A Saint-Avold, une exposition retrace l’aventure Bata en Moselle
Bata, ou Baťa en tchèque, une marque de chaussures connue dans le monde entier et qui est née aux confins de la Moravie, à Zlín, de la vision d’un homme, Tomáš Baťa. Inspiré par le modèle du fordisme, Tomáš Baťa est à l’origine d’un empire de la chaussure qui a essaimé en son temps aux quatre coins de la terre, donnant naissance à des générations entières d’ouvriers dont la vie et le quotidien tournaient autour de la marque. A l’occasion du 90e anniversaire de la fondation dans l’est de la France de Bataville - le site de l’usine et la cité ouvrière-, les Archives départementales de la Moselle retracent cette épopée industrielle à la faveur d’une exposition intitulée d’après un slogan publicitaire de l'époque : Pas un pas sans Bata. Pour en parler, RPI s’est entretenu avec Barbara Hesse qui dirige le Centre des Archives Industrielles et Techniques de la Moselle.
« C’est effectivement un slogan publicitaire de Bata qu’on retrouve sur une affiche qu’on conserve dans notre fonds d’archive et c’est la raison pour laquelle on l’a repris pour le nom de notre exposition. »
Cette exposition est organisée à l’occasion des 90 ans de la création de Bataville, en Moselle. A l’origine de cette aventure entrepreneuriale, il y a la ville de Zlín en Moravie où tout commence…
« En effet nous revenons dans l’exposition sur Zlín, qui est la maison-mère de l’organisation fondée par Tomáš Baťa. Il a non seulement fondé une usine de fabrication de chaussures mais aussi tout un concept social autour de celle-ci. La ville de Zlín a accueilli non seulement les bâtiments de production, mais également un modèle novateur de cité-jardin pour les ouvriers. A partir du modèle de Zlín ont été créées toutes les autres cités Bata dans le monde dont celle de Moselle. »
Que présentez-vous d’autre dans cette exposition de plus spécifique à Bataville en Moselle ?
« Je reviens à l’origine de cette exposition. On a la particularité aux Archives départementales de la Moselle qui ont une annexe dédiée aux archives économiques d’avoir récupéré toutes les archives de l’aventure Bata en Moselle. Vous savez que tout cela s’est arrêté brutalement en 2001 et des salariés et syndicalistes ont récupéré toutes les archives qui avaient été laissées sur place. Ils ont sauvegardé le fonds d’archives qu’ils ont déposé aux archives départementales. On a donc toutes les archives depuis la fondation jusqu’à la liquidation conservées ici. Cette exposition, on l’a aussi voulue pour valoriser ce fonds d’archives puisque ce type de collectivités a pour mission de conserver, mais aussi de les valoriser par le biais d’expositions. Ce qu’on de plus notable dans le fonds, ce sont des photographies car absolument tout était photographié : on a un album photo par année, donc au total 10 000 photos qui retracent toute l’aventure Bata en Moselle. Ces albums reflètent un peu une année de vie à Bata parce que cela reprend aussi toutes les fêtes qui rythmaient la vie des salariés habitant à la cité, la Saint-Nicolas, Noël, la fête du cuir, le 1er mai, la fête de la piscine… toutes ces fêtes qui avaient vocation à souder cette communauté d’ouvriers, cette communauté de vie. Ce sont de très belles photos qu’on n’avait pas eu encore la possibilité de mettre en valeur. »
Vous faites bien de rappeler cela : il y avait un esprit d’entreprise très particuliers chez Bata, que ce soit à Zlín, à Bataville ou ailleurs. C’était inspiré par des méthodes managériales paternalistes. Les employés étaient littéralement guidés dans leur vie quotidienne : on mangeait Bata, on dormait Bata, on se chaussait Bata évidemment aussi. Tout tournait autour de cette vie Bata…
« Ce qui nous a intéressés à l’origine, c’est que notre service d’archives a été constitué à partir de celles des houillères du bassin de de Lorraine, la mine qui est un autre pan industriel très important de la région. Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut faire un parallèle complet entre le paternalisme mis en place par les patrons des houillères à l’époque et Bata. Bata s’installe en outre dans un secteur très rural de la Lorraine, on est vraiment dans la Moselle rurale et agricole et il n’y a pas grand-chose. Là, tout est à construire : les bâtiments de l’usine et faire de ses habitants des ouvriers d’une entreprise aux méthodes managériales très modernes. On a donc une population qui est assez malléable et qui est à former de bout en bout. Ces gens vont être formés à l’esprit Bata en même temps qu’à la fabrication de la chaussure. C’est donc une expérience intéressante à raconter. »
