60 ans depuis la première Spartakiade
Des centaines de milliers de gymnastes effectuant des chorégraphies étudiées au millimètre près et symbolisant l’unité et la bonne santé des forces vives de la Tchécoslovaquie communiste. Voilà à quoi correspondaient les Spartakiades, dont la première édition était organisée il y a tout juste 60 ans, le 23 juin 1955. 1 690 000 gymnastes s’entraînèrent deux années durant pour produire le meilleur d’eux-mêmes lors du jour J.
Quelques années plus tard, dans la foulée de la mort du dirigeant Klement Gottwald en 1953, le régime communiste tchécoslovaque décide de remettre la Spartakiade au goût du jour, sous la forme d’un immense événement gymnastique. L’année 1955 est choisie pour commémorer le dixième anniversaire de la libération du pays par l’Armée rouge. Il s’agit également de récupérer la tradition du mouvement national sportif et culturel Sokol, dont un rassemblement en 1948 avait donné lieu à la dernière manifestation d’envergure contre les communistes. Pour la Radio tchèque, l’historien Petr Roubal raconte :
« Le communisme était dans une certaine mesure un communisme national. Il s’agissait de communistes tchèques avec une conception de la nation et une idée antigermanique, des aspects avec lesquels le mouvement Sokol n’avait pas de problème. Les communistes voulaient en profiter. Cela a conduit à une collaboration entre deux entités qui semblaient aller dans des sens opposés mais qui ont pu se rassembler dans le cas de ces Spartakiades. »750 000 gymnastes et 2 000 000 spectateurs en 1960, 1 721 000 gymnastes et 2 220 000 spectateurs en 1965, le rituel se poursuit mobilisant des foules sans cesse plus importantes, avec un accroc cependant cinq ans plus tard. En pleine période de normalisation, quelques mois après l’écrasement du Printemps de Prague et l’invasion des troupes soviétiques, les autorités craignent que la Spartakiade à venir ne soit le théâtre de protestations contre le régime et il est donc décidé que l’édition 1970 n’aura pas lieu. Pour Petr Roubal, cette annulation en dit long sur la nature et l’intérêt de cette manifestation :
« Evidemment, cette annulation était un gros problème pour le régime et sa légitimité. Ce type de régime tient sur le fait qu’il simule sa propre stabilité. C’est particulièrement vrai pour les régimes communistes. C’est ce qu’a très joliment écrit Václav Havel dans « Le Pouvoir des sans-pouvoir ». Il s’agit d’un état simulé, où tout le monde joue selon certaines règles et c’est parce ces règles sont utilisées qu’elles existent. Mais ce n’est pas un pouvoir réel. C’est pourquoi, pour ces régimes faibles, qui n’ont pas de légitimité, ce rituel est très important car il crée l’impression qu’ils ont réellement le pouvoir. »A partir de 1975, les Spartakiades reprennent leur rythme quinquennal. En 1985, les participants ne savent pas qu’ils contribuent à la dernière édition de la manifestation. Ce dont ils se doutent peut-être en revanche, c’est qu’ils sont en train d’immortaliser le tube musical sur lequel ils dansent, le morceau Poupata du chanteur Michal David, à jamais associé aux Spartakiades et aux heures de gloire du synthétiseur tout-puissant.
Cadre du mouvement sportif Sokol, Miroslav Vrána a participé avec ses enfants à cette édition 1985, « librement » indique-t-il. Comme de nombreux Tchèques, qui profitaient de l’évènement pour voyager gratuitement à Prague, il en garde d’ailleurs un bon souvenir. Malheureusement pour lui, la Révolution de velours sonne le glas, non seulement du régime communiste, mais également des Spartakiades :« En 1990, une nouvelle Spartakiade était en préparation. Elle a finalement été annulée car cela n’était plus dans l’air du temps. Mais les unités sportives du Sokol et tous ceux qui avaient répété une composition pour l’événement ont à la place participé à des célébrations de la culture physique. »L’importance des Spartakiades pour le régime communiste est également illustrée par l’argent investi dans leur organisation, quelque 45 millions de couronnes tchécoslovaques pour la première édition en 1955 ! Il faut croire que le jeu en valait la chandelle.