Arezki Mellal : « L’ironie est une manière d’être en Algérie »
En novembre dernier s’est déroulée à Prague et en province, la 4e édition du Festival de la culture orientale. Parmi les invités de cette année, l’écrivain algérien, de langue française, Arezki Mellal, dont la toute dernière pièce « Samedi, la révolution », a été présentée sous forme de lecture scénique. Graphiste, maquettiste, éditeur de livres d'art, scénariste de BD, Arezki Mellal a toujours tourné autour des métiers de l’écrit, mais ce n’est que tardivement qu’il est venu à l’écriture proprement dite. Il a confié à Radio Prague le tournant qui s’est produit dans sa vie.
Il faut rappeler que c’est l’époque des assassinats et du terrorisme en Algérie, dans les années 1990…
« Voilà. Je voulais témoigner surtout car le président de l’époque avait édicté une loi d’amnistie qui devait empêcher les gens d’évoquer le passé. Evoquer ce qui s’était passé tombait sous le coup de la loi. C’est le moment que j’ai choisi pour parler, pour écrire. Il fallait le faire… »
Ce roman a-t-il d’abord été publié en France, ou en Algérie ?
« Le roman a été d’abord publié en Algérie, ensuite plus tard en France. On publie en Algérie, il y a une liberté d’expression des journaux, des écrits. On peut vraiment s’exprimer. D’ailleurs, peut-être un peu moins maintenant, paradoxalement. A l’époque du terrorisme on était plus libres, c’était plus facile. Même économiquement. C’est un grand paradoxe de le constater : les gens pensent qu’ils vivaient mieux à l’époque du terrorisme. C’est terrible à dire : penser qu’à l’époque où il y avait des morts tous les jours, on vivait mieux qu’aujourd’hui avec la paix. Cela pose de vraies questions. »
Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
« Peut-être que la mort brutale et atroce, ce n’est rien par rapport à un quotidien qui use les gens, un quotidien sans perspective, qui les écrase. Peut-être qu’ils préfèrent côtoyer la vraie mort, visible, que cette mort lente qui vous bouffe tous les jours. »
Très officiellement, l’Algérie est un pays arabe, alors que nous ne le sommes pas.
Quelles ont été les réactions à la sortie de « Maintenant, ils peuvent venir » en Algérie ?
« C’est un roman qui a été très bien reçu. Il a même été réédité. Les journaux en ont bien parlé, j’ai été invité à la radio plusieurs fois, mais pas à la télévision, car c’est une autre histoire. En France, un éditeur qui s’intéressait à l’Algérie et a édité le livre. Ce roman parle du terrorisme et c’est un roman contre l’islamisme surtout. »
Comme de nombreux auteurs arabes, vous écrivez en français. Pourquoi pas dans votre autre langue ?
« Parce que je suis un produit de la colonisation française, j’ai une culture en français. J’ai appris l’arabe, gamin, comme une langue étrangère. Et puis d’abord la langue arabe elle-même est une langue étrangère à l’Algérie. Ce n’est pas la langue que nous parlons, ce n’est pas notre langue maternelle, c’est celle que nous apprenons à l’école et qui n’est pas celle de la maison ou de la rue. L’histoire de l’arabe est très compliquée. Aujourd’hui, il y a des luttes en Algérie autour de la langue, autour de ce qu’ils appellent ‘l’arabité’. Très officiellement, l’Algérie est un pays arabe, alors que nous ne le sommes pas. Ce terme ‘arabe’ est très idéologique. »
Utiliser le mot ‘arabe’ pour un si vaste territoire, si varié, si différencie, de l’Irak au Maroc, c’est un peu comme si on mettait la France et la Russie ensemble…
« Oui… tout ce qu’il y a d’arabe c’est la langue. Mais de manière superficielle, parce que ce n’est pas cette langue arabe qui est parlée par les Marocains, Tunisiens, Libyens, Egyptiens etc. Ce n’est pas la langue qu’ils parlent entre eux. Ensuite, ils ont la langue arabe au-dessus qui est une langue fermée, morte, dont la référence est le Coran. C’est une langue vieille de quinze siècles, qui n’a pas bougé, une langue sacrée, sacralisée… C’est cet arabe-là qu’on veut imposer dans ces pays. C’est incroyable, c’est comme si les Français parlaient une langue de l’époque de Clovis ! Donc c’est une arme idéologique d’abord utilisée par les nationalistes arabes à l’époque. Ceux qui luttaient contre les Anglais et les Français avaient besoin d’un mythe identificateur sur lequel mobiliser les gens. Mais aujourd’hui, elle sert les islamistes, qui l’utilisent et la brandissent. C’est un piège terrible. Donc j’écris en français, c’est plus facile, cela me donne plus de liberté. Et puis, en Algérie, nous sommes un pays francophone. C’est le premier pays francophone au monde après la France. »Comment réagissent les populations à cet islamisme rampant ?
