Václav Radimský, le plus impressionniste des peintres tchèques
Václav Radimský (1867 – 1946) a passé vingt-huit années de sa vie en France. Ami de Claude Monet, il a vécu et travaillé près de Giverny, charmé, tout comme d’innombrables peintres français et étrangers, par cet endroit. Avec cette même passion pour la nature, l’eau, la couleur, la lumière et la fugacité du moment vécu en plein air, Václav Radimský peignait également sa région natale, les environs de l’Elbe. Il a laissé derrière lui une œuvre immense, dont seulement une partie – environ 200 toiles – est exposée jusqu’au 5 février prochain à la Bibliothèque municipale de Prague.
Le plasticien Aleš Rezler qui a organisé, en 2006, une exposition de Radimský à la Galerie Felix Jenewein de Kutná Hora, écrit dans le catalogue de cette exposition :
« Il est évident que l’enfance de Václav a été littéralement baignée par l’Elbe, par ce cours d’eau jadis pure, moyen de subsistance, mais également moyen de divertissement pour les enfants, avec ses possibilités de baignade, ses plages de sable et ses cachettes. La rivière, plan d’eau étonnant de par sa force, son côté effréné et ses caprices, a accompagné Václav tout au long de sa vie. Rien ne lui était plus familier qu’une rivière. »Václav Radimský aurait hérité le talent pour le dessin de sa mère. Il a fait ses premières esquisses lorsqu’il était élève du lycée de Kolín. Radimský effectue ensuite de courts séjours d’études aux Beaux-Arts de Vienne et de Munich, pour se rendre très tôt, vers l’âge de 23 ans, à Paris. Nous écoutons l’historien de l’art Karel Srp :
« La première période importante, dans sa carrière de peintre, ne commence pas en France, mais par ses études à Vienne. Radimský a étudié à l’Ecole des Beaux-Arts, chez Lichtenfels, qui était un grand paysagiste. Mais cela ne convenait pas à Radimský. Probablement, il s’ennuyait, même s’il a créé à cette époque-là une série de très belles toiles. S’il était resté à Vienne, il serait à coup sûr devenu un des plus importants paysagistes autrichiens réalistes. »
Aleš Rezler ajoute, dans son catalogue, une raison supplémentaire, et plus prosaïque, au départ de Radimský à Paris, en 1890 : une seule année passée à Vienne a suffit, paraît-il, au jeune Radimský pour dépenser l’argent hérité de sa mère, morte lorsqu’il avait trois mois seulement, et qui était destiné, comme le souhaitait sa belle-mère, à financer ses études artistiques.
Václav Radimský met donc le cap sur Paris, où il est accueilli et soutenu par la peintre tchèque Zdenka Braunerová qui le présente également à ses amis français. Radimský découvre Barbizon, lieu de prédilection des peintres paysagistes. Il y rencontre les peintres impressionnistes et se lie d’amitié avec Claude Monet et Paul Cézanne notamment : avec ce dernier, Radimský partage même un atelier à Paris.
A Barbizon, Radimský peint le premier de ses célèbres tableaux, intitulé « Etudes de fougères », pour lequel il est récompensé, en tant que plus jeune peintre, au Salon de Paris en 1894. Dans les écrits de Radimský, Aleš Rezler a trouvé une brève remarque à ce sujet :« Lorsqu’une enveloppe avec un cachet doré est arrivée à Barbizon, tout le village fêta l’événement pendant environ une semaine ».
