Après trois refus de naturalisation, František Neckář a fini par devenir François Neckar

François Neckar et son fils, photo: Alexis Rosenzweig

Rencontre aujourd’hui avec un ancien hockeyeur international installé à Dijon en France. Ou comment en une trentaine d’années, František Neckář le gardien du Dukla est devenu François Neckar le cheminot de la SNCF.

François Neckar et son fils,  photo: Alexis Rosenzweig
« En tchèque, je m’appelle František Neckář, je suis né à Jihlava, à l’époque ville tchécoslovaque qui est aujourd’hui chef-lieu de la région Vysocina. »

Vous avez dit ‘en tchèque’, ça veut dire qu’ici en France vous êtes connu sous un autre nom ?

« Oui, en fait j’ai été naturalisé en 1997 mais avant ça la France m’a refusé la naturalisation à trois reprises. J’avais beau parler un français presque courant on me la refusait sous prétexte que je n’étais pas bien intégré. Quand j’ai demandé pourquoi, on m’a dit qu’il vaudrait mieux franciser mon prénom, donc j’ai choisi la traduction littérale de mon prénom et aujourd’hui dans mon passeport est inscrit le prénom François. Ici je suis donc François Neckar. »

Jihlava, c’était à l’époque la ville du grand club de hockey sur glace, le Dukla Jihlava…

« Ah oui, le Dukla Jihlava est le célèbre club militaire où j’ai commencé ma carrière à la grande époque, un club comparé au grand club militaire soviétique du CSKA Moscou. J’y suis resté jusqu’à l’âge de 20 ans avant de partir à Brno faire des études. »

« On m'a refusé le titre de séjour en France parce que je jouais au Dukla, le club de l'armée tchécoslovaque »

« J’étais gardien au Dukla Jihlava, j’ai participé à un tournoi en France à Grenoble en 1991 et par un ami j’ai eu un contact avec un club à Brest. La personne qui m’a fait venir était le PDG du groupe Doux, les poulets du père Dodu ! Le problème est que je n’ai pas pu y rester parce que la France m’a refusé le titre de séjour, sous prétexte que j’étais un ressortissant d’un ancien pays communiste. »

Même si on était déjà en 1991, deux ans après la chute du communisme ?

Le stade de Dukla Jihlava,  photo: Palickap,  CC BY-SA 4.0
« Oui, sous prétexte de la présence de ports et de bases navales militaires on m’a refusé Brest, puis Nantes et Bordeaux… Je suppose que c’était parce que je venais du Dukla, le club de l’armée, mais c’est ce qui s’est passé et je ne sais toujours pas pourquoi… »

Du coup vous avez fait quel choix ?

« En fait je ne savais pas quoi faire et j’ai même envisagé d’arrêter le sport. Mais à ce moment-là j’ai été recruté par un tout petit club, à Valenciennes, ce qui m’a permis de faire des études à Lille. A l’époque on jouait en deuxième division… »

NHL vs Ligue Magnus

A quel âge aviez-vous commencé à jouer en équipe nationale ?

« Tous mes copains de l'équipe nationale sont partis joués en NHL »

« Dès l’âge de 16 ans, je suis passé par toutes les équipes juniors. J’ai participé au Mondial des U18 en Finlande. Malheureusement, je n’ai pas pu jouer au Mondial des U20 parce que j’étais blessé. Cela a peut-être été une chance et ce qui a décidé de mon avenir en France parce qu’après ce Mondial tous mes copains de l’équipe nationale ont été recrutés par des clubs nord-américains en NHL (comme Jaromir Jágr, ndlr). Ma voie était ailleurs… »

Quand êtes-vous arrivé ici à Dijon ?

« Dijon, c’était presqu’à la fin de ma carrière pro. Après une escapade en Angleterre je suis revenu à Mulhouse et Dijon m’a engagé. J’ai accepté à condition d’avoir un travail à côté, parce que j’étais déjà diplômé d’un master en affaires internationales avec une spécialisation en transport. A Dijon il y a beaucoup de sociétés de logistique. C’était au moment où le club montait en première division, ce qu’on appelle la ligue Magnus aujourd’hui, mais le club a accepté quand même de me laisser travailler. J’ai postulé ensuite à la SNCF et j’ai été recruté, donc depuis 2001 je suis un cadre de la SNCF. »

Donc František du Dukla Jihlava est devenu François le cheminot !

Gare de Dijon Ville,  photo: G CHP,  CC BY-SA 2.5
« C’est exactement ça ! A l’époque j’ai été recruté sur Paris, avant de revenir sur Dijon, j’ai même fait les trois huit à un moment tout en continuant de jouer. »

Vous avez joué jusqu’à quand ?

« J’ai joué jusqu’à 32 ou 33 ans en pro avant d’arrêter. Après un ami m’a recruté dans une équipe de troisième division entre 2004 et 2007 mais c’était plutôt pour rigoler. Quand je suis revenu au club de Dijon c’était après cinq ans d’absence et pour mon fils, qui est aussi hockeyeur et aussi gardien !»

Entraîneur en Suisse

Vous avez le statut de cheminot, mais vous n’avez pas arrêté le hockey pour autant puisque vous entraînez toujours…

« Oui, je ne joue plus activement, mais actuellement je suis entraîneur en Suisse romande, à la Chaux-de-Fonds où mon garçon évoluait comme gardien. Mais il va aller la saison prochaine en Suisse allemande, à Langnau im Emmenthal ; ça va me donner l’occasion de rentrer en France, de mettre ma carrière d’entraîneur de côté et de réintégrer la SNCF. »

Après ces difficultés que vous avez évoquées vous avez donc fini par devenir citoyen français. Est-ce que vous vous intéressez encore à la politique tchèque et à ce qui se passe dans votre pays natal ?

« Absolument ! D’autant plus que je suis Français depuis 1997 et après ma naturalisation ils m’ont retiré ma nationalité tchèque car à partir de 1993 toutes les naturalisations en dehors du mariage étaient considérées comme des déclarations de volonté et après la partition de la Tchécoslovaquie on n’autorisait plus la double-nationalité. Ça a été un choc d’être destitué de la nationalité tchèque ! Mais j’ai fini par la récupérer en 2014. Mes enfants sont très contents car eux aussi sont désormais binationaux. Notre vie aujourd’hui est en Bourgogne mais on essaie de rendre régulièrement visite à la famille en Tchéquie. »