Czech made: Baťa
Radio Prague vous propose cette année une série estivale consacrée à des marques et des produits de la République tchèque dont la réputation dépasse les frontières du pays. De l’antivirus Avast aux tracteurs Zetor en passant par le Semtex, la pervitine ou le knedlík - poilu ou non – la sélection ne sera sûrement pas exhaustive ; elle n’en sera pas moins variée.
Coup de pompe dans cet épisode, consacré au roi de la chaussure et à la marque tchèque sûrement la plus portée dans le monde : Baťa, plus communément épelée Bata.
« Il y a deux choses qui font marcher le monde : l’amour et Bata »– cette publicité française de 1989, même si elle exagère un peu, est presque dans le vrai. Bata, qui fête cette année ses 120 ans, est présent dans 60 pays du monde avec pas moins de 5 000 magasins. Un million de clients par jour, affirme la marque sur son site internet et sur tous les réseaux sociaux devenus incontournables pour son marketing.
A l’origine, en 1894, deux frères et une sœur - Anna, Antonín et Tomáš Baťa – issus d’une longue lignée de cordonniers, montent leur première fabrique de chaussures, dans leur fief morave de Zlín et dans ce qui était encore à l’époque l’Empire austro-hongrois. C’est d’ailleurs en chaussant l’armée impériale que l’entreprise familiale prend réellement son essor pour devenir, quelques années plus tard, l’un des principaux employeurs de la nouvelle Tchécoslovaquie.
Inspirées par l’Europe et les Etats-Unis, les nouvelles méthodes Baťa vont faire leurs preuves, comme le note l’historien Jiří Pernes :
« Tomáš Baťa a dépassé le modèle américain en ce qui concerne l'organisation du travail et l'idée de coparticipation des employés à la prospérité de la firme. Si les entreprises Ford en Amérique ont été les premières à moderniser la production en introduisant le travail à la chaîne, Tomáš Baťa, lui, a encore perfectionné les méthodes de travail en motivant financièrement ses employés pour qu'ils soient intéressés à la production, travaillent mieux et contribuent à une plus grande prospérité. »L’expansion se fait au pas de charge, en quelques années des filiales sont ouvertes dans de nombreux pays, Bataville est fondée en Lorraine en 1931. Peu avant sa mort dans un accident d’avion en 1932, Tomáš Baťa prononce à son retour d’Inde un discours qui restera célèbre :
« N’ayons pas peur de l’avenir ! La moitié de la population mondiale marche pieds nus et à peine 5% des gens sont bien chaussés. Il est donc évident que nous avons effectué bien peu de travail et que la tâche qui attend tous les cordonniers du monde est énorme », déclarait le cordonnier qui bâtit des quartiers d’habitations entiers autour de ses usines.
N’ayons pas peur de l’avenir, soit, mais méfions-nous quand même des régimes totalitaires : l’entreprise est réquisitionnée par les nazis et il ne faudra pas longtemps après la fin de la guerre pour que Baťa soit nationalisée. Les communistes y vont avec leurs gros sabots : ils rebaptisent l’entreprise qui devient Svit ainsi que la ville de Zlín, qui devient Gottwaldov.Le Canada devient alors la patrie de l’empire Baťa, pour plus de quatre décennies. Ce n’est qu’une fois le régime communiste tombé que Tomáš Baťa fils est invité à Prague par Václav Havel et décoré de la plus haute distinction nationale.
Entretemps, l’entreprise Baťa affiche 14 milliards de paires de chaussures vendues, ce qui lui vaudrait une entrée dans le livre des records en tant que plus grand fabricant de chaussures de tous les temps.
Mais le capitalisme paternaliste des années 1930 a fait son temps et l’utopie a laissé place à une dure réalité. Mondialisation, délocalisation, restructuration : des mots qui riment avec les maux d’employés laissés sur le carreau.
La désillusion des licenciés d’usines française et anglaise a fait l’objet de plusieurs films documentaires, dont Bata-ville et Pas un pas sans Bata.
La société Bata a aujourd’hui son siège social en Suisse et est dirigée par Thomas George Baťa.A Zlín, dont l’architecture est marquée par la famille Baťa, la marque est de nouveau présente dans le quotidien des habitants et l’université porte son nom. La fondation Tomáš Baťa y a également installé son siège. Mais c’est à Prague, au siège de la banque centrale, qu’elle organisera une grande conférence pour les 120 ans de la création de l’entreprise, le 30 octobre prochain.