Radimský enchaîne avec d’autres récompenses : les médailles d’or à Rouen (1895) et à l’Exposition universelle à Paris (1900). A l’instar de Claude Monet, Václav Radimský s’installe près de Giverny, dans le village du Goulet, où il achète un vieux moulin, appelé La Bergamotte. Cette région située dans la vallée de la Seine, à la limite de la Normandie et de l’Ile-de-France, inspire le peintre tchèque pendant plus de vingt ans. Karel Srp explique :
« Les peintres de l’Ecole de Rouen, le cercle qui s’était formé autour de Claude Monet, ont aidé Radimský à trouver sa propre voie, à laquelle il est d’ailleurs resté fidèle jusqu’à la fin de sa vie. Désormais, il sera concentré sur les reflets sur l’eau, sur la surface d’eau en tant que telle, sur le temps qui s’écoule... C’est, je crois, le trait principal de son œuvre : les reflets, l’effet de miroir, tous ces sujets qui expriment l’unité et l’intégralité de l’univers sont typiques pour Radimský, qu’il peigne le printemps ou l’hiver. »
Naděžda Blažíčková-Horová, commissaire de la grande rétrospective pragoise de Radimský, ajoute :
« Ce qui l’intéressait, ce n’était pas le paysage en tant que tel, mais les conditions atmosphériques et l’éclairage dans lesquels il essayait de le capter, c’est-à-dire le paysage sous la pluie, sous l’orage, dans une bourrasque, le paysage baigné par le soleil, au lever du jour, au crépuscule… Radimský était capable de peindre jusqu’à quatre tableaux en même temps, comme on le voit sur une photographie. Sur les quatre tableaux du même format, il y avait le même paysage, mais peint à différents moments de la journée et aussi le beau et le mauvais temps. » En 1899 a lieu la première exposition de Václav Radimský à Prague. Elle a ressemblé 88 tableaux et a constitué, en soi, un premier contact du public tchèque avec le style impressionniste. Depuis, Radimský expose régulièrement en Bohême, où il vient souvent pour rendre visite à sa famille et, évidemment, au Salon de Paris, mais aussi un peu partout en Europe : à Londres, à Vienne, à Varsovie… Nous l’avons déjà dit, Václav Radimský avait aussi un talent commercial : avant la Première Guerre mondiale, il a fondé, avec un de ses frères, une usine de production de conserves de marque « Bohemia ». Cette usine fournissait des conserves de volaille, de pâtés de gibier et de foie gras, ainsi que des plats en conserve, comme le goulasch ou les saucisses de Prague. Radimský savait profiter de ses voyages d’affaires pour peindre et aussi pour exposer et vendre ses tableaux à travers l’Europe. En 1907, Radimský fait la connaissance de sa future épouse, Louise Fromont, une Française de Vernon. Leur fille unique meurt de la scarlatine quelques mois après sa naissance. En juin et juillet 1914, Radimský accueille sa famille tchèque au Goulet. Fin juillet, suite à la déclaration de la Première Guerre mondiale, la famille de Radimský se dépêche de retourner en Bohême. Coup très dur pour le peintre : en tant que « sujet autrichien », donc ressortissant d’un pays ennemi, il est mis en prison. Suite aux interventions de quelques amis influents, et notamment du Premier ministre Georges Clémenceau qui possédait l’un de ses tableaux, Radimský est libéré et interné ensuite au Goulet.Désenchanté, Václav Radimský a quitté la France en 1918, après y avoir vécu pendant 28 ans, et il est retourné définitivement en Bohême. Jusqu’à sa mort en 1946, il a vécu, avec son épouse française, dans la propriété familiale à Pašinka, près de Kolín, sa ville natale. Aleš Rezler, fin connaisseur de l’œuvre de Radimský, constate que le peintre a « accepté son nouveau rôle d’artiste national, de peintre de la vallée de l’Elbe ». Ce peintre, un des artistes les plus prolifiques, les plus vendus et les plus aimés du public de l’entre-deux-guerres, a tout de même été vu d’un mauvais œil par la scène artistique tchèque de l’époque : étant considéré comme un épigone de Monet, dont la peinture est répétitive et trop plaisante… Ce n’est qu’au début du nouveau siècle que nous assistons à un nouvel engouement pour l’œuvre de Václav Radimský dans son pays d’origine.
Organisée par la Galerie de la ville de Prague, l’exposition consacrée à Václav Radimský se tient jusqu’au 5 février prochain à la Bibliothèque municipale, sur la place Mariánské náměstí, dans le 1er arrondissement de la capitale. Elle est ouverte de mardi à dimanche, de 10h à 18h.