La Tchéquie, « un paradis pour les cannabinoïdes »
La législation sur les cannabinoïdes est en pleine évolution en Europe. Le Conseil d’Etat français vient d’annuler l’interdiction de vente de fleurs de CBD, tandis que la loi tchèque autorise depuis le 1er janvier un taux plus élevé de 1% de THC dans le chanvre utilisé pour les produits dérivés. Plusieurs acteurs de ce marché en pleine expansion sont installés en Tchéquie. C’est le cas de la société Aroma extract labs, dirigée par le Français Nicolas Fitaire :
« Notre société a pour spécialité l’extraction des cannabinoïdes, sous contrôle du ministère tchèque de la Santé. L’aventure a débuté il y a cinq ans en Espagne ; en Tchéquie on a obtenu notre première licence en 2019 et c’est à partir de ce moment-là qu’on a monté le laboratoire et les équipes. »
L’obtention de la licence a-t-elle été compliquée ?
« Cela a été long. Il a fallu prouver qu’on était des gens sérieux, qu’on avait un procédé de fabrication sérieux avec un bon contrôle de l’aspect narcotique des choses. En expliquant bien, on l’a obtenue après plusieurs mois. »
Pour faire simple, on a devant nous du chanvre séché, bio, que vous achetez souvent à l’étranger et que vous transformez. Comment procédez-vous ?
« On achète des plantes que nous choisissons parmi celles validées par l’UE, parmi celles aussi qui sont exemptes de métaux lourds et de pesticides et ont la certification bio pour certains pays. Nous les achetons broyées et séchées par tonnes. »
« La première étape consiste à presser à très haute pression et avec du CO2 pour extraire un jus de plante qui contient tout : la chlorophylle, les résines, les cannabinoïdes, les terpènes, etc. C’est cette mélasse qu’on va travailler pour aboutir à l’extraction de nos cannabinoïdes. »
Tradition du chanvre
Votre associé avait commencé l’aventure en Espagne, avant que les autorités espagnoles ne décident de modifier la législation en vigueur sur les cannabinoïdes. En Tchéquie, la législation relativement permissive…
« Oui la Tchéquie est historiquement un paradis pour les cannabinoïdes et ce type d’activités. J’ai trouvé dans un antiquaire à Prague des documents du milieu du XIXe siècle montrant que des pharmaciens pragois importaient du chanvre des Balkans de manière légale et régulière pour leur utilisation dans la pharmacopée locale. Il y a vraiment cette tradition du chanvre, il y a des champs de cannabis dans la Vysocina et en Moravie et il y a des aspects législatifs qui sont très favorables – le gouvernement et le parlement ont toujours été très tolérants sur le développement de cette industrie. »
Vous parliez de champs dans le pays, mais, pour l’instant en tout cas, vous achetez vos plantes ailleurs…
« Pour l’instant le problème qu’on a c’est la présence de ces métaux lourds et pesticides dont je parlais. Il se trouve que le chanvre est une plante qui a la force de nettoyer les sols à long terme. Mais à court terme, on a pour l’instant trouvé trop de traces de choses dont nous ne voulons pas. Mais on progresse et on commence à avoir notamment en Moravie des agriculteurs qui ont des productions beaucoup plus propres et plus conformes à ce que l’on recherche. »
On a déjà parlé de CBD sur notre antenne – pour faire simple, quelles sont les principales propriétés du CBD et l’usage que l’on peut en faire aujourd’hui ?
« La plante de chanvre a été utilisée depuis des millénaires dans différentes pharmacopées. Dans les années 1970, le professeur Raphael Mechoulam a découvert que cette plante de chanvre avait des vertus médicinales grâce à la combinaison de différents cannabinoïdes. C’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix industriel de ne pas isoler le CBD mais d’avoir d’autres cannabinoïdes dans notre produit final. Ces vertus médicinales sont visibles sur certains types de cancer notamment, sur le système immunitaire, nerveux, etc. En plus, ces vertus thérapeutiques fonctionnent sur tous les mammifères. »
Le THC doit être isolé et détruit
Devant nous se déroule l’une des étapes suivantes de l’extraction du CBD et autres cannabinoïdes en séparant le THC…
« Le THC est isolé et détruit mais nous gardons tous les autres cannabinoïdes. Pour ce faire, on fait le choix d’extraction à basse température – à 72°C maximum. Car si on chauffe trop on détruit les autres molécules et on ne peut garder un maximum de vertus. »
Le THC est quelque chose qui complique légalement de ce genre de procédés car il faut garantir qu’il est isolé et détruit.
« On extrait ce THC en obtenant du THC pur qu’on ne peut détruire nous même mais qui doit être détruit par une société tchèque spécialisée dans le domaine des narcotiques qui vient régulièrement le récupérer pour le détruire. »
Domaines vétérinaire, cosmétique et alimentaire
Quels sont les débouchés pour votre production ?
« Il y a trois domaines principaux : vétérinaire, cosmétique et alimentaire. Dans le vétérinaire, notamment des gouttes pour les douleurs articulaires des chiens, chats et autres. On travaille avec des labos vétérinaires qui continuent leurs recherches et qui développent de plus en plus de produits à base de cannabinoïdes. »
« Dans le domaine cosmétique, cela fonctionne pour l’hydration de la peau, contre l’acné et les marques de l’épiderme. Nous vendons à nos clients qui font des baumes et des crèmes. Les grands acteurs du cosmétique ne sont pas encore arrivés sur ce marché mais ça ne devrait pas tarder. »
« Dernier pôle : l’alimentaire, mais il y a une problématique réglementaire dans toute l’Europe qui fait que certains osent se lancer mais pas tous – la réglementation évolue et nous avons de plus en plus de demandes et nos produits se retrouvent dans la grande distribution aujourd’hui. »
La réglementation évolue, comme en France récemment où le Conseil d’Etat vient d’annuler la récente interdiction des fleurs avec CBD. Est-ce difficile pour vous sans réglementation stable ? Attendez-vous des réglementations au niveau européen ?
« Parce que la réglementation n’est pas claire et qu’il y a encore beaucoup de fantasmes sur l’aspect narcotique, les choses sont lentes à se mettre en place. On est sans arrêt à l’affut de ces changements dans la réglementation. Nous, nous vendons à des acteurs dans différents pays qui eux décident s’ils sont à l’aise avec leur réglementation locale. Chacun s’adapte à sa législation mais on est encore dans une immaturité législative sur les cannabinoïdes aujourd’hui, mais cela va se régler rapidement. »
Partenariat avec l'Université de chimie de Prague
Est-ce un avantage d’être ici en Tchéquie ?
« Oui, ici par contre les choses sont très claires. On a toujours eu des échos précis et clairs de l’administration tchèque sur ce qu’on pouvait faire ou non. C’est vraiment un pays très avancé, pas tant sur la consommation des cannabinoïdes en général, mais sur l’aspect réglementaire : c’est une industrie considérée comme sérieuse et d’avenir, le régulateur fait tout pour que cela fonctionne le mieux possible. »
Combien de personnes travaillent avec vous et comment fonctionne le partenariat que vous avez avec l'Université de Chimie de Prague (VŠCHT) ?
« Ici on est une petite dizaine de personnes. Dès le début on a signé ce partenariat avec cette Université qui est très pointue dans le domaine, ils nous aident pour des analyses pointues qu’on a besoin de faire en permanence dans notre chaîne de production et inversement nous accueillons ici des étudiants et en travaillant avec eux sur de la recherche et du développement. On est ravi de cette coopération qui se passe très bien depuis le début. »