Vít Vlnas : la canonisation de sainte Agnès restera liée à la victoire de la révolution de Velours

Sainte Agnès

2011 est en République tchèque l’Année sainte Agnès pour célèbrer les 800 ans de la naissance de la princesse Agnès, future sainte patronne des Tchèques qui a échangé une destinée royale contre le service aux nécessiteux. Lancée officiellement au mois de mars, l’Année sainte Agnès culminera le 25 novembre prochain par une grande exposition dans le cloître praguois que sainte Agnès a fondé et qui porte son nom. Mais avant encore, une messe sera célébrée ce samedi, dans la cathédrale Saint-Guy, en hommage à la canonisation d’Agnès de Bohême, le 12 novembre 1989, quelques jours à peine avant le début de la révolution de Velours.

La canonisation de sainte Anežka česká,  photo: ČT
Dans le contexte de l’époque, la canonisation de sainte Agnès de Bohême – Anežka česká en tchèque - est prise comme un symbole fort. Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin s’écroule. Le 12 novembre, près de 10 000 pèlerins tchèques et slovaques auxquels les autorités n’ont pas pu refuser les visas assistent au Vatican à la canonisation d’Agnès de Bohême par le pape Jean-Paul II. Cinq jours plus tard, la révolution de Velours qui éclate entraîne la chute du régime communiste plus de 40 ans au pouvoir. Point étonnant que l’événement soit perçu comme un prélude des changements et par beaucoup aussi comme l’accomplissement d’une ancienne prophétie selon laquelle la paix et le calme s’installeront en Bohême dès qu’Agnès de Bohême sera canonisée. L’historien Vít Vlnas est le directeur des collections d’art ancien de la Galerie nationale :

Vít Vlnas,  photo: Archives de Radio Prague Int.
« Il s’agit d’une ancienne prophétie qui est prêtée au prévôt Papoušek de Litoměřice qui a vécu au XVe siècle. D’après ce dernier, quand Agnès sera canonisée, ce sera le début d’une ère meilleure en Bohême. Et c’est vrai que la canonisation de sainte Agnès de Bohême a été le premier pas vers la chute du régime. Ceci dit, c’est une question de foi si cet événement est considéré comme un simple concours de circonstances ou s’il est jugé dans ses causes et ses conséquences. En tout cas, il est sûr que sainte Agnès reste à jamais synonyme de novembre 89. »

Le 20 janvier 1211 est retenu comme la date de la naissance de la princesse Agnès, soeur du roi Venceslas 1er. Prédestinée à une carrière royale, Agnès y renonce ainsi qu’à toute demande de mariage pour consacrer sa vie à Dieu et aux nécessiteux. Vít Vlnas :

Sainte Agnès
« Agnès était une princesse, fille du roi de Bohême, Přemysl Otakar ler - une des figures les plus marquantes de l’histoire tchèque. Sous son règne, l’Etat des Přemyslides a connu une expansion économique et de pouvoir énorme. Agnès a repoussé plusieurs propositions de mariage auxquelles on la prédestinait, compte tenu des raisons politiques et dynastiques, dont celle de l’empereur Frédéric II. Elle renonce à la vie laïque, en devenant abbesse. Avec l’appui du pape Grégoire IX, Agnès fonde à Prague l’ordre des chevaliers de la Croix à l’Etoile rouge, le seul qui soit d’origine tchèque. Soeur de l’ordre franciscain des Clarisses qui suit l’enseignement de saint François, elle fonde le couvent de saint-François, en devenant elle-même sa première Mère supérieure. »

C’est à l’âge de 21 ans qu’Agnès fonde à Prague le premier hôpital destiné aux plus démunis. Sa mission est d’apporter des soins désintéressés aux nécessiteux, et elle possède aussi le talent d’apaiser les conflits :

Sainte Agnès
« Cette femme qui aurait pu participer à la vie politique et décider des destinées du royaume de Bohême et de celles de l’Europe centrale, a concentré toute son attention aux activités caritatives, aux soins aux malades et aux pauvres. C’est une femme exceptionnelle, son sort touche plusieurs générations du fait qu’elle cherche le sens de la vie non pas dans les biens matériels mais dans la sphère spirituelle. Elle se sacrifie pour les autres, essaie de rémédier aux torts de ce monde autrement que les politiciens ou les hommes riches. En plus de tout cela, il ne faut pas oublier qu’Agnès reste une grande dame, une femme respectée et honorée par les membres de la dynastie des Přemyslides, en tant que fille, soeur et tante des souverains tchèques, et qu’elle sait calmer les querelles qui opposent des membres de la famille Přemyslide. »

