Vaccins russes et chinois : le groupe de Visegrád fait cavalier seul
Alors que les pays d’Europe centrale sont mis sous tension par le Covid-19 et ses variants, les différentes campagnes de vaccination dans les pays du V4 progressent lentement. Pour accélérer la cadence, les dirigeants hongrois, mais désormais aussi les Polonais, les Slovaques et les Tchèques se tournent vers les vaccins russe et chinois – quitte à se mettre une fois de plus l’Union européenne à dos.
Le premier à avoir franchi le pas a été le Premier ministre hongrois Viktor Orbán. Dès le mois de novembre 2020, il discutait avec le Kremlin de la possibilité de se faire livrer le vaccin russe, et avec Pékin l’achat de doses chinoises. Dimanche, il a d’ailleurs posté sur Facebook les photos de sa propre vaccination, exhibant fièrement l’emballage du vaccin chinois utilisé.
Il n’aura pas fallu très longtemps avant que les voisins centre-européens n’embrayent. Le Premier ministre slovaque Igor Matovič était lundi sur le tarmac de l’aéroport de Košice pour recevoir, par avion militaire, 200 000 doses de Spoutnik V. Il en a commandé pour son pays un total de 2 millions. Andrej Babiš a lui demandé aux autorités de contrôle sanitaire tchèques d’autoriser le vaccin russe, afin de commencer la distribution dans le pays. Du côté de la Pologne, pays radicalement anti-russe, le président Andrzej Duda a fait part de son intérêt auprès de son homologue chinois pour obtenir les vaccins du laboratoire Sinopharm. Les pays du V4 s’apprêtent donc tous à se passer de l’aval de l’Agence européenne du médicament.
Les gouvernements slovaque et tchèque sous pression
Si la position de Viktor Orbán de se tourner vers la Russie et la Chine n’est pas surprenante, la décision du Premier ministre slovaque, et l’intention affichée en République tchèque par Andrej Babiš le sont un peu plus car il s’était engagé il y a quelques semaines à attendre la décision et à agir de concert avec les 26 autres membres de l’Union européenne. Le 10 février il déclarait à ce propos :
« Nous avons appris que la Russie avait déjà demandé l'autorisation de son vaccin de l'auprès de l'Agence européenne du médicament. Nous attendons le résultat. Pour nous, il est important de recevoir les vaccins le plus rapidement possible, car la plupart des livraisons doivent arriver en Tchéquie seulement dans le deuxième trimestre. Mais avons besoin du vaccin maintenant, en mars et en avril. »
Depuis, l’Agence européenne du médicament a précisé : la Russie n’a pas formulé de demande de mise sur le marché, seul un avis scientifique a été sollicité. Quoi qu’il en soit, à peine 20 jours plus tard, pour Andrej Babiš il n’est plus question d’attendre. Derrière ce changement radical, il y a une situation sanitaire accablante. Les variants ont mis encore plus en difficulté des pays déjà fortement touchés depuis l’automne. Dans ce contexte, la pression devient toujours un peu plus forte sur le Premier ministre et son gouvernement. Le président Miloš Zeman, ouvertement pro-russe, avait, lui, d’ores et déjà contacté Vladimir Poutine pour envisager l’achat de Spoutnik V.
L’idée d’autoriser unilatéralement le vaccin soulève quelques remous au sein du parlement. Au micro de la Télévision tchèque, le député ODS Bohuslav Svoboda s’est dit inquiet :
« Les fabricants russes n’ont même pas demandé l’autorisation de mise sur le marché européen, et ils savent probablement bien pourquoi. Ainsi, il ne nous est pas possible d’utiliser le vaccin dans une situation aussi dangereuse qu’est la lutte contre le Covid. »
Le sujet provoque des crispations en Europe
Après la parution d’une étude dans la très sérieuse revue The Lancet qui avait démontré son efficacité à 91.6%, la Chancelière allemande Angela Merkel avait laissé la porte ouverte au vaccin russe – à condition que l’Agence européenne du médicament ne l’autorise. Même son de cloche du côté de la Commission européenne, bien que sa présidente Ursula von der Leyen ait émis quelques réserves :
« Nous nous demandons encore pourquoi la Russie continue théoriquement de fournir des millions de doses, alors qu’elle peine à vacciner sa propre population ».
Cette décision unilatérale de la part de dirigeants d’États membres de l’Union européenne suscite donc quelques crispations. Si l’objectif de la France et de l’Allemagne était de ressouder l’Europe en offrant respectivement 100 000 et 15 000 vaccins à la République tchèque, le revirement centre européen met encore plus en lumière les difficultés qu’affrontent en ce moment les 27.
Dans certains titres de la presse étrangère, on s’interroge d’ailleurs : est-ce le retour du V4 façon vilain petit canard, rompant volontiers les rangs de l’unité européenne, comme en 2015 au temps de la crise migratoire ? Difficile de faire un tel parallèle d’autant que d’autres, dont Saint-Marin, se tournent vers le vaccin russe également à défaut d’une distribution rapide d’autres vaccins par Bruxelles.
Autre défi, que l’on n’avait peut-être pas vu venir : la Commission européenne devrait présenter un projet de passeport vaccinal européen. Comment seront alors considérés les citoyens européens ayant reçu les vaccins russe ou chinois ? Rappelons que, pour l’heure, l’Agence européenne du médicament n’en reconnaît que trois (Pfizer/BioNTech, Moderna et AstraZeneca), et que chaque État membre se voit attribuer une partie des stocks accumulés par l’Union européenne en fonction de sa population. Notons également qu’à l’heure actuelle, la République tchèque n’a administré que 70% des doses qu’elle a reçues.