« Il faut savoir que vous êtes dans les pays du Sud, dans ce qu’on appelle encore le Tiers monde. Le Tiers monde, c’est cela : ce n’est pas seulement un retard économique, culturel… mais c’est politique aussi. On a un très grand retard de la conscience politique, même si à une époque il y a eu un certain nationalisme, un mouvement de libération etc., tout cela c’est dépassé. Les mouvements anticolonialistes ont très vite viré à autre chose, en dictatures. Tout ce qu’il pouvait y avoir comme acquis démocratique a été balayé au profit d’affreux dictateurs en Afrique et dans tous les pays arabes. Donc les consciences politiques populaires sont très faibles. Aujourd’hui, c’est donc très simple : l’islam auquel ces gens sont attachés est devenu politique. Ce n’est plus une religion. L’islamisme est une tendance politique. Il existe sans doute des partis catholiques en Europe, mais dans le cas de l’islam, c’est bien plus compliqué. Imaginez des partis catholiques qui se réclament de l’Eglise, l’application de la Bible, et qu’en face, il n’y ait pas de démocrates. Voilà la situation. Donc il ne faut pas se leurrer, les populations adhèrent à l’islamisme. Les femmes, quand elles portent le hijab, c’est qu’elles y croient. Les barbus, c’est aussi leur conviction. C’est l’idéologie dominante, la pensée politique actuelle qui domine les pays arabes. »
Aujourd’hui, c’est donc très simple : l’islam auquel ces gens sont attachés est devenu politique. Ce n’est plus une religion. L’islamisme est une tendance politique.
Pour revenir à l’écriture, qu’est-ce que celle-ci vous apporte-t-elle au quotidien ? C’est un sas de liberté, une manière pour vous de mettre en garde vos concitoyens ? Est-ce que vous envisagez la littérature comme une littérature nécessairement engagée ?
« Bien sûr, c’est engagé. Remettre en cause les systèmes, les pouvoirs, c’est engagé. Mais j’utilise plus un autre mot : la subversion. Je n’imagine pas écrire sans être dans la subversion. Aujourd’hui, il faut être en plein dans la subversion : ce n’est que comme cela qu’il peut y avoir une littérature. Ecrire ce qui rend vivant, qui fait qu’on respire un peu, c’est cette littérature non pas engagée, mais subversive. La subversion, c’est à la fois du défi, de l’agressivité, de l’ironie. C’est quelque chose de très vivant, surtout quand cette façon d’écrire s’exprime dans le théâtre. »
Vous parliez de l’ironie dans l’écriture, l’humour est-il important pour vous en littérature ?
« C’est absolument indispensable. Surtout qu’en Algérie – je ne sais pas pour les autres pays arabes que je connais peu – l’humour, la dérision sont très présents, un peu comme dans les anciens pays du bloc de l’Est quand la démocratie faisait défaut. Nous avons cet humour, en raison de la situation politique du passé, mais c’est aussi ancré dans notre culture même. C’est un humour tout en sous-entendus. L’ironie est une manière d’être en Algérie. »