Yvetta Hlavacova, nouvelle recordwoman de la traversée à la nage de La Manche
Il y a deux mois de cela, Yvetta Hlavacova a traversé La Manche à la nage en 7 heures et 25 minutes, établissant ainsi un nouveau record du monde féminin. Une performance remarquable, bien que la nageuse tchèque de grand fond ait échoué dans ce qui constituait à l'origine une tentative de traversée aller-retour du Canal séparant la Grande-Bretagne et la France. A son retour à Prague, c'est toutefois la satisfaction qui prédominait au moment de raconter...
« Je suis totalement satisfaite. Je suis parvenue à remplir un objectif que j'ai poursuivi toute ma vie. Personne ne pourra me prendre ce que j'ai réussi, je dirais même que c'est un rêve qui s'est réalisé. A vrai dire, je commençais non pas à douter de mes capacités, mais à me demander si j'étais vraiment capable d'une telle performance. C'est quelque chose qui m'a énormément motivée. Désormais, tout ce que j'entreprendrai ne le sera que pour le plaisir, car j'ai atteint ce qui était le but de ma vie. »
Cette satisfaction, Yvetta Hlavacova l'a toutefois obtenue en puisant au plus profond de ses réserves. Des réserves qu'elle a d'ailleurs tellement entamées au cours de la soixante de kilomètres parcourus en quatorze heures qu'elle a été contrainte à l'abandon en pleine nuit alors que les côtes anglaises, desquelles elle était partie, se profilaient à l'horizon.
« Le pire, ce fut sans nul doute les problèmes d'estomac que j'ai pu avoir, car ils ont duré pendant près de onze heures. Or, il est difficile de faire quoi que ce soit, de lutter contre ça, même la volonté et l'abnégation ne vous aident pas dans de tels moments. J'ai cherché à penser à autre chose, à me dire qu'il y a des gens qui souffrent de graves maladies comme le cancer pendant de longues années et que je pouvais donc bien tenir et m'accrocher pendant quelques heures. Mais cela ne suffisait pas et ne servait même à rien. »
Avant ce record, un an plus tôt, Yvetta Hlavacova avait déjà effectué la traversée entre Douvres et le Cap Gris-Nez en huit heures et quarante-deux minutes. Un temps qui était alors certes la meilleure performance tchèque, hommes et femmes confondus, jamais réalisée, mais qui restait toutefois inférieur de près d'une heure et demie au record du monde.
« L'année dernière, je me sentais certes parfaitement bien, mais dès le début je me suis aperçue que je nageais contre le courant et que les vagues m'empêchaient d'avancer. Cette année, c'était l'inverse et puis j'étais dans une telle forme que j'ai parfois eu l'impression de voler. Je n'ai traversé aucune crise, en dehors de ces problèmes d'estomac. Je pense tout simplement que c'était le bon jour, le jour J. »
Immédiatement après être arrivée sur les côtes françaises, la nageuse tchèque est repartie en direction de l'Angleterre, alors qu'en 7 heures et 25 minutes, elle venait donc d'établir un nouveau record du monde féminin.
« C'est marrant, car je n'ai ressenti aucune euphorie, aucune émotion. Je suis arrivée sur la plage française et je me sentais si mal que je n'ai absolument pas profité de ce moment. C'est un peu paradoxal : vous pensez à ce moment pendant toute votre vie, vous l'attendez, vous vous y préparez et quand ce moment arrive, vous ne ressentez rien. Mais c'est ce qui arrive parfois lorsque vous parcourez à la nage de longues distances. C'est un sport épuisant qui vous fait souffrir et du coup, vous ne profitez pas pleinement du moment présent. »
Au fut et à mesure de la traversée, les douleurs à l'estomac sont venues s'ajouter à la fatigue de l'effort. Des douleurs tellement fortes qu'elle affirme aujourd'hui avoir songé à abandonner plus tôt :
« J'ai préféré en faire abstraction le plus possible car de telles réflexions ne vous sont d'aucune utilité et ne vous aident pas beaucoup lorsque vous êtes dans l'eau. Mais je ne peux pas affirmer que je n'y ai pas pensé et c'est vrai que pour la première fois de ma vie j'ai ressenti de la peur. Ce jour-là, la mer m'a semblé étrange, différente des autres fois et le fait que vous soyez affaibli vous fait probablement voir les choses différemment. Je dois dire que dorénavant je respecte énormément l'élément naturel qu'est la mer, bien plus qu'auparavant. »
A un peu plus d'une dizaine de kilomètres de l'arrivée, Yvetta Hlavacova, à bout de forces, a donc préféré jeter l'éponge.
« La première chose que j'ai faite a été d'enlever mon maillot de bain. J'étais très heureuse d'être enfin sur le bateau et de pouvoir sentir la chaleur. Mais tout de suite après la sortie de l'eau, il n'y avait que mon estomac qui m'occupait l'esprit et pendant cinq minutes je n'ai rien fait d'autre que de vomir. Ce sont des moments délicats. C'est difficile à décrire, mais je pense que j'ai alors lutté pour ma survie. Une heure après nous sommes arrivés au port et une demi-heure plus tard j'étais déjà au lit. J'ai d'abord pris un bain puis ensuite je suis allée me coucher avec un seau. Puis j'ai continué à vomir, j'avais l'impression que ça ne s'arrêterait jamais. »
Douleurs, souffrances, efforts : ce sont des mots qui reviennent très souvent dans la bouche de la Tchèque lorsqu'elle évoque son expérience dans les eaux froides de La Manche. Selon elle, ce sont en effet les seules pensées qui occupent son esprit lors de la traversée :
« Je ne pense plus ou moins qu'à survivre. Franchement, il n'y a rien d'autre dans ma tête. Vous ne pensez qu'à nager, il faut rester concentré sur votre performance car sinon vous perdez de la vitesse. Or, ce n'est pas facile de rester concentré sur la même chose pendant plusieurs heures en suivant. Au mieux, avec la fatigue, vous ne pensez plus à rien du tout. Cela peut arriver. Et plus longtemps vous ne pensez à rien, mieux c'est pour vous. »
Au-delà du record du monde féminin, Yvetta Hlavacova a également fait mieux que des dizaines d'hommes avant elle. Un constat qui ne l'émeut cependant pas plus que ça :
« Je n'ai pas d'explication particulière. Peut-être ai-je plus envie, suis-je plus capable de souffrir que les hommes - c'est difficile à dire. Mais ce n'est pas quelque chose qui m'intéresse. Ce que je fais, je le fais pour moi-même parce que j'aime bien. Et si mes performances sont égales à celles des hommes, tant mieux, mais bien entendu ce n'est pas le principal objectif. De toute façon, si je veux être la meilleure au monde, cela signifie plus ou moins également battre tous les hommes. Si je ne me trompe, seuls trois hommes ont traversé La Manche plus vite que moi. »
Remise de ses émotions, Yvetta Hlavacova envisage d'ores et déjà de repartir à la conquête de La Manche avec en tête cette fois le record du monde de la traversée dans les deux sens...