A peine élu président, Petr Pavel cherche à se démarquer de son prédécesseur
Moins d’une semaine après avoir été élu à la tête de l’Etat tchèque et un peu plus d’un mois avant de solennellement prêter serment au Château de Prague, Petr Pavel a d’ores et déjà posé les jalons du changement qu’il entend incarner tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.
Relations avec le gouvernement, avec les plus hauts représentants de l’Etat ou le service de contre-espionnage (BIS), positionnement par rapport à la Russie et la Chine, vision de l’avenir de l’Ukraine, mais aussi plus prosaïquement, lien entre le Château de Prague - résidence présidentielle et haut-lieu touristique - et le grand public : depuis samedi dernier, les effets d’annonce se sont multipliés en provenance de Petr Pavel et de son entourage, donnant le ton de la manière dont le nouveau chef de l’Etat envisage son mandat.
Comme le notent de nombreux observateurs, Petr Pavel affiche une vision très, très éloignée de celle du président sortant Miloš Zeman, jamais en reste d’une polémique ou de relations houleuses avec les représentants politiques qui ne lui seyaient pas, et dont les deux quinquennats ont été marqués par une ligne considérée comme bien trop favorable à Pékin et Moscou (exception faite de sa réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie). Une forme de retour à la politique prônée par Václav Havel, inspiration que Petr Pavel ne renie pas, voire revendique.
Avenir de l’Ukraine, sort de la Russie
Dès le lendemain du deuxième tour qui a vu sa victoire face Andrej Babiš, Petr Pavel a annoncé qu’il s’entretiendrait avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, chose qu’il a d’ailleurs réalisée sans tarder le dimanche même.
En ce milieu de semaine, dans une interview accordée à la BBC, l’ancien chef de l’Etat-major tchèque a déclaré que « l’Ukraine [méritait] de devenir membre de l’OTAN après la fin de la guerre ». Il a estimé que l’armée ukrainienne serait la plus expérimentée d’Europe après la guerre et a réitéré son soutien aux livraisons d’armes à Kyiv, précisant qu’il ne considérait pas celle d’avions de combat comme un tabou.
« S’ils perdent, nous perdrons », a souligné Petr Pavel, exprimant également ses craintes que la livraison d’avions de guerre ne soit trop lente. Le nouveau président élu a déclaré que la paix dépendait entièrement de la Russie et qu’il soutiendrait le moindre signe de volonté de négocier pour mettre fin au conflit. « Il n’y a pas de telles indications du côté russe », a toutefois relevé Petr Pavel. Les pays occidentaux doivent par ailleurs persévérer dans leurs sanctions contre la Russie, dont il considère qu’elles sont « aussi importantes que le soutien matériel et militaire ».
Quid de la Chine et de Taïwan ?
Comme il l’avait annoncé au lendemain de son élection, Petr Pavel a eu, lundi une conversation téléphonique avec la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen. « Je l’ai remerciée pour ses félicitations et lui ai assuré que Taïwan et la République tchèque partagent les valeurs de liberté, de démocratie et de droits de l’homme et que nous renforcerons encore notre partenariat, » a-t-il souligné via son compte Twitter.
Cette conversation téléphonique a provoqué la colère de Pékin, qui ne reconnaît pas la souveraineté de l’île. Petr Pavel a enfoncé le clou, mercredi, en déclarant que l’Occident devait accepter que la Chine n’était « pas amicale » et en appelant les Etats-membres de l’UE à abandonner toute illusion sur la Chine.
Le Premier ministre Petr Fiala (ODS) a réagi à la critique de la Chine en rappelant que la « politique de la Tchéquie envers (celle-ci) ne change pas et correspond à la politique de nos alliés. La Tchéquie respecte et soutient sa propre politique d’une seule Chine. En tant qu’État souverain, nous décidons nous-mêmes qui nous appelons et qui nous rencontrons, » a-t-il souligné via son compte Twitter. Dans la foulée de ces multiples déclarations, l’annonce par la présidente de la Chambre des députés Markéta Pekarová Adamová d’une prochaine visite à Taïwan fin mars a achevé de susciter la réprobation de Pékin qui a qualifié ce voyage de « mauvaise décision ».
Politique étrangère : parler « d’une seule voix »
Mercredi, Petr Pavel a rencontré les plus hauts représentants de l’Etat, soit les présidents des deux chambres du Parlement, Miloš Vystrčil (ODS) et Markéta Pekarová Adamová (TOP 09), et le Premier ministre Petr Fiala (ODS). De cette réunion est ressorti que ces quatre hauts responsables constitutionnels prévoient de se rencontrer régulièrement une fois par trimestre. Petr Pavel a également fait savoir que son objectif n’était pas de mener une politique étrangère indépendante, mais plutôt de parler « d’une seule voix » en termes de politique étrangère, là encore à rebours de ce qui a caractérisé l’exécutif ces dix dernières années.
Contact rétabli avec le service de contre-espionnage
Deux jours à peine après son élection à la présidence tchèque, Petr Pavel a rencontré le chef du service de contre-espionnage Michal Koudelka (BIS). A l’issue de cette réunion, le BIS s’est dit « prêt à fournir au président un soutien maximal en termes d’information, comme il est d’usage dans les Etats démocratiques avancés, et ce, sous toutes ses formes, y compris des briefings réguliers sur la sécurité. » Cette phrase laconique n’est pas dénuée d’une touche de sarcasme lorsque l’on sait les rapports exécrables, voire inexistants, qui ont prévalu entre le service de renseignement et le président sortant Miloš Zeman.
D’ailleurs, Petr Pavel a fait savoir qu’il élèverait « dès que possible » Michal Koudelka au rang de général. Un geste que s’est refusé à faire – à six reprises ! – son prédécesseur, Miloš Zeman, qui a toujours été très critique envers le service de contre-espionnage, malgré le travail important mis en œuvre par le BIS pour mettre en évidence les activités d’agents russes et chinois sur le territoire tchèque.
Château grand ouvert et réunion au sommet ?
Cela peut sembler anecdotique, mais plusieurs déclarations de Petr Pavel laissent à penser qu’un changement significatif est à attendre dans l’ouverture – littéralement – du site du Château de Prague au grand public : car oui, le Château est ouvert aux touristes, mais de nombreuses restrictions sécuritaires entravent depuis des années l’accès au site autrefois entièrement intégré à la ville de Prague. Le nom de l’architecte Josef Pleskot, très critique des aménagements réalisés ces dernières années, circule d’ailleurs beaucoup dans les médias ces derniers temps.
Enfin, on notera qu’à ce jour, si le contact a été établi entre l’actuelle chancellerie présidentielle et l’équipe du cabinet de Petr Pavel, aucune rencontre n’a encore eu lieu entre le futur locataire du Château de Prague et celui dont le bail arrive à échéance…