« Après que je sois rentré » ? La grammaire française vue par un linguiste tchèque

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Jan Dvořák est un linguiste tchèque installé à Lyon, où il rédige actuellement une thèse à l’Ecole normale supérieure. En marge de ses travaux, il enseigne également le français – à des étrangers mais aussi parfois à des Français, à qui il est capable d’expliquer les difficultés de leur langue maternelle.

Jan Dvořák,  photo: Site officiel de Superprof
« Pour mon sujet de thèse, je m’intéresse aux adjectifs démonstratifs qui introduisent un nom dans les discours – donc les démonstratifs en emploi adnominal. Par exemple ‘Cette bière’ est un emploi de démonstratif. »

Vous faites dans votre thèse un comparatif avec la langue tchèque – dans ce cas concret ‘To pivo’, c’est bien ça ?

« Exactement. Le paradigme en tchèque est beaucoup plus intéressant que celui en français et en plus il y a des tendances qu’on ne retrouve pas en français. J’essaye dans ma thèse de comparer les deux langues sur ce plan-là. »

Du coup il vous est arrivé d’expliquer à des Français des nuances de leur propre langue maternelle ?

« Cela m’est déjà arrivé. Je trouve souvent que les Français ne savent pas comment fonctionne leur langue. C’est tout à fait naturel, car l’écrasante majorité des locuteurs de toutes les langues du monde ne s’intéressent pas vraiment au fonctionnement de leur langue. Il n’y a qu’un nombre assez restreints de fous, dont moi, qui s’intéressent à cela, donc effectivement il m’est arrivé d’expliquer aux locuteurs natifs comment fonctionne le français… »

Comment avez-vous appris ce français, que vous parlez sans aucun accent ou presque ?

« Je l’ai appris essentiellement à l’école, à partir de lectures et de voyages aussi, et avec des amis francophones. J’estime que je maîtrise plutôt bien l’orthographe, parce que mon apprentissage de la langue est passé en grande partie par l’écrit. Cela me donne un certain avantage sur une grande partie des francophones qui ont appris la langue de leurs parents. Il y a une approche complètement différente à la base de l’apprentissage de la langue, ce qui me rend plus fort en français sur certains plans et plus faibles sur d’autres. »

Qu’est-ce que vous savez vous que les gens assis à la table d’à côté ne savent peut-être pas – un piège dans lequel tombe la majorité de francophones ?

« Il y a des tendances aujourd’hui qui sont assez lourdes, par exemple l’emploi du subjonctif après ‘Après que’ ; « après que je sois rentré » par exemple alors que du point de vue très psychorigide de la grammaire scolaire c’est incorrect car le subjonctif ne s’emploie qu’après ‘Avant que’. »

« Mais cela dépend de l’approche. Si on est dans une approche très normative, on va considérer cela essentiellement comme une faute, tandis que si on a un peu plus de recul avec la langue et qu’on sait qu’elle évolue, on va se dire que peut-être dans cinquante ans cela va devenir la norme aussi. »

Pensez-vous vraiment que le subjonctif après ‘Après que’ sera la norme dans cinquante ans ?

« Je pense que oui – en tout cas ce n’est pas exclu et cela me paraît assez probable que cela devienne la norme. »

Faites-vous partie des puristes qui sont énervés par exemple par la réforme de l’orthographe française ? Est-ce que l’accent grave sur « évènement » vous agace par exemple ?

« Je n’en fais pas partie. Je pense que souvent ces gens-là sont prisonniers d’une approche vraiment très normative qui n’est pas la mienne. Ce qui m’intéresse c’est le fonctionnement du langage – il y a plusieurs autres langues que le français qui m’intéressent – et je suis vraiment dans une approche où je considère ça comme l’évolution de la langue et cela ne m’énerve pas outre mesure. »

Donc vous n’êtes pas trop attaché à un accent circonflexe qui disparaît ?

« C’est vrai que parfois je peux trouver dommage que cela disparaisse, dans la mesure où je l’ai appris comme ça. Je peux avoir une approche un peu rigide aussi de la grammaire ; je considère, comme plein de gens d’ailleurs, que si je l’ai appris comme ça il faut qu’on perpétue la chose. Il peut y avoir un petit attachement sentimental, mais je n’ai pas la réaction de certains puristes qui peuvent être horripilés, ce n’est pas mon cas. »