Vincent Byrd Le Sage : « Le discours d’Obama à Philadelphie touche à l’universel »
Le 18 mars 2008, le futur président américain Barack Obama prononçait à Philadelphie un discours qui, sans le savoir, allait faire date. Le 18 mars 2009, c’est le comédien français Vincent Byrd Le Sage qui récitait ce même texte, dans la langue de Molière, au théâtre Archa à Prague. Ce discours a été prononcé par Barack Obama en guise de démenti aux propos discriminatoires de son pasteur, le révérend Wright, qui avait déclenché la polémique en déclarant que les attentats du 11 septembre étaient « un signal d’alarme » pour l’Amérique « afin qu’elle se rende compte que les Arabes et les Noirs existent toujours. » Le comédien Vincent Byrd Le Sage présente un Barack Obama très crédible, même s’il affirme ne pas avoir cherché à l’incarner. En tout cas, il devait y être prédestiné : métis, comme le président américain, il est aussi né le même jour que lui, le 4 août 1961. C’est le metteur en scène José Pliya qui lui a proposé une lecture, et Vincent Byrd Le Sage nous raconte comment il a découvert ce discours fondateur, souvent comparé au fameux « I have a dream » de Martin Luther King.
« Je suis allé récupérer le texte, je l’ai lu. J’ai trouvé ça pas mal. Sans plus. On devait se voir pour répéter à voix haute, et je me suis dit ‘je vais quand même le lire à voix haute une fois, avant de travailler ensemble, pour me rendre compte’. Et au cours de cette lecture à voix haute, je me suis mis à pleurer. On s’est vus avec José. J’ai refait une lecture. J’ai repleuré. Il a pleuré. On a fait une lecture devant son épouse. Nous avons tous pleuré. Là, on s’est dit ‘il y a quelque chose dans ce texte qui transcende vraiment la dimension politique, politicienne, même américaine’, car ni José ni moi ne sommes américains, et ça nous parle beaucoup. Cela transcendait et la couleur et l’origine et la nationalité. On touchait à l’universel. »
Vous dites avoir pleuré, mais comment le public réagit-il à ce texte ?
« En général, on fait un débat ou plutôt des échanges après le spectacle pour que les gens puissent dire ce qu’ils ont envie de dire sur le spectacle. C’est un texte très doux, très bienveillant, et ce qui ressort dans les échanges, c’est cette bienveillance. Il y a des gens que ça amène jusqu’aux larmes, d’autres que ça amène dans une profonde réflexion politique, pas dans le sens ‘qui est élu où ?’, mais ‘qu’est-ce que c’est censé faire à notre société et à nous-même, qu’est-ce que la politique pour nous ?’ Je pense que cela réveille le citoyen en chacun. »
Pensez-vous que ce type de discours soit possible en France par exemple ? Par une personne de la stature d’Obama.
« En fait, je pense qu’on a déjà eu, un petit peu ou beaucoup, certains politiques qui ont tenu ce type de propos, à savoir à un niveau philosophique, spirituel sur le sens de leur rôle d’organisation de la société. La difficulté qu’on a en France c’est que cela reste au stade des paroles. Chez Obama, ce n’est pas un petit bout, ça a été redondant dans toute la campagne, ce niveau de réflexion-là. Ensuite il y a une très grande affirmation du ‘nous’. C’est cela la grande évolution par rapport à Martin Luther King. Lui dit ‘j’ai fait un rêve’. Pour ma communauté. Et Obama c’est ‘oui, nous pouvons’. C’est très important : il ne se met ni dans une position personnelle à part, ni dans celle de leader (‘je vais résoudre vos problèmes’). Il dit : ‘nous pouvons, si nous travaillons ensemble, résoudre nos problèmes’. »
En dehors de cette lecture que vous disiez très émotionnelle, comment avez-vous abordé l’interprétation de ce texte sur scène ?
« L’idée de José, que j’ai rejointe immédiatement, c’était de ne pas chercher à copier Barack Obama, de ne pas chercher à refaire comme si on était à l’époque du discours. Ce n’est pas le cas : je ne suis pas américain, le public non plus. Nous ne sommes pas en mars 2008 et nous ne sommes pas en campagne électorale. Très vite, José m’a proposé de travailler dans le sens de quelque chose de simple où on restitue la parole. Nous sommes en fait des porte-paroles. On le fait de cette manière simple, sobre, sans emphrase, ouverte. »
Qu’est-ce qui vous a vraiment touché dans ce texte ? En tant que comédien, en tant que personne ?
« Je crois qu’on a affaire à un texte qui, alors qu’il est prononcé dans un discours politique, s’avère être un texte personnel, poétique, et quasi messianique. On se fait emmener dans cette dimension beaucoup plus grande que celle qu’on pourrait attendre d’un homme politique. Il nous y emmène très doucement, en se servant de son expérience personnelle, en faisant partager des choses qu’il a vues. Et en faisant le lien entre l’expérience de chacun et l’histoire du monde. A un moment, cet aller-retour entre l’histoire de chacun et celle du monde, ce discours finit par parler à tout le monde... »
Vous dites qu’il parle à chacun. Il a aussi beaucoup parlé au Français, ces Français qu’on dit parfois un peu anti-américains, se sont enthousiasmés pour cette campagne américaine. Est-ce que cet espoir qu’il a suscité hors des frontières et par ricochet par rapport à l’admistration Bush peu aimée, vous l’avez aussi ?
