4) Les rites funéraires dans les sociétés préhistoriques
Qu’il s’agisse d’incinération ou d’inhumation, l’étude archéologique des sépultures sur le territoire de l’actuelle République tchèque permet de deviner certaines habitudes des populations préhistoriques – en termes de rites funéraires, mais également de vie de tous les jours.
La République tchèque est détentrice d’un record mondial original : d’après les statistiques actuelles, quelque ¾ de la population choisit l’incinération comme rite funéraire. Cependant, ce type de rite n’a pas toujours été prédominant sur le territoire de l’actuelle République tchèque. D’ailleurs, ce n’est qu’en 1918, après la fin de l’empire austro-hongrois et de ses lois interdisant la crémation, qu’a pu avoir lieu la première crémation en Tchécoslovaquie.
Incinération ou inhumation
La crémation y était pourtant pratiquée déjà bien plus tôt, au Néolithique (6000 – 2300 av. J.-C.), et l’un des exemples les plus riches en la matière a été découvert en 1931 dans le quartier de Bubeneč, à Prague. Un site unique car à l’époque de sa découverte, il s’agissait du premier site de sépulture indépendant découvert sur le territoire. Cependant, les urnes en céramique et récipients en pierre de ce site – qui date de la période 4900-4400 av. J.-C. – n’ont été que partiellement explorés, car certaines tombes ont été détruites à l’époque préhistorique tandis que d’autres ont probablement été supprimées lors de la construction de la zone résidentielle sans la supervision d’archéologues. Néanmoins, les fouilles ont permis d’identifier que les cendres des corps d’hommes et de femmes incinérés étaient placées dans un récipient (urne) ou versées au fond d’une fosse funéraire, qui était généralement de forme ovale.
Il y a quelques années, une nécropole à rites funéraires mixtes datant du Néolithique a été mise au jour à Kralice na Hané, dans la région d’Olomouc. Sur les 80 sépultures examinées, 69 concernaient des corps incinérés.
Enterré en chien de fusil, allongé… ou autrement
Outre l’incinération, la pratique des inhumations remonte au Paléolithique moyen (300 000 – 40 000 av. J.-C.). La position d’enterrement la plus courante était en chien de fusil ; on la retrouve dans des tombes dès le Néolithique et jusqu’à la fin de l’âge du Bronze. Michal Ernée, de l’Institut d’archéologie de l’Académie des Sciences de République tchèque, rappelle que les modes d’enterrements étaient très divers, et sont difficiles à interpréter :
« Nous avons identifié un certain nombre de traitements différents des défunts au fil du temps, et il s’avère que la plupart des sociétés enterraient leurs défunts de façons multiples. Cependant, nous ne sommes capables de saisir archéologiquement que certaines d’entre elles. Pour un certain nombre de périodes, nous ne savons pas dire comment ils enterraient, ou bien nous ne sommes pas en mesure d’identifier clairement la méthode prédominante, s’il s’agissait d’inhumation ou de crémation, si le dépôt se faisait en surface ou en terre, etc. »
« La position fœtale peut avoir un rapport avec la position dans le ventre de la mère. Cependant, de nombreuses cultures ont enterré leurs morts dans des positions allongées, comme les Celtes ou encore, à Prague, comme dans la nécropole de la place Notre-Dame-de-Lorette, qui comptait plusieurs centaines de tombes. »
Mobilité et habitudes alimentaires des défunts
Les études archéologiques classiques sur les squelettes permettent d’obtenir de nombreuses informations sur les populations. Outre les informations de base, tel que le sexe et l’âge de la personne à sa mort, il est possible d’identifier la cause de la mort. Par ailleurs, l’analyse des isotopes permet d’identifier l’origine géographique de la personne, et celle-ci peut être surprenante. Ainsi, la fouille de 96 tombes sur le site funéraire de Vedrovice, en Moravie-du-Sud, a montré que même au début du Néolithique, la mobilité des populations était importante, puisque certaines personnes avaient grandi à Vedrovice avant de s’en éloigner pour un temps puis d’y revenir ; d’autres s’y étaient installées plus tard dans leur vie.
