Rugby : Lukáš Rapant, l’accent tchèque du Top 14 (2e partie)

Lukáš Rapant (au milieu), photo: Site officiel du club Oyonnax

Clermont-Ferrand, champion de France 2010 et vice-champion d’Europe, Castres, champion de France en titre, et Toulon, champion d’Europe en titre : ce sont trois des clubs que l’Union sportive Oyonnax rugby, promue dans le Top 14 cette saison, a battus depuis le début de saison. Si la France du sport et du rugby apprend à découvrir le petit club de l’Ain au rythme de ses exploits, rares sont ceux en République tchèque à savoir que deux de leurs joueurs, le pilier Lukáš Rapant et le deuxième ligne Miroslav Němeček, contribuent eux aussi au parcours étonnant d’Oyonnax dans un championnat dans lequel évoluent quelques-uns des tout meilleurs joueurs au monde. Après une première partie la semaine dernière, nous vous proposons donc la suite de l’entretien réalisé avec le premier nommé, Lukáš Rapant.

Lukáš Rapant,  photo: Site officiel du club Oyonnax
« Oui. Oui. Oui, je vis vraiment un rêve, et pas seulement parce que je suis Tchèque. Aujourd’hui, tous les joueurs du monde veulent jouer dans le Top 14. Ce n’est pas seulement le meilleur championnat européen, mais le meilleur au monde avec toutes ses stars, ses joueurs, son public, ses stades, c’est énorme ! Alors, oui, c’est un rêve qui se réalise pour moi… Et j’espère que ça va continuer. Ce serait dommage de ne faire qu’une saison dans le Top 14 et de retomber en Pro D2. Mais tout le monde au club est bien décidé à donner le meilleur de lui-même pour rester à ce niveau. »

On l’a dit, Lukáš Rapant n’est pas le seul Tchèque à avoir goûté au Top 14. Et selon lui, d’autres joueurs peuvent eux aussi espérer dans un avenir plus ou moins proche avoir leur part du gâteau dans l’élite du rugby français :

« Oui, déjà il y a Miroslav qui est ici avec moi. Il y a aussi Martin Jágr qui a déjà évolué à ce niveau la saison dernière et qui est maintenant juste en dessous en Pro D2. Après, il y a quelques jeunes qui jouent en Fédérale 1 (équivalent de la 3e division nationale), c’est déjà pas mal. La suite et leur progression dépendront de leur travail, même si gagner sa place dans un club du Top 14 n’est pas facile. »

Ce gravissement régulier des échelons jusqu’à l’élite, c’est précisément ce qu’a connu Lukáš Rapant. S’il est licencié à Oyonnax depuis 2006, c’est d’abord par d’autres régions de France qu’est passé le pilier tchèque. Celui-ci nous retrace son parcours depuis ses débuts dans sa Moravie du Nord natale :

Photo: Site officiel du club Oyonnax
« J’ai commencé le rugby quand j’étais jeune. Je suis resté à Havířov jusqu’en seniors, mais j’ai aussi été plusieurs fois sélectionné en équipe nationale dans les catégories cadets, juniors et moins de 23 ans. J’ai participé à deux coupes du monde junior en France et au Chili (en 2000 et 2001, ndlr) avec des coéquipiers dont certains vivaient déjà en France. J’ai eu la chance à l’époque d’avoir Yves Perrot comme entraîneur (surnommé le « Français tchèque », Yves Perrot, qui a fêté récemment ses 70 ans, a été notamment l’entraîneur des équipes nationales tchèques des moins de 15 aux moins de 18 ans entre 1998 et 2008, puis conseiller technique de la fédération de 2005 à 2012. Depuis peu, il organise en République tchèque des stages pour les jeunes joueurs dans le cadre de « L’Académie de rugby Yves Perrot » en collaboration notamment avec l’ancien joueur de Clermont-Ferrand Jan Macháček, ndlr). Puis le président de la fédération tchèque et l’entraîneur m’ont proposé d’aller jouer en France. J’ai accepté et c’est comme ça qu’on m’a donné ma première chance. J’ai d’abord passé des tests avec un autre joueur tchèque, Robert Voves, à Bourgoin-Jallieu, à une époque où le club évoluait encore dans le Top 14. Nous avons été retenus tous les deux pour jouer avec les équipes de jeunes en moins de 21 et 23 ans. Mais nous avons juste disputé les matchs de préparation. Ensuite, il nous a fallu rentrer en République tchèque, car la République tchèque n’était pas encore membre de l’Union européenne et nous n’avions pas de visa pour rester en France. Mais un autre Tchèque, Roman Šuster, qui, lui, avait été pris à Chambéry, m’a permis de passer un test là-bas. J’ai moi aussi été retenu et j’y suis resté une demi-saison. Cela m’a permis d’obtenir mes papiers, puis l’entraîneur de l’équipe nationale tchèque de l’époque, Michel Bernardin, m’a emmené avec lui de Chambéry, où il entraînait aussi, à Saint-Nazaire. La première année, nous étions sept joueurs tchèques à Saint-Nazaire. De Fédérale 2, nous sommes montés en Fédérale 1. Certains joueurs sont alors partis, mais personnellement, je suis resté trois saisons à Saint-Nazaire avant de rejoindre Oyonnax. »

