Affaire Peroutka : le président Miloš Zeman s’excusera-t-il pour ses propos ?
C’est une affaire pas comme les autres, autour de personnalités pas comme les autres, qui s’est retrouvée, ce mercredi, devant la justice. Fait pour le moins inhabituel, le président tchèque Miloš Zeman a été accusé par la petite-fille de Ferdinand Peroutka d’avoir sali le nom de son grand-père. Celle-ci demandait des excuses officielles pour les propos tenus par le chef de l’Etat tchèque à l’encontre de ce célèbre journaliste et écrivain tchèque de l’entre-deux-guerres.
« Le même journaliste, poursuit l’auteur de ces paroles, le président Miloš Zeman, a après les Accords de Munich écrit : ‘Si nous ne pouvons pas chanter avec les anges, nous devons hurler avec les loups’. »
Ces fameuses paroles, prononcées lors d’un discours à une conférence sur l’holocauste à Prague en janvier 2015, dans lequel le chef de l’Etat voulait notamment mettre en cause la défaillance des intellectuels tchèques durant la montée du nazisme, ont donné le coup d’envoi à une affaire qui s’est retrouvée ce mercredi devant le tribunal du 1er arrondissement de Prague.
Pour mémoire, l’écrivain, journaliste, dramaturge et critique, Ferdinand Peroutka est considéré comme le « père du journalisme tchèque ». Chef de la revue Přítomnost (Présence, ndlr) et collaborateur d’autres journaux, dont par exemple Lidové noviny, Peroutka passe la Deuxième guerre mondiale dans le camp de concentration de Buchenwald pour avoir refusé de coopérer avec la gestapo. Après la prise du pouvoir par les communistes en 1948, il quitte sa patrie pour s’installer d’abord en Grande-Bretagne, puis aux Etats-Unis. Il dirige pendant dix ans la rédaction tchèque de Radio Europe Libre, la seule source d’informations non censurées pour les pays communistes. Il est mort en exil en 1978.
Le discours du président qui a déclaré que Ferdinand Peroutka avait été, pendant une courte période, un « admirateur du nazisme », a rapidement suscité la controverse, provoquant de nombreux débats. Si la paternité de l’article « Si nous ne pouvons pas chanter avec les anges, nous devons hurler avec les loups » a été finalement attribuée au journaliste Jan Stránský, l’existence du texte « Hitler est un gentleman » n’a jamais été prouvée. La petite-fille du journaliste, Terezie Kaslová, suivie également de différents historiens et de représentants de la Société Ferdinand Peroutka, qui s’opposent tous à ce que Peroutka ait jamais écrit un tel papier, ont invité le chef de l’Etat à soit prouver ses affirmations, soit s’excuser pour ses propos erronés.Miloš Zeman maintient néanmoins qu’il a vu le texte de ses propres yeux. S’il a tout d’abord promis de s’excuser pour ses propos dans le cas où son porte-parole, Jiří Ovčáček, ne découvrirait pas l’article, il s’est finalement excusé seulement pour ne pas l’avoir encore retrouvé et a offert une récompense de 100 000 couronnes (près de 3 700 euros) à quiconque le ferait. Après des négociations infructueuses avec le chancelier du Château de Prague, Vratislav Mynář, la petite-fille de Peroutka a ainsi porté plainte, en avril dernier, contre l’Etat tchèque dont elle exige des excuses officielles. Avant le procès, qui s’est tenu après de longs mois d’inactivité ce mercredi, Terezie Kaslová a indiqué :
« Nous demandons toujours que le président s’excuse pour ses propos à la conférence, il y a un an. Je ne saurais pas comment estimer l’honneur d’une personne. C’est la raison pour laquelle je ne demande pas d’argent, d’autant plus que si je demandais un dédommagement, il ne serait pas payé par le président mais par les contribuables. Je demande donc seulement des excuses. »Ce mercredi, le verdict a été prononcé en faveur de la plaignante et le tribunal a ainsi ordonné au Bureau du président de faire ses excuses à propos des commentaires faits sur la personnalité de Ferdinand Peroutka. La présidente du tribunal, Kateřina Sedláková explique sa décision :
« On attend naturellement du président de la République qu'il présente des informations vérifiées et qu’il maintienne le respect aux droits des individus. »
Suite à cette décision, le Château est donc ainsi censé envoyer à Terezie Kaslová une lettre présentant des excuses officielles d’ici sept jours et le même texte devrait être publié sur le site du Bureau du président. Selon le porte-parole du président, le Château va néanmoins faire appel du jugement. L’affaire pourrait donc finir jusque devant la Cour constitutionnelle.