Vous rappeliez que Bata en Moselle a fermé ses portes le 21 décembre 2001. Ça a été un choc pour la région…
« Comme pour la mine où tout s’est arrêté assez brutalement, où les gens étaient guidés dans leur quotidien car ils naissaient houillère, ils grandissaient houillère et ils mouraient houillère, dans le secteur de Bataville c’était encore pire car même en 2001, c’était une zone très peu industrialisée. On a des gens qui étaient heureux de travailler chez Bata qui viennent voir l’exposition et en parlent encore avec une étincelle dans les yeux. Effectivement, c’était toute leur vie, tant du point de vue du travail que de la vie sociale. Cela a été d’autant plus difficile quand tout s’est arrêté brutalement. C’est le lot de ces territoires mono-industriels : ces gens ne savaient que fabriquer des chaussures, pour certains ils n’avaient même pas le permis de conduire car des bus faisaient la navette pour aller chercher ceux qui ne vivaient pas sur place dans la cité. Pour retrouver du travail à ces gens, cela a été extrêmement compliqué. A moins d’une demi-heure en voiture, il n’y avait pas grand-chose d’autre comme travail. Un peu plus de 800 personnes sont ainsi restées sur le carreau et ont difficilement retrouvé du travail. »
Evoquons l’état du site à l’heure actuelle. Il y a des tendances aujourd’hui à essayer de réhabiliter les anciens sites industriels. Dans quelle mesure est-ce le cas à Bataville ?
« Il y a eu de nombreux projets depuis la fermeture. Des entreprises s’y sont installées. Un ancien responsable de Bataville y a lui-même fondé son entreprise au lendemain de la fermeture de Bata, entreprise qui s’appelait Hello, en référence à Hellocourt, le nom du domaine. Cela n’a pas duré très longtemps, il était sous-traitant de Bata et d’une autre marque de chaussures. Aujourd’hui, il y a un chauffagiste, une fabrique de carton, une société d’archivage, ça vivote. Mais il y a un passionné qui est littéralement tombé amoureux de ce site architectural unique et atypique qui a racheté des bâtiments, qui a commencé à les faire classer, qui avait des projets de tourisme industriel, d’hôtels, mais cela demande énormément d’argent et visiblement il manque de soutiens financiers pour aller au terme. Récemment, j’ai entendu parler d’un autre projet autour du travail de la laine de mouton puisqu’on est dans un territoire agricole où il y a beaucoup de moutons. L’idée serait de créer un site éco-bio pour recycler la laine de mouton. Mais c’est vrai que la cité est en manque d’attractivité et il y a pas mal de volets qui sont fermés. »
C’est une période un peu compliquée pour visiter des expositions en ces temps de Covid, mais quelles ont été les réactions des gens qui ont pu voir l’exposition jusqu’à présent ?
« On reste dans un climat compliqué et on ne peut pas dire que les visiteurs affluent tous les jours pour voir l’exposition. Mais il y a des gens qui sont déjà venus et qui avaient travaillé à Bata. On va organiser une journée à destination de ces publics-là. Ce sera au mois de mai prochain. Parallèlement, un programme pluridisciplinaire du CNRS a travaillé sur la fin de Bata, la restructuration de l’espace. Depuis plus de cinq ans, des géographes, des historiens, des sociologues travaillent sur ce territoire et ses mutations. Bata, ça parle encore vraiment à tout le monde. Peut-être moins aux collégiens qui viennent aux archives parce qu’aujourd’hui il n’y a même plus de magasin de chaussures Bata en Moselle. C’est vrai que l’image de la marque a tendance à s’estomper, mais pour les adultes, Bata parle tout de suite. Il y a deux ans nous avions participé à une journée d’histoire régionale. Nous avions ramené des archives sur la mine et sur Bata, et spontanément les gens venaient nous parler. On connaissait tous quelqu’un qui avait travaillé chez Bata. Après la mine, c’était le deuxième gros employeur de la région. C’est une image qui a tendance à s’estomper aujourd’hui et c’est notre rôle de reparler de cette épopée industrielle qui est unique en France. »