Adolf Scherer, le premier « Français » finaliste d’une Coupe du monde de football (1ère partie)
Avant-centre de l’équipe de Tchécoslovaquie lors du match perdu (1-3) contre le Brésil en finale de la Coupe du monde 1962, Adolf Scherer est pourtant aujourd’hui, cinquante-deux ans plus tard, un des footballeurs de la grande épopée chilienne parmi les plus mal connus en République tchèque, mais aussi dans son pays d’origine, la Slovaquie. La faute notamment à quarante années passées en France, dans les proches environs de Nîmes, après une émigration illégale de la Tchécoslovaquie communiste en 1973. Radio Prague a rencontré récemment Adolf Scherer à Avignon. Reportage.
Adolf Scherer : « Maintenant, je suis 100% français ! 100% ! (En se tournant vers sa femme) Oh, tu as entendu ce que j’ai dit ? »
Nadia Scherer : « Oh, non, tu ne l’es pas à 100%... »
AS : « Mais qu’est-ce qu’il y a ? »
NS : « … dans ton cœur, il y a toujours un petit bout de slovaque. »
AS : « Mais je ne connais plus personne… »
NS : « Tu n’es pas 100% français. Il en reste un bout, de slovaque… »
Radio Prague : Bon, quand il y a un match France-Slovaquie, vous supportez qui ?
NS : « Eh ben, il est slovaque ! »
AS : « Slovaque ! »
NS : « Ah, voilà (elle éclate de rire)… »
RP : Vous êtes donc le seul Français qui supporte la Slovaquie ?
AS: « Oui (lui aussi éclate de rire)… Oh, je suis monté à Paris quand il y a eu France – Tchécoslo… France – Slovaquie… »
NS : « Et pour le hockey, c’est pareil. Quand c’est les Tchèques ou les Slovaques qui jouent, tu tiens pour eux… »
RS : « Oui, c’est vrai… Mais, mais… Quand même, je suis quand même un peu plus français… »
NS : « Un peu plus ? Non… »
AS : « Dans le sport, je suis un peu plus slovaque que français. Mais le sport, ça n’a rien à voir. Les Tchèques, les Slovaques, le foot, le hockey, ça oui… Je suis à 70% slovaque. »
RP : 100% français, 70% slovaque…
AS : « Oui, c’est ça (il rit de nouveau). »
NS : « Pour la nourriture, pour manger, oui, c’est tout à fait ça… »
Pas facile de s’y reconnaître avec Adolf Scherer. Tel est souvent le cas avec les personnes dont la vie ressemble à un roman. Le « problème » avec Adolf Scherer, en plus de parfois mélanger les langues française et slovaque, c’est que le récit de sa vie, dans sa version personnelle, est une succession d’anecdotes, une succession de petites histoires qui ont fait la grande Histoire dans laquelle on se perd parfois un peu. En même temps, on rigole tellement à entendre Adolf Scherer qu’on ne peut lui en vouloir, comme quand il explique quelle reste, aujourd’hui encore, son aura au Nîmes olympique, son premier club français de 1969 à 1972 :« J’ai fait carrière à Nîmes. C’était… Mon Dieu ! Scherer ? C’était marqué avec une photo. Plus grande star ? Scherer ! Une grande photo, hein. (Il passe inconsciemment au slovaque) To bola výstava (c’était une exposition). Bola fotka (il y avait une photo) du meilleur buteur et du meilleur joueur étranger. Tout le monde le dit. Bien sûr, j’ai fait la Coupe du monde. Il y a 1 000 personnes qui sont passées à cette exposition (en réalité il s’agissait de la soirée d’inauguration organisée par le club le 25 février dernier à l’occasion de la présentation de sa fresque historique dans son stade des Costières). J’étais là et j’ai signé autographe sur autographe. Tout le monde m’a embrassé, même la femme de notre ancien entraîneur, des anciens joueurs… C’était une fête extraordinaire… Ex-tra-or-di-nai-re ! On ne m’a pas oublié. Je suis arrivé et c’était Adolf par-ci, Adolf par-là. En Tchécoslovaquie, on m’appelait Dolfy, à Nîmes c’était Adolf… bah oui, comme Hitler. Mais ce n’est pour ça qu’on ne m’a pas oublié. Si vous demandez qui est Scherer… ohlala… ça m’étonnerait qu’ils ne sachent pas qui c’est… »
Nous venons de déjeuner ensemble. Pendant tout le repas, il n’a été question que d’une seule chose. C’est une évidence : pour vous, le football a été et reste toute votre vie.