L’analyse archéologique des isotopes permet également de déterminer les habitudes alimentaires du défunt. Michal Ernée :
« Il est très intéressant de constater, dans l’une des plus anciennes sépultures de l’âge du Bronze, que la communauté dans son ensemble mangeait plus ou moins la même chose. Mais une étude détaillée des familles individuelles montre certaines différences entre les familles, une différence que nous pouvons tout simplement interpréter comme des préférences alimentaires familiales. Nous avons également eu le cas de deux individus qui sortent tout à fait du lot : un couple âgé, enterrés dans une même tombe, a priori des personnes de classe supérieure dans cette société. On a constaté qu’ils mangeaient juste plus de viande que la moyenne dans cette société à cette époque. »
Plus récemment, à l’aide des études d’ADN, les archéologues ont entrepris des analyses génétiques pour déterminer la composition des familles autrefois. Une démarche qui n’en est toutefois qu’à ses débuts, comme le précise Michal Ernée :
« Tout d’abord, il faut dire qu’il n’y a que très peu d’analyses génétiques de ces familles ou de communautés en Europe : nous pourrions vraiment les compter sur les doigts d’une ou deux mains, et ce pour toute la période de la préhistoire, du Néolithique et jusqu’au début du Moyen Âge. La recherche en est donc encore à ses débuts. Mais revenons-en à ce qui nous intéresse, à savoir l’âge de Bronze plus ancien : à cette époque, il semble que les familles étaient plutôt petites, qu’elles veillaient vraiment à éviter les mélanges génétiques entre les parents d’une même famille, et qu’elles avaient les outils pour s’en assurer. Pourtant, on estime que les femmes de l’époque pouvaient avoir jusqu’à sept enfants en moyenne, ce qui n’est pas si peu. »
Des cadeaux dans les tombes
Les défunts étaient souvent enterrés avec des objets en guise d’offrandes, qu’il s’agisse de bijoux, d’armes ou de contenants alimentaires. L’archéologue revient sur une tombe particulièrement riche, découverte à un peu plus de cent kilomètres à l’est de Prague :
« A Mikulovice, près de Pardubice, nous avons découvert la tombe d’une femme, enterrée avec un nombre important d’offrandes. Cette tombe est datée d’environ 2000 av. J.-C., et elle contient, entre autre, un magnifique collier d’ambre composé de plus de 400 coraux d’ambre. C’est donc actuellement la tombe contenant de l’ambre la plus riche d’Europe sur toute cette période. »
Des squelettes verts
Co-auteur d’un livre sur les découvertes archéologiques du site de Mikulovice, Michal Ernée revient également sur la particularité de certaines tombes : la couleur verte de certains squelettes.
« Les défunts de l’Age du Bronze, comme le suggère le nom de cette période, étaient très souvent enterrés avec des aumônes en bronze ou en cuivre. Or le bronze et le cuivre se corrodent et produisent une belle couleur verte… Ainsi, même si les objets en bronze étaient à l’origine de couleur bronze – comme les médailles de nos jours – nous les retrouvons recouverts de ce cuivre vert. Comme il s’agissait souvent de bijoux, de bracelets, etc., ils étaient en contact direct avec les os, et ce pendant plusieurs milliers d’années, donc la corrosion a bien évidemment affecté les os, qui ont une couleur verte aujourd’hui. Dans certains, cas, même si les objets en bronze n’ont pas survécu, à partir des os, nous pouvons déduire l’emplacement et la nature de ces objets. Par exemple, si nous observons une bande de bronze ou une bande verte sur les os autour du poignet, nous pouvons en déduire que la femme qui a été enterrée portait probablement un bracelet au bras. »
A Prague, outre la nécropole de la place de Notre-Dame-de-Lorette précédemment mentionnée, et dont les tombes les plus anciennes remontent au VIe et VIIe siècle, une nécropole importante a été mise au jour en 2012, sur le site de la construction de la bibliothèque Václav Havel.
Les techniques modernes d’analyse et d’études des sépultures préhistoriques offrent des informations précieuses sur les habitudes de nos ancêtres de la Préhistoire ; en revanche, ils n’apportent que des éléments d’interprétation du sens pratique ou spirituel des rites funéraires. De la même façon, si nous nous projetons dans le futur, nos successeurs se demanderont peut-être pourquoi les populations européennes du début du XXIe siècle décoraient leurs tombes de fleurs et de bougies.
Cet article a vu le jour en collaboration avec l'Institut d'archéologie de l'Académie des Sciences de République tchèque.