2014 en République tchèque en un mot… anglais

Miloš Zeman, photo: YouTube

« Viróza » - virus, « popelníček » - petit cendrier, « amnestie » - amnistie, et « trafika » (comment traduire ce mot?) : tels avaient été, dans l’ordre, les quatre principaux mots de l’année 2013 en République tchèque. Un an plus tard, la question se reposait de savoir quels étaient les mots qui avaient marqué de nouveau l’esprit des Tchèques ? Nous en avons retenu deux, les voici, les voilà…

Miloš Zeman,  photo: YouTube
Chaque année est marquée par un certain nombre d’événements plus ou moins importants auxquels des mots ou des petites phrases restent associés et gravés dans la mémoire des gens. C’est la raison pour laquelle, dans certains pays, des enquêtes sont organisées pour désigner ce qui est appelé « le mot de l’année ». En République tchèque, cette enquête est organisée traditionnellement par le quotidien Lidové noviny. Et une des particularités de cette enquête est que son « lauréat » a été le même ces deux dernières années. Non pas que le même mot ait plus particulièrement retenu l’attention des Tchèques en 2014 comme en 2013, mais les mots retenus pour ces deux années ont pour point commun d’être liés de très près au président de la République. Le chef d’un Etat, personnalité généralement respectée et écoutée, étant amené de par ses fonctions à prononcer de nombreux discours tout au long d’une année, il pourrait ne rien y avoir de très étonnant dans ce constat. Sauf que depuis son élection au Château de Prague début 2013, Miloš Zeman a pris l’habitude de défrayer la chronique.

Ainsi, en 2013, c’est « viróza », littéralement « virose », qui avait été élu mot de l’année ; un mot qu’il faut veiller à ne pas confondre avec « cirrhose » - « cirhóza », phonétiquement proche, et qui désigne un curieux virus dont seul l’entourage du président tchèque connaissait alors l’exacte nature (http://www.radio.cz/fr/rubrique/tcheque/hic-letrange-virose-du-president-zeman).

Mais l’année dernière, c’est d’une toute autre infection dont a souffert Miloš Zeman : de l’abus de langage « fleuri » (http://www.radio.cz/fr/rubrique/faits/le-langage-fleuri-du-president-zeman-fait-des-vagues-et-indigne-les-tcheques). Le président s’est montré très vulgaire notamment dans un entretien retransmis en direct par la Radio tchèque.

En résumé, le chef de l’Etat avait d’abord demandé au journaliste qui l’interrogeait s’il savait ce que signifiait le mot « pussy », puis lui avait expliqué, toujours en prononçant mal le mot, que la première partie du nom du groupe féministe russe Pussy Riot désignait en argot anglais le sexe de la femme.

En plus de leur indignation et même si l’immense majorité d’entre eux ont considéré qu’il avait dépassé les limites de l’acceptable, la vulgarité de Miloš Zeman n’avait bien entendu pas non plus manqué, comme souvent, de faire rire les Tchèques. Après tout, même si le vocabulaire employé situe un peu le niveau du débat, il est certaines fois où il vaut quand même mieux rire que pleurer. Et c’est donc précisément de ce mot anglais « pussy » dont les Tchèques se sont d’abord souvenus lorsqu’il leur a été demandé quel avait été, selon eux, le mot le plus significatif de l’année écoulée dans leur pays.

Photo: Masha Volynsky
Mais ce n’est pas tout, car le président est un vrai spécialiste de l’enquête en question. En effet, c’est un autre des mots qu’il a employés en 2014 qui est arrivé en deuxième position des « préférences » des lecteurs du journal. Cette fois, il s’agit de « lumpenkavárna », un mot difficilement traduisible en français mais composé de deux parties que sont le mot allemand « lumpen », qui désigne un vêtement en lambeaux, des haillons, des guenilles, une loque, et « kavárna » pour, non pas « caverne », mais « café ». Noter qu’en tchèque, il existe aussi le mot « lump » qui, lui, désigne un gredin, un vaurien, un fripon ou même un salaud. Dans l’esprit de Miloš Zeman, « lumpenkavárna » serait donc le milieu intellectuel pragois, et plus précisément celui des cafés élitistes de la capitale qui critiquent régulièrement le chef de l’Etat et que son adversaire au second tour de la dernière élection présidentielle et un de ses principaux opposants, l’aristocrate Karel Schwarzenberg, aime fréquenter. Ce que nous pouvons confirmer pour l’y avoir effectivement déjà vu à plusieurs reprises, et ce sans que nous ayons la moindre prétention de nous considérer comme des intellectuels…

Photo: Archives de Radio Prague
Ici, il convient encore de préciser que le mot « lumpenkavárna » fait référence à ce qui s’appelait autrefois le « lumpenproletariát », en français le « sous-prolétariat », un terme d’origine marxiste désignant une population située socialement sous le prolétariat, du point de vue des conditions de travail et de vie. Sachant cela, on vous laisse faire vous-même l’interprétation de ce que peut bien vouloir être la « lumpenkavárna », littéralement un « sous-café » en quelque sorte. Mais ceux qui connaissent un peu Prague et la République tchèque plus généralement, savent que s’il existe des « sous-cafés », les Tchèques les appelleraient peut-être plutôt les « hospody čtvrté cenové skupiny », soit des « bistrots de la quatrième catégorie de prix », des établissements particulièrement populaires où la bière et tout ce qui se boit à bon prix coule à flots et dans lesquels il est (presque) de bon ton d’avoir un langage fleuri comme celui qui a parfois été celui du président tchèque en 2014 et qui a tant marqué ses concitoyens…

C’est ainsi que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue » consacré donc à quelques-uns des mots de l’année 2014 en République tchèque. On se retrouve dans quinze jours, cette fois bien en 2015. D’ici-là, portez-vous du mieux possible – mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !