5# Ces Tchèques strasbourgeois : Pavlína et Bohumila, enseignantes à l’école tchèque

L'école tchèque à Strasbourg, photo: Pierre Meignan

Suite et fin de notre série estivale consacrée à ces Tchèques vivant à Strasbourg. Comme la semaine dernière, nous restons au sein de l’école tchèque, une initiative qui permet depuis un an aux enfants de couples souvent binationaux d’apprendre la langue de leurs aînés. Rencontre avec Pavlína et Bohumila Ottová, deux des enseignantes qui dispensent bénévolement ces cours :

Pavlína et Bohumila,  photo: Pierre Meignan
Pavlína : « Je m’appelle Pavlína Šňupíková, je viens de Přerov en Moravie. Je suis à Strasbourg depuis 1994. Pourquoi je fais ce travail ici ? C’est parce que j’ai fait des études de tchèque et d’anglais, ma formation c’était pour être enseignante. Ce n’était pas vraiment ce que j’avais choisi. J’ai commencé vers 1987 je pense et dans ces années-là on ne pouvait pas vraiment faire ce qu’on voulait. Du coup, je n’ai jamais voulu enseigner. Je n’ai jamais enseigné, je l’avais clairement dit quand on m’a proposé cette expérience. Mais le travail avec les enfants me plaît et j’ai ressenti un peu comme une dette envers quelque chose, quelqu’un, envers moi peut-être, de faire quelque chose avec cette langue tchèque, de la faire passer. Et c’est peut-être également parce que j’ai un enfant, qui est moitié tchèque, moitié français, avec lequel je voulais travailler le tchèque et je n’ai réussi que partiellement. Alors maintenant, ce que je n’ai pas réussi avec mon enfant, je le rattrape un peu avec les autres. »

Bohumila : « Moi je m’appelle Bohumila Ottová, je viens d’un petit village qui s’appelle Dobré Pole. C’est près de Mikulov en Moravie du Sud. Peut-être à cause de sa proximité avec l’Autriche, j’ai toujours aimé les langues, les différentes cultures, j’aime beaucoup la littérature de matière générale. J’ai fait des études théâtrales, j’ai étudié les relations internationales, la coopération et la communication internationale. Rien à voir avec l’enseignement. Mais le fait que j’ai toujours aimé les langues a eu pour résultat que j’ai donné des cours privés, aux amis, aux collègues, et en 2009, j’ai même enseigné le tchèque à l’Université de Strasbourg. A cette occasion, je me suis rendu compte que c’était très amusant d’enseigner. Et c’était un petit projet caché quelque part au fin fond de ma tête, que j’aimerais bien un jour enseigner le tchèque ici. Moi aussi, j’ai deux enfants, moitié français, moitié tchèques, et comme beaucoup de mamans d’ici, j’ai des regrets de n’avoir pas pu leur transmettre l’amour de la langue tchèque et de toute la civilisation, la culture qui vient avec. C’est vrai, moi aussi j’essaie de me rattraper d’avec les miens avec les autres. »

Pouvez-vous nous parler des classes que vous avez ici à l’école tchèque ?

L'école tchèque à Strasbourg,  photo: Pierre Meignan
Pavlína : « Dans ma classe, nous avons commencé avec dix enfants en septembre dernier. Ils sont âgés de 9 à 14 ans. Ce sont des enfants de familles où l’on parle seulement le français, seulement le tchèque ou bien les deux langues. Du coup, il y a de grandes disparités déjà avec l’âge mais aussi au niveau des connaissances, des compétences dans la langue. Au début, c’était une petite difficulté. Il a d’abord fallu les connaître, voir ce qu’ils savent, s’ils sont à l’aise ou non, quels sont leurs besoins. Et puis il a fallu trouver la façon de faire : on a une heure et demie par semaine, comment on l’utilise pour tous les enfants puissent en profiter et apprendre quelque chose ? L’accent est mis sur la prononciation, sur le vocabulaire, car il est assez limité chez certains enfants. Jusqu’à un certain âge, ils ont acquis le langage des jeunes enfants mais ensuite cela se limite. On met toujours cela en lien avec la Tchéquie, les traditions, la culture, sport… Pour qu’ils fassent ce lien, pour que cela ne reste pas seulement une langue étrangère, avec la grammaire et tout cela, mais pour que cela fasse écho avec leur expérience. »

