Aumônier à Prague en temps de Covid
Membre de la Congrégation des sœurs de Saint-Charles-Boromée, Anna Vendula Malichová est aumônier à l’hôpital de l’ordre, situé au cœur de Prague, au pied de la colline de Petřín. Au micro de Radio Prague International, elle témoigne de son expérience au chevet des malades atteints du Covid-19 et du lien qu’elle assure entre les patients et leurs familles. Avant cela, elle est revenue sur son parcours.
« J’ai fait mes études au lycée bilingue franco-tchèque d’Olomouc. J’ai ensuite étudié le français et l’économie à l’université, ce qui m'a permis de travailler, pendant dix ans, comme traductrice et assistante pour une société française. »
Comment êtes-vous devenue aumônier d’hôpital ?
« A un moment donné, j’ai choisi mon chemin de vie et je suis entrée dans la Congrégation des sœurs de Saint-Charles. J’ai alors commencé à travailler comme soignante dans un centre de rééducation, tout en étudiant la théologie à distance. Lorsque le directeur de ce centre a cherché quelqu’un pour assurer le service d’aumônerie, il s’est adressé à moi. J’ai essayé, ça a marché et j’ai aimé… C’est un travail qui a du sens : je peux aider les malades, contribuer à leur guérison, les soutenir spirituellement en leur faisant découvrir leurs propres ressources. »
Vous dirigez désormais l’équipe des aumôniers de l’Hôpital des sœurs de charité de Saint-Charles-Borromée qui occupe une place particulière parmi les établissements de santé du pays. Pourriez-vous expliquer quelle est sa spécificité ?
« Notre hôpital qui se trouve au centre de Prague a été fondé au milieu du XIXe siècle par les sœurs de charité de Saint-Charles, une congrégation originaire de Nancy. Cent ans plus tard, en 1952, les sœurs ont été chassées de l’hôpital pour des raisons politiques. Après la chute du régime communiste, l’hôpital a été rendu à la congrégation. Actuellement, il s’agit du seul établissement de santé en République tchèque géré par l’Eglise et qui assure des soins intensifs. Nous avons des services de chirurgie et de médecine interne, une unité de soins intensifs et de réanimation, des services de soins palliatifs, de kinésithérapie et de rééducation. »
« La spécificité de l’hôpital tient également aux valeurs liées à la Congrégation des sœurs de Saint-Charles. Notre objectif est de travailler ensemble, de manière responsable et avec une charité efficace. »
Votre équipe est composée de cinq aumôniers aux parcours différents… Qui sont-ils et comment vous répartissez-vous les tâches ?
« Le plus expérimenté d’entre nous, Marek, est prêtre et membre de l’Ordre des prémontrés. A l’hôpital, il assure les sacrements catholiques et participe aussi à la formation d’aumôniers. Nos autres collègues sont laïcs, ils sont tous mariés. Certains d’entre eux ont encore d’autres activités professionnelles : Pavlína travaille dans l’administration et Markéta est psychologue dans une école. Notre collègue Jan est membre de la communauté Chemin Neuf. A l’hôpital, ils interviennent dans des services différents. Moi-même, je m’occupe des patients Covid. »
Combien de patients atteints du Covid-19 sont pris en charge dans votre hôpital ?
« Actuellement, ils sont une trentaine. Ils ne sont pas tous dans un état grave. »
Est-ce un nombre stable ?
« C’est un chiffre qui correspond à la capacité d’accueil de notre hôpital. Nos possibilités de prendre en charge les patients nécessitant une oxygénation sont limitées. En ce moment, nous cherchons à agrandir notre capacité d’accueil. »
Nous disons aux médecins que leur travail porte ses fruits quand même
Il y a un an, les premiers cas de Covid-19 ont été dépistés en République tchèque. Comment votre travail à l’hôpital a-t-il changé au cours de cette année pandémique ?
