privée. »Depuis janvier 2014, une loi permet d’exproprier un bâtiment laissé à l’abandon pendant plus de dix ans. Krzysztof Nawratek considère qu’il s’agit d’un premier pas modeste dans le bon sens.
Ces temps-ci, la ville de Prague élabore son plan territorial ainsi que de nombreux autres documents, comme le Manuel de création des espaces publics. La conférence Praga Caput Cultura, qui s’est tenue dans le cadre du festival Street for Art en septembre dernier, a été organisée pour contribuer à la conception de la Stratégie pour le développement de la culture et du tourisme à Prague. Si les idées qu’a présentées Krzysztof Nawratek à cette occasion trouvaient un écho dans ces documents, cela faciliterait l’association du public au processus décisionnel sur le sort de la ville. Néanmoins, la différence entre les principes énoncés sur le papier et la réalité de l’administration locale est telle que, pour avoir son mot à dire, il faut souvent le réclamer et non pas attendre qu’une mairie éclairée veuille bien l’accorder.