Bernard Magnier : « Les littératures africaines sont des littératures graves, des littératures de l’urgence »

Bernard Magnier, photo: CC BY-SA 3.0

Jusqu’au 31 mai se déroule à Prague, mais aussi à Plzeň et Hradec Králové, la 12e édition du festival Afrique en création, qui s’intéresse essentiellement à la création théâtrale africaine. Souvent délaissée des programmes scolaires, la littérature africaine peine à trouver sa place en France. Editeur chez Actes Sud, écrivain, journaliste, Bernard Magnier était présent à Prague pour promouvoir l’art de la littérature francophone africaine.

Bernard Magnier,  photo: CC BY-SA 3.0
Transporté par l’œuvre de Sony Labou Tansi, souvent présenté comme « le Molière africain », Bernard Magnier se passionne pour les littératures africaines. Selon lui, ces écrivains, de par leur histoire et leur environnement, ont une singularité dans leur écriture qui diffère complétement de la littérature française. Il nous raconte comment cet intérêt est né.

« J’ai eu la chance d’avoir eu comme professeure à l’université Maryse Condé, qui était à l’époque une jeune femme venue de Guadeloupe via la Guinée. Et qui nous a fait découvrir à nous, jeunes étudiants, Césaire, Senghor. Il y a avait là, une matière littéraire tout à fait neuve, notamment dans ce qui était dit et dans la manière de dire. J’ai découvert ces auteurs et je suis tombé dedans et je n’en suis pas sorti. »

Pourquoi cette littérature francophone africaine mérite-elle d’être traitée à part de la littérature française ?

« Ce n’est pas vraiment traité à part. On ne peut pas tout aborder d’un seul tenant. On peut dire le « théâtre mondial » mais on va se perdre. Le fait de dire ‘théâtre africain’, c’est comme le fait de dire ‘théâtre scandinave’, ‘théâtre Caribbean’, ‘théâtre latino-américain’. Ce n’est pas une stigmatisation, ni une ghettoïsation, c’est juste une manière de se repérer. Une bibliothèque, il faut bien la classer, il faut bien appréhender les choses par des entrées possibles. On ne peut pas tout mettre ensemble. Et quand je dis ‘Lettres africaines’, ce n’est pas une stigmatisation, simplement mettre ensemble des auteurs qui viennent de ce continent. Il y a des classifications qui m’apparaissent néanmoins plus justes que d’autres. ‘Lettres africaines’ m’apparait plus juste que de dire la ‘littérature noire’. Cela a été significatif il y a 80 ans. Aujourd’hui, je ne vois pas pourquoi on mettrait ensemble Toni Morrison, romancière noire américaine, Patrick Chamoiseau, venant de Martinique et Sony Labou Tansi, venant du Congo. Hormis le fait qu’ils soient noirs, leurs thématiques, leur écriture sont très différentes. Ou alors il faut dire ‘littérature blanche’ et on va mettre un auteur français, australien et tchèque. On va les mettre ensemble parce qu’ils sont blancs. »

Ces littératures africaines sont-elles caractérisées par un style particulier ?

Sony Labou Tansi,  photo: public domain
« Des styles peut-être pas car je crois que les styles appartiennent à des auteurs plutôt qu’à des sous-ensembles mais sans doute à des thématiques. Ce sont des littératures graves, ce sont des littératures de l’urgence, ce sont des littératures qui prennent des risques, voilà les caractéristiques qui font ces littératures. Parce que le continent est grave, parce que le continent est un continent à risques pour les populations. C’est un continent où la vie est difficile, où la vie est difficile pour les auteurs. J’ai fait un travail qui répertorie plus de cent cinquante auteurs africains du Maghreb comme de l’Afrique subsaharienne, tous écrivant en français. Sur ces cent cinquante écrivains, les deux tiers ne vivent pas aujourd’hui dans le pays qui les a vus naitre. Ce n’est pas uniquement par goût du tourisme. »

Vous portez un grand intérêt à l’écriture de Sony Labou Tansi, vous lui avez d’ailleurs dédié une pièce, pourquoi ?

« C’est un auteur qui m’a bouleversé lorsque je l’ai lu la première fois en 1980. C’était une sorte de gifle littéraire que j’ai reçue quand j’ai lu ‘La Vie et demie’. Ensuite j’ai suivi cet auteur, son théâtre et nous étions amis. Tout cela fait que, à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort, il m’apparaissait légitime, peut-être utile de faire une pièce de théâtre qui rende compte de sa trajectoire, de son œuvre. De façon à faire ressurgir peut-être plusieurs de ses textes et à faire connaitre l’œuvre et la trajectoire de l’écrivain que certains ne connaissaient pas. »

Pensez-vous que les auteurs africains sont mieux représentés en France ? Pensez-vous qu’on les étudie davantage à l’école ?

« Ils sont plus présents qu’il y a 25 ans par exemple. Parce que l’édition leur fait une place beaucoup plus large qu’auparavant, on les publie davantage. On les publie mieux, dans des maisons ouvertes à tous et non pas dans des maisons spécialisées. Pour ce qui est de la représentation, il y a des progrès mais il y a encore beaucoup de travail à faire. Ce sont essentiellement les romanciers qui ont percé, plus que les dramaturges mais il y a çà et là quelques percées. Pour ce qui est de la mise au programme c’est encore faible. Quelques classiques sont au programme, quelques auteurs reconnus. Là encore, c’est bien mieux qu’il y a 25 ans, mais il y a beaucoup de choses à faire. »