A Prague, l’estampe maniériste exposée grâce à un partenariat entre la Galerie nationale et le Louvre
« De Michel-Ange à Callot. L’art de l’estampe maniériste » est le titre d’une nouvelle exposition présentée jusqu’au 11 août au Manège du Palais Wallenstein à Prague. Cette exposition est le fruit d’une étroite collaboration entre la Galerie nationale de Prague et le Musée du Louvre. Pour en parler, Radio Prague Int. s’est entretenu avec Xavier Salmon, directeur du département des Arts Graphiques au Louvre, co-commissaire de l’exposition.
« Les deux institutions collaborent depuis longtemps. Nous avons régulièrement des échanges d’œuvres dans le cadre des expositions qui sont organisées soit à Prague soit à Paris. Ce n’est pas la première fois que des œuvres du Louvre sont montrées ici-même. C’est par contre sûrement la première fois qu’autant d’œuvres sont montrées. Ce partenariat nous a conduits à être très généreux pour l’exposition de Prague, et nos amis pragois sont très généreux pour l’exposition qui ouvrira l’année prochaine au Louvre et qui sera dédiée à la manière dont la nature a été perçue par les artistes à l’époque de l’empereur Rodolphe II. Ce ne sera donc pas une reprise de l’exposition de Prague. »
Quand aura lieu cette exposition au Louvre, plus centrée sur les collections tchèques ?
« Elle ouvrira au printemps et fermera l’été. Généralement ce sont des expositions qui durent trois mois pour des questions de conservation des œuvres : les dessins, les estampes sont des œuvres fragiles qui ne peuvent pas être montrées en permanence. On les expose trois mois, quatre mois par fois, et ensuite on les met au noir pendant cinq ans. Elles ne peuvent pas être ressorties avant cinq ans pour éviter que le papier, qui est le support de ces œuvres ne se dégrade. »
Vous disiez que c’est la première fois qu’autant d’œuvres du Louvre voyagent jusqu’à Prague. Combien exactement ?
« Il y a une trentaine d’œuvres, peut-être même plus. Il n’y a pas que des dessins et des estampes, il y a quelques pièces d’orfèvrerie. Nous avons donc apporté une aide importante aux collègues de Prague. »
Quelques autres pays ont été impliqués également…
« Il y a d’autre pays en effet. Mais les deux partenaires, la Galerie nationale et le Musée du Louvre sont les prêteurs les plus importants. »
Peut-on rappeler ce qu’est le maniérisme et dans quel courant il s’inscrit ?
« C’est un courant qui s’inscrit dans l’art de la Renaissance, un moment où on s’intéresse à la figure de l’Homme. Le maniérisme se développe dans la seconde partie du XVIe siècle. Après les créations de Michel-Ange et la manière dont il conçoit le corps, va imposer la ligne serpentine, donc des contorsions dans ce corps tout en restant très proche de la réalité, les artistes vont être frappés par cette nouveauté et petit à petit vont se détacher de cette réalité. Raphaël est très ancré dans la réalité, il dessine et peint ce qu’il voit. Alors que les artistes maniéristes vont modifier cette réalité, la transformer, faire des corps qui ne seront plus réels, des corps où toute élégance réside dans l’art de la ligne, de la position, de la couleur. C’est un mouvement qui va se développer jusqu’à un retour vers la réalité qui viendra d’Italie avec des personnalités comme Caravage. »
Puisqu’on parle d’imitation de la nature, il est très intéressant de souligner que l’exposition est organisée au Manège du Palais Wallenstein, ce même palais où l’on trouve dans les jardins un grand mur qui imite des rochers. C’est un joli dialogue entre l’exposition et le lieu…
« Ce mur est tout à fait emblématique du jardin maniériste. C’est un jardin surprise. Ce mur de roche est une espèce d’idéal de la nature, comme s’il y avait des montagnes au cœur de Prague, comme s’il y avait des anfractuosités. Quand on regarde de près ce mur on voit des visages qui apparaissent, des animaux qui sont dissimulés. C’est tout à fait caractéristique de l’art maniériste où l’on veut susciter la curiosité et la surprise. On ne voit pas tout du premier regard et on découvre au fur et à mesure. »
Ces œuvres fragiles parce qu’en papier sont des gravures notamment…
« Des gravures, des dessins. Il y a beaucoup de techniques. Il y a aussi de l’orfèvrerie, des tableaux de pierre dure, de la peinture aussi pour mettre en parallèle dessins et gravures avec un tableau, car très souvent ces œuvres peintes se trouvaient dans des collections princières et donc n’étaient pas appelées à circuler. Mais elles étaient très célèbres. La collection de Rodolphe II était célèbre dans toute l’Europe. On se déplaçait à Prague pour la voir. Mais on voulait en conserver le souvenir. Or l’estampe est le parfait moyen pour en conserver le souvenir. Certaines des pièces les plus extraordinaires vont être gravées et distribuées dans toute l’Europe. C’est l’ancêtre de la photographie. »
L’invention de l’imprimerie a permis une circulation bien plus importante des œuvres d’art…
« Exactement. L’exposition est là aussi pour montrer comment ce modèle maniériste, ces figures contorsionnées, allongées, se diffusent dans l’ensemble de l’Europe par l’intermédiaire de l’estampe et vont donc marquer les artistes de la fin du XVIe siècle. »
Pour terminer, peut-on donner quelques détails supplémentaires sur l’exposition de 2025 au Louvre, plus centrée sur la Bohême…
« Le but n’est pas de montrer à nouveau la manière dont Rodolphe II collectionnait mais la façon dont les artistes et l’empereur ont perçu la nature de manière différente. C’est vrai qu’avant Rodolphe on ne représentait pas un paysage dans toute sa réalité. A partir de ces années 1580-1600, quand il s’entoure d’une cour d’artistes et de savants, il y a cette volonté de mieux connaître la nature, de la mesurer, de la comprendre – des gens comme Tycho Brahe ont été très importants à Prague – et les artistes se tournent vers de nouveaux sujets. Des gens comme Pieter Stevens et Roelandt Savery vont montrer par exemple une maison de Prague, ce qui auparavant n’était pas du tout un sujet artistique. C’est cet aspect-là de la production artistique en Bohême que nous souhaitons montrer au Louvre. »