Ainsi, Agnès a servi d’intermédiaire dans la conciliation d’un conflit entre le roi Venceslas ler et son fils, Přemysl Otakar II. La trace qu’elle a laissée dans l’histoire tchèque est très présente au couvent Sainte-Agnès, sur la rive droite de la Vltava, qui abrite aujourd’hui des collections d’art médiéval et Renaissance de Bohême et d‘Europe centrale. Vít Vlnas :

Le couvent Sainte-Agnès,  photo: Kristýna Maková
« Le couvent a été fondé par sainte Agnès de Bohême dans les années 1270. A l’origine, c’était, en fait, un double couvent, car deux ordres distincts– des Clarisses et des Franciscains y ont coexisté l’un à côté de l’autre et pourtant divisés. Appartenant à l’ordre mendiant des Frères mineurs qui ont choisi de vivre dans la pauvreté, le couvent a pourtant été édifié avec une splendeur imposante: il représente l’une des premières constructions gothiques en Bohême. Sa beauté architectonique est sans doute due à sa conception pour devenir le lieu de sépultures des rois et des reines de Bohême. »

Le couvent Sainte-Agnès | Photo: Dominika Bernáthová,  Radio Prague Int.
C’est dans le caveau de la famille des Přemyslides, à l’intérieur de la chapelle de la Vierge-Marie de ce couvent, que sainte Agnès, morte le 2 mars 1282, à l’âge de 71 ans, est inhumée. Pillé et abandonné après les guerres hussites, le couvent est de nouveau habité par les soeurs clarisses jusqu’en 1782, date à laquelle l’empereur Joseph II interdit tous les ordres religieux.

L’absence de la dépouille de la princesse, considérée comme une sainte de son vivant, est une des raisons pour lesquelles les efforts en vue de sa canonisation initiés en 1328 par Elizabeth Přemyslide et poursuivis par Jean de Luxembourg, ou Charles IV n’ont pas abouti. Au XIXe siècle, l’Ordre des chevaliers de la Croix à l’Etoile rouge réitère la demande. Grâce à l’archevêque de Prague, le cardinal Bedřich Josef Schwarzenberg, Agnès de Bohême est béatifiée, en 1874, par le pape Pie IX. Il faudra attendre novembre 1989 pour qu’elle soit canonisée par Jean-Paul II.

L'exploration de la crypte de l’église Saint-Haštal,  photo: Barbora Němcová
Des questions demeurent quant à la dépouille d’Agnès. Le récent examen au géo-radar n’a pas confirmé l’hypothèse selon laquelle la tombe présumée de la sainte patronne pourrait se trouver dans la crypte de l’église Saint-Haštal (Gall), à deux pas du couvent Sainte-Agnès. Peut-on toujours espérer que le lieu abritant les restes d’ossements de la sainte sera retrouvée? Réponse de Vít Vlnas:

« C’est bien évidemment une question de recherches archéologiques. Quant au couvent Sainte-Agnès, elles sont en ce moment terminées. Les fouilles dans ce couvent se sont poursuivies depuis le XVIIe siècle où les soeurs clarisses ont essayé de retrouver la dépouille de la fondatrice de leur ordre : deux fois elles croyaient l’avoir trouvé mais l’authenticité des trouvailles n’a pas été confirmée. Pour ce qui est des derniers examens dans l’église Saint-Gall, c’était plutôt une curiosité.

Sainte Agnès
Pour moi, le principal, dans le cas d’Agnès, n’est pas de posséder ou non la dépouille physique, mais de pouvoir participer, partager son legs spirituel. C’est ce qui est primordial, et l’Eglise catholique l’a d’ailleurs confirmé en acceptant Agnès au nombre de ses saints patrons, bien que l’opinion sur sa dépouille reste partagée. Comme on le sait, la relique la mieux conservée de sainte Agnès est gardée à l’Escorial à Madrid. Or comme il s’est avéré lors des recherches effectuées en rapport avec la grande exposition retraçant la vie de la patronne et qui ouvrira le 25 novembre, il existe, en Bohême également, depuis des siècles, une petite relique, paraît-il, de sainte Agnès, mais qui n’a pas encore été identifiée. »