Xavier Giannoli : « Marguerite a commencé dans un grand éclat de rire »
La semaine dernière est sorti dans les salles tchèques le film Marguerite, de Xavier Giannoli. Coproduction franco-belgo-tchèque, le film a entièrement été tourné en République tchèque, un pays où le réalisateur se rend fréquemment. Marguerite caracole à l’heure actuelle aux premiers rangs du box-office en France. Reste à savoir maintenant quel accueil le public tchèque va lui faire sur le long terme. Marguerite, c’est l’histoire d’une diva qui chante avec une voix de crécelle et qui l’ignore. Pour ce personnage un peu excentrique, Xavier Giannoli s’est inspiré de l’Américaine Florence Foster Jenkins, qui dans les années 1940, suscita à la fois rires et compassion, remplit des salles tout en chantant comme une casserole. Radio Prague s’est entretenue avec le réalisateur français Xavier Giannoli qui est revenu sur la genèse de son film.
Déjà elle avait droit à une émission de radio !
« Ça passait parce que le disque était très connu, ne serait-ce que sur internet. Son nom circulait, c’était une façon de rendre hommage à son génie, car la première fois qu’on l’écoute, il est impossible de ne pas rire. »
Pour interpréter ce rôle, vous avez choisi Catherine Frot. C’était une envie de départ ?
« Non, je n’ai pas écrit pour une actrice en particulier, puis quand j’ai commencé à chercher il se trouve que je l’ai vue au théâtre. Elle jouait dans la pièce de Beckett, Oh les beaux jours, où elle était seule en scène. A un moment donné, dans cette pièce qui est très excentrique, elle parle avec une fourmi. Elle était à la fois drôle et tragique, et j’ai eu l’impression que d’un coup, Marguerite était là. »
Elle a tout de suite accepté le rôle ?
« Dans le bonheur. Pour moi, ce film a été vraiment une actrice en état de grâce. Depuis le moment où elle a lu le scénario jusqu’à aujourd’hui où elle est encensée par la presse du monde entier, tout a été un rêve de complicité, d’exigence et où l’un et l’autre on était prêts à vivre toutes les aventures pour faire vivre ce personnage extraordinaire. »Elle est intervenue pour mettre un peu sa touche, sa patte ?
« Pas du tout. C’est une actrice extraordinairement inventive et exigeante mais qui est très respectueuse du désir du metteur en scène et de ce qu’elle a ressenti en lisant le scénario, que j’ai écrit. Elle a été une alliée permanente. Surtout, elle a une qualité, c’est qu’elle m’obligeait tout le temps à être très simple et concret. Elle sait que la beauté au cinéma, l’émotion ou le comique, c’est souvent ce qui va circuler entre les corps des acteurs, leur façon de bouger, leurs gestes, leurs regards. Elle est très concrète, très simple. C’était la meilleure façon de pouvoir livrer avec un sentiment d’évidence toutes les nuances du personnage. »
La musique est très présente dans votre filmographie. Ici, vous vous attelez l’opéra. Etes-vous vous-même un amateur ?
« Marguerite n’est pas un film sur l’opéra. Il y a beaucoup d’autres musiques que l’opéra. Il y a effectivement de grands airs d’opéra massacrés par le personnage avec, je l’espère, drôlerie et émotion. Mais il y a aussi de la musique baroque, romantique, du Bach, de la musique expérimentale, du jazz. Je voulais que le film soit une expérience musicale la plus complète et la plus intéressante possible, qui corresponde à mes goûts. »La République tchèque, où vous avez tourné, est un pays de musique, de musiciens. Est-ce que ça a été un plus pour le tournage ?