Bohumila : « Dans ma classe, il y a des enfants de 6 à 8 ans. Au début de l’année, j’avais cinq enfants, maintenant j’en ai six. Il y a de grandes disparités en ce qui concerne leur connaissance de la langue tchèque, mais aussi leurs autres connaissances. Certains ne savaient pas du tout lire et écrire, d’autres le savaient déjà même si c’était dans une autre langue. Il y avait aussi d’autre difficultés qui étaient liées au fait que certains enfants ne parlent pas tchèque à la maison. Il peut y avoir des familles qui parlent allemand à la maison, ou qui parlent surtout français. Les connaissances sur lesquelles on peut se baser ne sont donc pas communes. De plus, ils n’ont pas tous la même maturité et du coup ils n’attendent pas la même chose des cours.

Il faut surligner un aspect : c’est le fait qu’en France, l’école est beaucoup plus longue, les journées de classe sont beaucoup plus longues qu’en République tchèque. Les enfants, au plus tôt, sont rentrés à la maison à 16h30 et les activités viennent seulement après. C’est un vrai problème car les enfants viennent quand nous nous sommes disponibles puisque nous travaillons toutes. Donc c’est une activité qui arrive après l’école, les enfants sont déjà bien fatigués et en une seule heure par semaine, on ne peut pas remplir le programme comme on le voudrait. On essaie donc de jouer au maximum. Faire des jeux est une sorte de diversion pour que les enfants ne se rendent pas compte qu’ils sont en train d’apprendre. Et je pense que le pari est plutôt réussi. »

Avez-vous le sentiment qu’avec la connaissance de la langue française, il y aurait des erreurs spécifiques que les enfants sont susceptibles de répéter quand ils apprennent le tchèque ?

L'école tchèque à Strasbourg,  photo: Pierre Meignan
Pavlína : « Moi, ce que j’ai remarqué, c’est déjà la prononciation, mais je ne pense pas que cela soit lié à la langue française. Si c’était des Allemands, des Anglais, je pense que la prononciation poserait aussi des problèmes, peut-être pas les mêmes. Mais c’est surtout dans l’écriture, parce que là, ils écrivent à la française. C’est ce qu’ils disent : les lettres ne sont pas les mêmes, on ne lit pas de la même façon qu’en français et puis la prononciation des mots est différente. »

Bohumila : « Oui, je ne pense pas qu’il y ait des erreurs liées spécifiquement au français. C’est la façon de prononcer, de lire et d’écrire certaines consonnes, et de produire certains sons, à l’oral et à l’écrit. Evidemment ils font l’amalgame mais ils l’auraient fait avec d’autres langues. En ce qui concerne la structure de la phrase, je ne vois pas de difficulté spécifique. »

Enfin vous me disiez toutes les deux que l’aspect civilisationnel est très important. Pouvez-vous m’en dire plus et m’expliquer comme vous faites pour que les enfants aient un contact avec la culture tchèque ?

Pavlína : « Apprendre une langue étrangère seulement pour la langue en tant que telle ne suffit pas. On ne peut pas réellement progresser ainsi. Avoir des connaissances culturelles, géographiques ou encore politiques, aide à la compréhension de la langue et donne envie de plus apprendre, voire pousse à aller sur place pour s’améliorer. Quand j’étudie une langue étrangère, c’est pour tous ces aspects. »

La plupart d’entre eux sont bien évidemment franco-tchèques mais ne se voient pas comme tchèques. Ils ne savent pas quelle partie en eux crée cette particule tchèque.

Bohumila : « Je suis tout à fait d’accord. Une langue sans civilisation, sans culture, resterait une coquille vide. Ce serait creux. Il faut quelque chose qui crée un ancrage par rapport à l’identité des enfants. La plupart d’entre eux sont bien évidemment franco-tchèques mais ne se voient pas comme Tchèques. Ils ne savent pas quelle partie en eux crée cette particule tchèque. Il faudrait ancrer cette identité, car ils ne se sentent pas rattachés à ce pays qui est assez lointain tout de même, ce n’est pas à cinq minutes de marche. Quand mes enfants étaient petits, je leur servais d’interprète dans ma propre famille. Cela a été l’une des raisons évidentes pour leur apprendre le tchèque, mais c’est en y allant, en prenant connaissance des réalités du pays, en rencontrant des gens, en vivant des situations typiques, que l’on se rend compte que c’est quelque chose qui nous crée, qui nous construit. Je pense que c’est important qu’ils trouvent cet ancrage, qui pour l’instant reste assez abstrait pour eux. »