« Ah oui… Le football… Ca a toujours été comme ça. Le football, c’est ma vie. Je ne peux pas l’oublier. Jamais, vraiment jamais. J’ai développé ma carrière et ma vie privée avec le football. J’ai 75 ans et le sport m’a toujours beaucoup donné. Aujourd’hui encore, j’en fais encore beaucoup. Tous les jours. Du vélo, de la gymnastique, des exercices, de la natation… Minimum trente à quarante minutes. J’ai toujours été sportif. J’ai besoin de ça pour vivre. Je vais toujours voir des matchs à gauche et à droite, même de petit niveau… C’est pas beau, la vie ? (il se marre) Une vie de football ? »
Si la vie est belle, elle n’est pas toujours rose pour autant. Et Adolf Scherer, derrière une bonne humeur dont il ne semble jamais se départir, le sait bien et ne l’a pas oublié non plus. Même s’il n’en parle pas forcément, ou alors avec beaucoup de pudeur, et préfère évoquer ses nombreux et bons souvenirs de ballon, celui qui fut le meilleur buteur de l’équipe tchécoslovaque au Mondial chilien, avec notamment deux buts lors de la demi-finale victorieuse (3-1) contre la Yougoslavie, n’a pas vécu que des jours heureux après son second départ, illégal cette fois, de Tchécoslovaquie en 1973 et son retour en France. La suite fut plus compliquée :
« Au départ, c’était dur. Je ne parlais pas un mot de français. A l’époque (pendant la période dite du Printemps de Prague, une certaine libéralisation du régime a permis l’introduction par Alexander Dubček, premier secrétaire du PC, de la liberté de circulation, ndlr), le président de la République avait autorisé cinq joueurs à quitter la Tchécoslovaquie pour aller jouer à l’étranger. La société Pragosport organisait tout cela et donnait les visas aux meilleurs joueurs (spécialisée dans le commerce extérieur sous le régime communiste, Pragosport était une société qui contrôlait tous les mouvements des sportifs tchécoslovaques, ndlr). Pragosport m’a donc permis de signer un contrat de quatre ans à Nîmes. Mais au bout de ces quatre ans (en 1972), j’ai été obligé de revenir en Tchécoslovaquie. Je suis donc retourné à Martin (petite ville du nord de la Slovaquie). Mais ça ne me plaisait pas trop (à côté du football, il était employé comme comptable à l’usine du coin). Alors, j’ai émigré (Adolf Scherer a profité de l’invitation à un match amical à Nîmes, auquel il avait été autorisé à se rendre). Pendant seize ans, je n’ai pas pu rentrer à la maison. La première fois que je suis revenu, quand j’ai passé la frontière… ohlala… A Bratislava, tout le monde me disait ‘Adolf, Adolf Scherer, Dolfy’… Mais pendant ces seize ans… Quand mon père est mort, l’ambassade de Tchécoslovaquie a refusé de me donner un visa pour aller à son enterrement… Un scandale ! J’ai tout essayé… ils n’ont rien voulu savoir ! Et après la révolution, quand je suis retourné pour la première fois, le gendarme avec son étoile rouge à la frontière m’a collé avec des ‘ooh, monsieur Scherer, ooh’… Quand j’ai revu Bratislava (où il avait joué durant ses plus belles années à la fin des années 1950 et au début des années 1960) pour la première fois après ces seize années, j’ai pleuré et je me suis dit que ce n’était pas possible tellement tout avait changé. »
Si tout avait changé dans sa Slovaquie natale, Adolf Scherer, lui, n’a jamais changé, restant toujours le même homme et le même footballeur. Nous le retrouverons dans une prochaine rubrique pour évoquer les grands moments de sa carrière.