« A mon avis, la chose indéniable et importante, c’est que l’élection d’un homme de couleur, intelligent et a priori compétent, dans un pays démocratique jusqu’à présent à dominante blanche, est un événement historique. Je pense que ça se suffit à soi-même. Après, Obama est-il parfait ? Non. Même les Noirs sont imparfaits. Mauvaise nouvelle (rires). »
Est-ce que c’est quelque chose qui vous semble possible dans les années à venir ? En France par exemple, qui est également diverse. C’est la question qui s’est posée après son élection : à quand un Obama français ?
« Il faudrait déjà qu’il y ait dans la politique des ‘mélaniens’, c’est-à-dire des gens qui ont de la mélanine. Qui aient envie de se lancer vraiment. Il faudrait que les partis politiques aient envie que ça arrive... Il faut des concours de circonstances. Et puis, il ne faut pas comparer l’incomparable. La cohabitation entre Noirs, Blancs, Hispaniques, Ritals, Irlandais, aux Etats-Unis, elle date du jour de la fondation du pays. La grande différence avec la France, c’est que la rencontre avec les populations de l’extérieur, qu’elles soient visibles au niveau de la couleur ou non, est très récente. Une très grande partie des ‘mélaniens’ de France sont des gens dont l’histoire avec la France date dans le meilleur des cas, d’il y a 200 ans. Et en général quand c’était il y a 200, 400 ans, leur histoire était très loin : il y a par exemple les Antilles, où se trouvent beaucoup de Français de toutes les couleurs de peau, c’est quand même à 7000 km ! Donc le rapport de la nation avec les ‘mélaniens’ n’est pas du tout le même qu’aux Etats-Unis où cette République s’est construite, même avec la ségrégation, avec toutes ces communautés-là. »
Hormis ce spectacle, vous avez aussi une compagnie qui a un nom un peu particulier, Les Amigrés. Pourriez-vous nous préciser le concept ?
« Le concept est, je pense, ‘obamien’ avant l’heure, si j’ose dire, puisque ça commence à faire six, sept ans que la compagnie existe. L’idée était de dire ‘on a tous une appartenance multiple, on n’est ni immigré ni émigré mais ‘amigré’, dans le sens où on est tous le résultat d’une migration. Notre appartenance peut être génétique, culturelle, sexuelle, politique, on a plein de doubles appartenances. Vous avez des bouddhistes qui aiment bien le Christ, des Noirs qui se sentent blancs, des Blancs qui se sentent noirs, des Jaunes qui aiment la choucroute... Ca fait très longtemps que dans la vie quotidienne des gens l’appartenance est multiple. Ca fait une personne. La France est le résultat d’invasions des Huns, des Celtes, etc. On est tous de plusieurs origines. Le concept d’amigré, c’était reconnaître cela en chacun de nous, au-delà d’une certaine apparence. »
Est-ce que votre autre spectacle sur Satan est produit par cette compagnie ?
« Le Maître des Ténèbres est né de ce type d’idée. Comme l’autre pièce que j’ai écrite et qui s’appelle I had a dream, la phrase de Martin Luther King conjuguée au passé. En donnant la parole à Satan, dans le Maître des Ténèbres, ce qui m’intéressait, c’était de donner la parole à celui qui est exclu dans tous les cas de figure. Quelquefois le méchant c’est l’autre, quelquefois c’est le Noir, quelquefois c’est le Blanc. Mais il y a une chose sur laquelle tout le monde est d’accord : le diable, c’est le méchant pour tout le monde. Ce qui m’intéressait, c’était de donner la parole au spécialiste mondial et universel de l’exclusion. Le Maître des Ténèbres, c’est cela : c’est la parole donnée à celui qu’on n’écoute jamais. »
Quelle est cette parole alors ? Est-il content ou pas content de l’étiquette qu’on lui colle ? Il l’a quand même bien cherchée...
« (Rires) C’est un très long débat... Disons que quand le spectacle commence il est très en colère, quand il se termine il a beaucoup évolué. J’ai pris un diable extrêmement fidèle à la description qui en est faite dans les textes. Qu’on y croie ou qu’on n’y croie pas, le nom est cité dans les textes sacrés, et j’ai pris ce diable-là. Pas un diable fantaisiste. Et il y a quand même quelque chose d’intéressant. Pour prendre Jésus, qui pour les chrétiens est l’incarnation de Dieu sur la terre : la première chose qui arrive à Jésus une fois qu’il a été baptisé, c’est que Dieu lui-même l’envoie dans le désert. Pour y rencontrer qui ? Le diable. Il y a une vraie question : pourquoi enverrais-je mon fils chéri rencontrer la dernière des ordures si ça ne servait à rien ? »