700 000 Tchèques seraient alcooliques

Foto: Archiv ČRo 7 - Radia Praha

Selon une récente enquête réalisée par les psychiatres du Centre de soins individuels de Prague, 700 000 personnes alcooliques vivraient en République tchèque. Deuxièmes plus grands consommateurs d’alcool au monde selon un rapport de l’OMS paru en 2011, on savait les Tchèques portés sur la boisson. Pour autant, pas même les médecins ne s’attendaient à un chiffre aussi important. Une autre étude, publiée au sortir de la prohibition partielle il y a deux semaines, faisait quant à elle état de 200 000 hommes alcooliques dans le pays.

Photo: Kristýna Maková
Zdeněk a 27 ans et il est originaire de la ville de Pardubice. Le jour où il a décidé d’aller se faire soigner, il avait quatre grammes d’alcool par litre de sang et, assez logiquement, ses jambes ne le supportaient plus. Il raconte avoir pris l’habitude de boire environ huit litres de boissons alcoolisées diverses chaque jour, principalement du vin, et souvent la bouteille la moins chère. C’est un divorce, un accident de la route sans gravité et la perte de son emploi qui l’ont amené à se réfugier dans l’alcool. L’histoire de Zdeněk est rapportée par le quotidien Lidové noviny, qui publie cette étude pour le moins inquiétante. Selon les psychiatres du Centre de soins individuels de Prague, 700 000 personnes seraient dépendantes de l’alcool en République tchèque, soit environ 6,6% de la population du pays. Ce chiffre est presque deux fois supérieur aux estimations des études précédentes et, selon Lidové noviny, inquiètent le monde médical, alors que la République tchèque vient de traverser une crise sanitaire grave liée à de l’alcool coupé au méthanol. Cette crise a été responsable de l’intoxication de près d’une centaine de personnes et de la mort de vingt-huit d’entre elles. Pourtant, les Tchèques ne semblent pas avoir modifié leurs habitudes de consommation, stable depuis deux décennies selon l’OMS. Pour le sociologue Jiří Siostrzonek, l’alcool est une drogue inscrite au cœur des pratiques sociales du pays :

Jiří Siostrzonek,  photo: www.kreativcisobe.cz
« Je pense, en règle générale, que les Tchèques utilisent l’alcool comme une drogue légale et rituelle. Dans toute célébration de n’importe quel groupe social que ce soit, il y a toujours de l’alcool. Et c’est plutôt celui qui ne boit pas ou qui ne trinque pas qui paraît d’une certaine façon suspect. Car l’alcool nous aide à nous montrer tel que nous aimerions être en réalité. Il nous libère. »

Parfois cette libération est une aliénation. Selon les statistiques de la police, un tiers des meurtres recensés entre janvier et août de cette année ont été commis sous l’influence de l’alcool. De même, 85% des auteurs de violences domestiques sont alcooliques. Bien souvent, ce sont les catégories de population les plus touchées par la misère sociale qui sont prédisposées à l’alcoolisme, comme le note Jiří Siostrzonek :

« Comme toute dépendance à une drogue, je pense que l’alcool est un problème social. Partout où il y a des taux élevés de chômage, des conditions sociales difficiles, les gens sont plus enclins à consommer des drogues. Cela leur permet d’oublier et les ‘aide’ à résoudre leurs problèmes quotidiens. »

Mais si l’alcoolisme, qui a tué près de 10 000 personnes en République tchèque l’année dernière, est un problème social, c’est aussi une maladie qu’il convient de soigner. A l’instar de Zdeněk, 25 000 personnes ont décidé, en 2011 d’arrêter la boisson et de suivre des soins auprès des autorités compétentes. Près de 10 000 d’entre elles se sont même laissées enfermer pour suivre un traitement. Selon un médecin cité par Lidové noviny, il ne s’agit cependant là que de « la partie émergée de l’iceberg ». Pour lutter contre l’alcoolisme, le gouvernement envisagerait pour sa part une hausse de 10% du prix des boissons alcoolisées, une mesure qui ne combat cependant pas le mal à la racine, comme l’explique Ladislav Csémy, du Centre psychiatrique de Prague :

Ladislav Csémy | Photo: Site officiel du gouvernement tchèque
« En géréral, il est reconnu que l’accès à l’alcool influence la consommation. Le prix aura donc certainement un rôle à jouer. Mais sur le long terme, les hausses des prix, que ce soit ici ou à l’étranger, ont montré qu’après une baisse, la consommation retrouvait son niveau habituel au bout d’un certain temps. Dans une certaine mesure, la seule hausse du prix de l’alcool ou un simple changement d’imposition n’aura pas d’effet stable à long terme. »

Ladislav Csémy ajoute qu’il faut insister sur la prévention des risques liés à l’alcool. Une hausse des prix pourrait même avoir des effets pervers, puisque les personnes les plus dépendantes se tourneraient alors vers des alcools de moindre qualité ou d’autres substances similaires. Jiří Siostrzonek pense ainsi que « si la prohibition des alcools forts s’était prolongée, la situation se serait aggravée car les gens auraient commencé à boire n’importe quoi ».