Zlín, jamais à côté de ses pompes
Petite virée dans le sud-est de la Tchéquie dans le cadre de la série de Radio Prague Int. sur les différentes régions du pays. Au menu cette fois-ci, le fief de l'empire Baťa.
Dès la descente du train à Zlín, pour se rendre à l’université Tomáš Baťa, on peut passer par l’avenue Tomáš Baťa, contourner le mémorial Tomáš Baťa et croiser un bus qui se dirige vers l’hôpital Tomáš Baťa.
Dans l’entrée du rectorat de cette université, l’une des premières affiches est celle d’une offre de réduction de 10% sur les chaussures Baťa pour tous les détenteurs d’une carte d’étudiant.
Zdeněk Pokluda, spécialiste de l’histoire de la ville et de la saga Baťa, travaille depuis sa retraite encore quelques jours par semaine à la bibliothèque universitaire :
« Sans Baťa, la ville de Zlín serait bien différente. Elle s’est développée pendant plusieurs siècles comme une ville typique d’Europe centrale : l’église, le château, la mairie, les artisans, etc. Le moment où Tomáš Baťa a fondé avec son frère et sa sœur la maison Baťa, en 1894, a été très important pour le futur de cette ville qui serait restée sans cela une petite ville provinciale. »
« Son développement, au temps des débuts de Baťa, a été très très rapide et lui a permis de rattraper en trente ans d’autres villes industrielles. Tomáš Baťa, qui a dirigé la firme dès la deuxième année de sa fondation, à partir de 1895, a organisé pendant 38 ans ce développement très important, non seulement à l’échelle tchèque mais aussi à l’échelle européenne et mondiale. »
Peut-on dire qu’à partir de ce moment-là, Zlín s’est développée autour et en fonction de Baťa ?
Zdeněk Pokluda : « On peut dire que Baťa a organisé beaucoup d’activités en plus de son industrie. Pas seulement les quartiers ouvriers mais aussi par exemple les écoles, l’hôpital et d’autres activités vitales. Baťa était un industriel mais il a aussi été pendant neuf ans le maire de la ville ; il a donc entrepris, mais aussi organisé la vie dans la ville, une ville qu’il a rendue super-moderne. »
« Les choses les plus importantes sont les initiatives dans le domaine de l’urbanisme et de l’architecture. Baťa a engagé trois architectes très intelligents, MM. Kotěra, Gahura et Karfík, qui ont organisé le développement avec une idée directrice qui était le concept d’une ville industrielle avec de la verdure. Zlín est devenue un laboratoire et un modèle et les architectes de Baťa ont dessiné d’autres villes sur ce modèle, en Tchécoslovaquie mais aussi ailleurs, en Suisse (Möhlin), en France (Hellocourt), en Amérique, au Canada, etc. »
« Baťa ! Baťa ! » : le retour triomphal en 1989
Vous souvenez-vous du retour du fils, Tomáš Baťa Jr., en Tchécoslovaquie, après la révolution de Velours ?
« J’ai plusieurs souvenirs. Pendant le communisme, le nom de Baťa était interdit car symbole d’un capitalisme à succès. Les communistes ont voulu effacer le nom Baťa de toutes les mémoires. Baťa a été renommée Svit, Zlín a été renommée Gottwaldov. J’ai vécu 40 ans dans un régime où Baťa était interdit. »
« En allant en France en 1968 au temps de Dubček, j’ai vu partout des magasins qui portaient le nom de Baťa, à Paris, Lyon ou Dijon, j’ai vu que la marque était encore vivante ! »
« En 1989, avec Havel, Tomáš Baťa Jr est revenu 27 jours après la révolution, dès le mois de décembre 1989. Il est arrivé à Zlín sur la place principale qui était pleine de monde et tous ont scandé ‘Baťa, Baťa !’, un moment très émouvant pour moi. »
« Depuis ce temps, la marque Baťa est de nouveau présente en Tchéquie, il y a des magasins, il y a aussi une usine d’ici. Mais pour Zlín aujourd’hui, ce sont les changements économiques et sociaux actuels qui sont plus importants. »
Un club en passe de devenir une alliance française
Après avoir vu la pièce allemande à succès Extrawurst jouée en tchèque au théâtre municipal de Zlín (qui se trouve avenue Tomáš Baťa), visite du plus francophone des clubs locaux, le club franco-tchèque de Zlín, dont Magdalena Zálešáková, enseignante de français à l’université, est la directrice :
« Ce club franco-tchèque a été ressuscité après la révolution de Velours. L’objectif désormais est de transformer notre club en alliance française officielle. Nous sommes aidés en cela par l’Institut français de Prague, parce que Paris demande beaucoup de formalités administratives à cette fin. On espère ce statut à la fin de cette année, ce qui sera un événement exceptionnel pour nous et pour la ville de Zlín. Cela nous permettra d’avoir une structure et une direction pour les finances. »
Il y a beaucoup de choses autour de Baťa dans cette région, mais pas seulement. Que recommander aux touristes de passage ?