« Quand j’ai écouté il y a 10 ans, la voix de Florence Foster Jenkins pour la première fois, je l’avais dans un iPod, je marchais dans les rues de Prague où je viens très souvent. Je me disais : au fond, c’est logique que dans cette ville où Mozart est venu présenter Don Giovanni, on fasse un film où Florence Foster Jenkins massacre les airs de Mozart. C’est cohérent et drôle. »
Radio Prague s’est déjà entretenu avec le producteur tchèque du film sur les avantage financiers notamment qu’offrent un tournage en République tchèque. Ma question suivante porte plus sur les avantages que la République tchèque vous a apportés en termes de décor, de tournage…
« Mon idée, c’était que le personnage de Marguerite vit dans un univers qui lui appartient. Elle est censée être française, vivre dans un château français, mais en même temps c’est un personnage excentrique, exotique. Et je cherchais un château qui ait quelque chose de français et en même temps, qui soit étrange et bizarre. Je l’ai trouvé à Slapy. Je me suis dit que c’était la maison de Marguerite. A la fois, c’est un château néo-classique, français et en même temps, il y a une influence austro-hongroise qui fait que l’endroit est très poétique, un peu fou. Pour moi, c’était important que le film soit réaliste, mais qu’il ait aussi une dimension plus bizarre, plus étrange, qui corresponde à quelque chose de la folie du personnage. J’ai donc travaillé avec un très grand décorateur tchèque, Martin Kurel, et qui m’a apporté un nombre d’idées extraordinaires qui allaient dans ce sens. »Vous avez situé l’histoire de Marguerite dans les années 1920, pourquoi cette époque ?
« J’ai situé le film dans les années 1920 parce que je voulais prendre mes distances avec la vraie histoire qui était aux Etats-Unis dans les années 1940. Moi, c’était le personnage et son aventure humaine qui m’intéressaient. Je l’ai placée dans les années 1920 car son aventure humaine est avant tout celle de l’émancipation d’une femme, d’une femme dont son mari ne s’occupe plus beaucoup. Peut-être qu’elle braille du Mozart comme cela pour attirer son attention. Les années 1920 sont un moment important dans l’émancipation des femmes, dans leur lutte pour la liberté, la reconnaissance de leurs droits. Ensuite, c’est un moment où les avant-gardes artistiques sont particulièrement vives, où on a redistribué les cartes de ce qui est beau, laid, avec des provocations parfois surréalistes. Tout cela avec beaucoup d’humour et de vitalité. Donc j’aimais bien l’idée que mon personnage et sa voix complètement excentrique puissent être l’égérie d’un groupe d’artistes avant-gardistes qui se moquent d’elle alors qu’elle ne s’en rend pas compte. Enfin, j’ai aussi voulu situer le film à cette époque-là pour des raisons techniques. L’histoire est intéressante et touchante parce que tout le monde a menti à sa femme toute sa vie. Elle ne pouvait pas entendre sa voix. Si on avait situé l’histoire aujourd’hui, elle aurait enregistré sa voix avec un iPhone et elle aurait compris qu’elle chantait faux. Alors que là ce ne soit pas techniquement pas possible de lui faire écouter sa voix, le mensonge pouvait durer plus longtemps. »Il y a un univers très particulier dans ce film. Beaucoup de personnages sont spéciaux, hors normes, un peu monstrueux, des outsiders. Il y a évidemment Marguerite, mais il y a aussi une femme à barbe, un nain, il y a ce pianiste qui n’entend pas. On a l’impression que finalement ce sont tous ces êtres étranges qui au final sont ses amis, plus que ceux de sa classe sociale.
« Ce qui m’intéressait, c’était de montrer tous les gens autour d’elle qui croient qu’ils sont des gens normaux et dignes, mais qui sont en fait des aristocrates, menteurs, tricheurs, et cyniques, cruels avec elle. En fait, la bonté, la générosité et la drôlerie de Marguerite attire autour d’elle des gens à la marge. C’est cela qui les réunit : une qualité humaine, un besoin de partager de certaines valeurs de la vie. C’est ce qu’elle partage avec des marginaux et non pas avec des salauds. Après, un film a été très important pour moi : le film de David Lynch, Elephant Man. Là, je pensais à ‘Elephant Voice’. Le chef d’œuvre de David Lynch montre que ce personnage avec ce visage effrayant et cabossé, est finalement celui qui a la plus grande humanité et la plus grande normalité. Ici, c’est la même chose dans la voix de Marguerite : même si sa voix a quelque chose de monstrueux, on finit par ressentir qu’elle exprimer quelque chose de sincère et de vrai. »Avez-vous un souvenir de tournage particulier qui vous a marqué ?
« Sur ce film, il y en a tellement ! J’ai un souvenir très fort en République tchèque, quand je tournais à l’opéra de Brno. La première fois que le personnage de Catherine rentre sur scène avec ses ailes dans le dos, devant la salle dans l’obscurité, avec des centaines de figurants, à ce moment je me suis dit : je ne sais pas ce que je suis en train de faire, mais en tout cas, ça n’a jamais été fait. Je sentais qu’il y avait une folie et une émotion qui correspondaient à ce que je cherchais en faisant ce film. »