Violences faites aux femmes : la Convention d’Istanbul fait débat en République tchèque

Radka Maxová prononce à l'audience publique organisée ce mardi à la chambre basse du Parlement tchèque, photo: Vít Šimánek/ČTK

La Convention d’Istanbul, censée protéger les femmes contre toutes les formes de violence, a été au cœur d’une audience publique organisée ce mardi à la chambre basse du Parlement tchèque. Environ 150 personnes ont assisté à un débat houleux qui a opposé les partisans et les critiques de cette Convention du Conseil de l’Europe entrée en application en 2014 mais que la République tchèque n’a pas encore ratifiée.

Radka Maxová s'est exprimée lors de l'audience publique à la Chambre des députés,  photo: Vít Šimánek/ČTK
Le précédent gouvernement tchèque a, certes, signé le document en mai 2016, toutefois, sa ratification par les deux chambres du Parlement, prévue pour l’hiver 2019, suscite des réactions controversées. Promu notamment par la branche locale d’Amnesty International et le Lobby tchèque des femmes, le document est fortement critiqué par l’initiative intitulée La famille tchèque traditionnelle. Les deux camps opposés ont lancé, chacun de son côté, des pétitions qui ont mobilisé au total plus de 10 000 citoyens.

Sur la scène politique non plus, la ratification du traité ne fait pas l’unanimité. Députée du mouvement ANO, Radka Maxová se veut être une ambassadrice de la campagne en faveur de la ratification de la Convention d’Istanbul contre les violences à l’égard des femmes et les violences domestiques. Elle explique en quoi consiste l’importance de ce document :

« Nous voudrions, en premier lieu, donner aux victimes de violences un sentiment de sécurité, leur assurer un rétablissement et un retour à la vie normale. Des mesures concrètes seront prises, par exemple l’amélioration de l’offre de conseils téléphoniques, de l’accès à l’hébergement dans des maisons d’asile. Nous voulons aussi investir dans des services d’assistance psychologique, médicale et juridique. Cette stratégie vise également à faciliter aux victimes de violences leur retour sur le marché du travail, à les aider à trouver un nouvel emploi s’il le faut, ce qui pose d’énormes difficultés aux personnes traumatisées. […] En plus, en ratifiant ce document, la République tchèque ferait part de son intention de participer à la lutte contre de graves violences qui existent dans d’autres pays, il s’agit par exemple des infractions telles que le mariage forcé et la mutilation des organes génitaux. »

Rarement évoquée dans les débats publics, l’adoption de la Convention d’Istanbul est devenue un sujet d’actualité en République tchèque suite à un prêche pour le moins controversé, prononcé par le prêtre Petr Piťha à l’occasion de la fête nationale du 28 septembre, à la cathédrale Saint-Guy de Prague. Soutenu par la suite par le primat tchèque, l’archevêque Dominik Duka, le prêtre de 80 ans a déclaré que la Convention était dirigée contre la « famille traditionnelle ». Il a expliqué entre autres à ses fidèles que les personnes homosexuelles constitueraient une nouvelle « classe dominante » et que les enfants pourraient désormais choisir leur sexe.

Ivana Schneiderová,  photo: ČT24
Autant de craintes partagées par l’initiative La famille tchèque traditionnelle. Nous écoutons sa représentante Ivana Schneiderová :

« La Convention d’Istanbul parle des rôles stéréotypés des hommes et des femmes, sans définir exactement de quels stéréotypes il s’agit. Tout peut être qualifié ainsi. De ce fait, on peut facilement exploiter ce texte qui constitue alors une menace pour la société. »

Refusée en bloc par le Parti chrétien-démocrate KDU-ČSL, la Convention d’Istanbul est jugée « inutile » par le leader du parti Pavel Bělobrádek. « Certes, nous refusons toute forme de violence, mais la lutte contre celle-ci, mentionnée dans la Convention est déjà inclue dans le système juridique tchèque », a déclaré ce dernier. Son collègue du Parti chrétien-démocrate, l’eurodéputé Pavel Svoboda, va encore plus loin dans son analyse du document :

Pavel Svoboda,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
« Les stéréotypes fondés sur le genre qui sont évoqués dans la Convention peuvent être perçus différemment, selon la région où l’on vit. Ces stéréotypes ne sont pas les mêmes en Azerbaïdjan, en Turquie et dans les pays de l’Union européenne, où ils peuvent être perçus comme une mise en cause de la famille traditionnelle, composée par l’homme, la femme et les enfants. Je peux donner un exemple tout à fait banal : en République tchèque, les traditions populaires liées aux fêtes de Pâques peuvent-être qualifiés, selon ce document, comme incorrectes du point de vue de l’égalité entre les sexes. (la tradition du lundi de Pâques consiste en République tchèque à ce que les hommes fouettent les fesses des filles avec des branches tressées, ndlr). »

Plusieurs ministres de la coalition gouvernementale ont toutefois soutenu la ratification de la Convention d’Istanbul, ce document « entouré de mythes et désinformations », selon Jan Kněžínek (ANO) chargé du portefeuille de la Justice. Pour sa part, la ministre du Travail et des Affaires sociales Jana Maláčová a souligné qu’il était dans l’intérêt de la République tchèque d’aborder sérieusement le problème des violences, étant donné que 32% des femmes tchèques y ont été confrontées et 70% d’enfants seraient témoins de violences conjugales.