« Il y a beaucoup de choses à voir à Zlín, il y a les espaces verts, le théâtre, les concerts, la nouvelle bibliothèque avec expositions et conférences. Dans la région je recommanderais le zoo de Lešná à 10km, les villes d’Uherské Hradiště et de Kroměříž – inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco - ou Luhačovice, la ville d’eau avec une architecture exceptionnelle aussi.
Romans-sur-Isère et Zlín : partenariat entre lacets
Hasna est à Zlín pour un an et anime un des cours de conversation du soir au club franco-tchèque :
« Je suis franco-algérienne, née en Algérie et arrivée à un an en France où j’ai fait mes études. J’ai 18 ans et suis diplômée d’un baccalauréat ‘métiers de la mode, maroquinerie et chaussures’. »
On revient toujours à la chaussure à Zlín, car vous êtes ici une année dans le cadre du partenariat avec votre ville de Romans-sur-Isère – un peu la capitale française de la chaussure –, qui a été initié pendant le Printemps de Prague avant d’être rompu pendant la normalisation puis renoué après la révolution…
« Exactement, où il y a un grand musée de la chaussure ! Zlín n’était pas vraiment ce à quoi je m’attendais en arrivant mais j’ai découvert et j’aime bien maintenant. Je fais des cours dans deux collèges/lycées de Zlín mais aussi à Otrokovice, Slavičín et Vsetín. »
Vous avez donc découvert la campagne morave…
« Oui et tout est propre et beau, bien organisé, ce sont vraiment des communes à découvrir ! »
Y a-t-il des choses ici dans la maroquinerie ou pour votre futur métier que vous aimeriez découvrir ?
« Ici il y a une université du design, j’ai visité une fois et c’est très intéressant, mais il faudrait d’abord que je fasse un BTS en France pour y revenir faire un master. »
Les Cordonniers, crampons au pied
Après avoir passé les célèbres villas en brique rouge et aperçu le grand hôtel Moskva rebaptisé hôtel Zlín après l’invasion de l’Ukraine l’année dernière, direction le stade de football de la ville, de l’autre côté de la voie ferrée.
Comme beaucoup de choses ici, le club a lui aussi une histoire liée à la tatane, la savate, la grolle ou le godillot – les joueurs du FC Zlín sont surnommés les Cordonniers (Ševci en tchèque). Le Français Youba Dramé en fait partie depuis quatre saisons et s’apprête à chausser les crampons pour l’entraînement du jour :
« Je viens du Cap d’Agde, ce qui est très différent de Zlín pour la mer et le climat notamment. Je jouais au football chez moi à Agde et un agent m’a proposé de faire des essais à Ústí nad Labem en deuxième division. C’était l’opportunité de devenir professionnel à l’étranger et je trouvais cela intéressant. »
Vous avez fait une très bonne première saison et Zlín vous a repéré…
« Oui, j’avais plusieurs propositions mais mon choix s’est porté sur Zlín, j’ai senti que c’était l’endroit où il fallait que j’aille. Aucun regret, même s’il y a eu des bons moments et des moins bons. »
Un autre joueur francophone est arrivé cette saison, le Sénégalais El Hadji Latyr Ndiaye. L’avez-vous aidé à prendre ses marques ici ?
« Oui, il parle français mais pas très bien anglais donc je l’ai aidé dans l’intégration dans le club avec grand plaisir. »
D’autres joueurs à la peau noire dans l’équipe de Zlín, avec aussi l’année dernière le Guinéen Cheick Condé parti à Zurich et le Gambien Lamin Jawo qui a été victime de racisme, avec un épisode filmé dans un supermarché ici qui a fait beaucoup de bruit l’année dernière. Le racisme est-il un problème auquel vous avez été confronté ici dans les stades ou dans la vie quotidienne ?
« Personnellement oui, j’ai déjà été confronté plusieurs fois à du racisme dans des stades – des choses très malheureuses et très tristes qui n’arrivent pas seulement en Tchéquie mais dans beaucoup d’autres pays. En revanche, dans la vie de tous les jours je n’ai jamais été confronté à ce genre de problèmes ici. »
Dernière étape de cette virée à Zlín : Otrokovice – une ville renommée Baťov entre 1939 et 1946, évidemment en lien avec la firme Baťa. Et en cette année 2023, après un sondage réalisé auprès des habitants, le conseil municipal a décidé d’appeler officiellement Baťov l’un des quartiers de cette petite ville, comme un nouveau symbole de ce lien indéfectible entre toute la région de Zlín et le chausseur local devenu mondial.
Rien à cirer ? Jamais à Zlín : Hormis Baťa, plusieurs marques locales de souliers ont leur siège ou leur usine de production dans la ville. C’est le cas notamment de Prestige mais également de Vasky, qui vient de reprendre une autre célèbre marque de chaussures de sport, Botas.
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