« Au début de la pandémie, nous avons cherché ‘comment faire’. Pour essayer de limiter la propagation du virus, dont la contagiosité faisait très peur, la direction de l’hôpital a réduit au strict minimum les visites auprès des patients, y compris celles des aumôniers. Nous avons dû modifier l’organisation de notre travail, en divisant notre équipe de sorte que l’accompagnement spirituel soit assuré dans tous les services de l’hôpital, où on sépare désormais les cas suspects de Covid et les personnes testées positives des autres patients. »
« Ce qui a changé par rapport au passé, c’est que nous devons porter des habits de protection, comme le personnel soignant. Au début de l’épidémie, l’hôpital n’avait pas assez d’équipements de protection pour tout le monde, alors les médecins et les infirmières avaient bien sûr la priorité. »
« L’un des principaux changements tient au fait que nous sommes amenés à accompagner beaucoup plus qu’avant le personnel médical et que nous sommes en contact intense avec les familles des patients. »
De quelle manière intervenez-vous auprès du personnel de l’hôpital ?
« Nous lui offrons un soutien, un partage, un ressourcement spirituel, une possibilité de discuter. A l’hôpital, la mort est beaucoup plus présente qu’auparavant, ce qui est parfois difficile à supporter. Les traitements qui fonctionnaient bien avant la pandémie ne sont plus efficaces. Les soignants sont confrontés au stress et à l’impuissance. Notre rôle est de leur dire que même si leur travail a changé et même s’il n’apporte pas toujours le résultat espéré, il demeure important et porte ses fruits quand même. »
La présence d’un aumônier est un réconfort pour la famille
Mis à part quelques courtes périodes de déconfinement, les visites dans les hôpitaux tchèques, ainsi que dans les maisons de retraite, sont interdites depuis plusieurs mois. Une situation perçue comme inhumaine par tous ceux qui la vivent au quotidien. Arrivez-vous à rompre l’isolement des patients dans votre hôpital ? Comment assurez-vous le lien entre les malades et leurs proches ?
« Nous faisons le maximum pour faciliter leur communication. Les visites ne sont permises que quand un patient est mourant. Je dirais que nous prêtons aux malades et à leurs familles nos yeux, nos bouches et nos oreilles. Pour les proches, il est important de savoir comment vont leur papa, maman, frère ou sœur, qu’il (ou elle) a souri par exemple quand on lui a parlé d’eux… Nous organisons des appels téléphoniques ou des appels vidéo, quand c’est possible. Lorsque le patient ne peut pas parler, nous lui mettons au moins le téléphone à l’oreille pour qu’il entende la voix à l’autre bout du fil… »
« La présence d’un aumônier au chevet des malades réconforte leurs familles. Nous pouvons leur décrire la situation et nos émotions, leur dire que nous avons tenu la main de leur proche, que nous lui avons passé le message de leur part. Nous sommes persuadés que le patient perçoit tout cela, même en état de coma. »
Comment, d’après-vous, peut-on faire face de manière générale à cette solitude particulière imposée par la pandémie, à ce manque inédit de contacts sociaux et physiques ?
« Il n’est pas facile de trouver un remède pour tout le monde. Ce qui peut marcher, c’est de se rendre compte des réalités que nous avons dans la vie. Je ne peux pas voir ma famille, mais je sais qu’ils m’aiment. Je peux voir mes proches ? Alors je vis pleinement ce moment présent. »
« Sinon, chacun a ses ressources individuelles. Au sein de notre équipe d’aumôniers, nous parlons de cette expérience et cela nous aide. Personnellement, j’ai besoin de marcher dans la nature ou au moins dans le jardin, de chanter et de danser. Ce qui m’aide beaucoup, c’est la prière. »
« Je crois que cette solitude nous rend plus sensibles à nos relations aux autres. On se rend compte qu’elles représentent quelque chose de précieux. On les vit différemment, mais cette richesse ne disparaît pas pour autant. »