Si les performances du promu ainois depuis le début de saison, notamment ses victoires contre Toulon, Clermont-Ferrand et Castres, ne sont pas passées inaperçues en France et ont permis aux amateurs de sport d’apprendre à situer la petite ville d’Oyonnax sur la carte et à prononcer son nom, on ne peut pas en dire autant, loin s’en faut, en République tchèque. En ce mois d’octobre, ce sont plutôt les buts et les statistiques des dizaines de hockeyeurs évoluant dans la prestigieuse ligue nord-américaine NHL qui retiennent l’attention des journalistes tchèques. Lukáš Rapant ne s’en cache pas : au pays, ses performances, comme celles de son coéquipier Miroslav Němeček, ne passionnent pas les foules :

Miroslav Němeček,  photo: Site officiel du club Oyonnax
« Pfff… Dans les médias, je ne pense pas. En tous les cas, pas à ce que je sache. Mais les gens qui s’intéressent au rugby suivent les résultats sur Internet, notamment sur ragby.cz. Il y a aussi mon ancien club d’Havířov. Ce sont surtout donc surtout les gens qui sont dans le rugby tchèque qui sont au courant. »

S’il ne suscite guère d’engouement, c’est aussi parce que le rugby tchèque, englué dans ses guéguerres et ses disputes internes, ne présente pas des résultats très enthousiasmants. En plus d’un championnat d’un niveau d’ensemble relativement faible, son équipe nationale, régulièrement privée de ses meilleurs joueurs qui évoluent à l’étranger, collectionne les défaites. La « česká ragbyová Reprezentace » en a ainsi essuyé une nouvelle samedi en Pologne voisine. Battus (10-30) à Varsovie, alors qu’ils ont évolué en supériorité numérique pendant une cinquantaine de minutes, les Tchèques figurent à la dernière place du classement du championnat d’Europe division 1B, troisième niveau international après le Tournoi des Six nations et la division 1A qui réunit des pays comme la Géorgie, la Roumanie, le Portugal ou la Russie. Avec un bilan catastrophique de six défaites en autant de matchs, la République tchèque risque fort de descendre d’un échelon supplémentaire, elle qui évoluait pourtant en division 1A il y a encore quelques années de cela. Il y a donc forcément matière à s’inquiéter, même si cette situation ne semble pas être la principale préoccupation de Lukáš Rapant :

« Il faut bien dire que le niveau n’est pas énorme en République tchèque. Ca reste très amateur et je pense que c’est le gros problème du rugby. Si on avait la possibilité de passer professionnels, ce serait peut-être différent. Mais c’est un sport non seulement amateur mais même très familial. Il y a encore beaucoup de clubs dans lesquels le grand-père et le père ont joué, et aujourd’hui c’est le petit-fils qui joue… Non, vraiment, ce n’est pas un sport très populaire. »

Lukáš Rapant  (au milieu),  photo: Site officiel du club Oyonnax
En attendant, bien plus qu’à une progression à laquelle on a pu croire à la fin des années 1990 et au début des années 2000, c’est à une régression à laquelle assistent ces dernières années tous ceux qui s’intéressent d’un peu plus près au rugby tchèque. Pour autant, en raison d’un calendrier qui ne lui en donne pas la possibilité, Lukáš Rapant n’envisage pas de renfiler le maillot frappé du Lion de Bohême, même s’il n’exclut pas cette éventualité à l’avenir :

« Peut-être… Peut-être… Mais pas en ce moment. On vit notre rêve en France et on veut joueur le plus de matchs possible dans le Top 14. Mais après, qui sait… oui, peut-être un jour… »

Mais surtout, Lukáš Rapant estime que le problème du rugby tchèque se trouve encore ailleurs : dans la formation des entraîneurs et des jeunes. Deux noms reviennent alors comme une évidence : ceux de Jan Macháček cité plus haut et de Martin Kafka, ancien globe-trotter lui aussi francophile et actuel entraîneur de l’équipe nationale. Et c’est avec eux que nous évoquerons prochainement plus en détail l’évolution du rugby tchèque et ses perspectives d’avenir pour l’heure malheureusement assez peu reluisantes.