Carlsbad, Californie : retour sur la success-story du Karlovy Vary américain
Située aux confins de la Californie, entre Los Angeles et la frontière avec le Mexique, la ville de Carlsbad n’a pas toujours été la station thermale et balnéaire dynamique et attrayante qu’elle est aujourd’hui. Le climat aride et l’environnement inhospitalier auraient sûrement pu avoir raison de la destinée de la ville, si un receveur des postes n’avait finalement pas fait la découverte de deux sources artésiennes d’eau minérale aux propriétés proches de celles de Karlovy Vary. Historienne au Carlsbad Historical Society, Susan Gutierrez a accepté de retracer pour Radio Prague Int. l’histoire de la ville et les liens qui l’unissent à sa cousine homonyme de Bohême.
L’histoire de la ville de Carlsbad s’inscrit dans une histoire riche et pour le moins mouvementée : celle de la Californie, des rivalités entre empires et de la conquête de l’Ouest. Pouvez-vous, pour commencer, nous redonner quelques éléments de contexte afin de mieux comprendre dans quelles circonstances la ville a émergé ?
« La Californie n’a, effectivement, pas toujours été américaine. À une époque, elle faisait partie de l’Empire espagnol, mais les colons l’ont laissée de côté pendant près de trois siècles, préférant se concentrer sur l’Amérique du Sud et le Mexique. En 1821, lors de son accession à l’indépendance, le Mexique a hérité des anciennes missions espagnoles de Californie et les terres ont alors été divisées en ranchs. Cependant, quelques années plus tard, en 1848, à l’issue de la guerre américano-mexicaine, la Californie a de nouveau changé de mains, passant alors sous l’administration des Etats-Unis. »
« Après la guerre de Sécession, dans les années 1860, le président Lincoln a convenu qu’il fallait une ligne transcontinentale de chemin de fer, de la côte est à la Californie. Jusqu’alors, pour se rendre à San Diego ou Los Angeles, il fallait tout d’abord prendre un bateau sur la côte est des États-Unis, traverser l’isthme de Panama à dos de mule, puis reprendre un navire pour remonter la côte californienne jusqu’à San Francisco - où se trouvaient les mines d’or. Le bateau longeait ensuite la côte vers le sud et déposait les gens au passage. Développer le ferroviaire n’était donc pas une mince affaire. N’oublions pas qu’il était alors question de machines à vapeur qui nécessitaient de l’eau ! Or le comté de San Diego, où se trouve Carlsbad, est très aride et l’eau s’y fait rare. Pour vous donner une idée de l’aridité de la région, le comté de San Diego enregistre en moyenne 280 mm de précipitations par an. Une année, toutefois, 635 mm ont été enregistrés. C’est au cours de cette même année que John Frazier, qui vivait alors à l’intérieur des terres dans le comté de San Diego, est venu sur la côte, a réalisé un forage et a découvert deux sources artésiennes d’eau minérale. »
Propriétés chimiques et thérapeutiques similaires à celles des sources de Karlovy Vary
A Carlsbad, tout comme à Karlovy Vary, l’histoire de la ville commence avec la découverte de sources. A Karlovy Vary, c’est le roi de Bohême et empereur du Saint-Empire romain germanique, Charles IV, qui selon la légende aurait trouvé ces sources par hasard à l’occasion d’une partie de chasse. Qu’en est-il de Carlsbad ? Qui était John Frazier, celui qui a découvert les sources et qui a cofondé la ville par la suite ?
« John Frazier est un personnage singulier. Il est né dans l’État du Rhode Island sur la côte est des Etats-Unis. Lorsque les lignes de chemin de fer ont été posées dans le sud de la Californie, il était alors receveur des postes, dans une ville située à environ dix kilomètres de Carlsbad dans les terres. Il connaissait le tracé des lignes. Il avait connaissance des besoins en eau, y compris pour les trains. L’année avait été particulièrement pluvieuse pour la région. Il a alors réalisé des forages. La providence a fait le reste. L’eau a jailli et il s’est avéré par la suite, à l’occasion d’analyses, que l’eau avait des propriétés chimiques et thérapeutiques similaires à celles des sources de Karlovy Vary, d’où le choix du nom de Carlsbad. »
Le lien entre Karlovy Vary et Carlsbad est désormais plus clair. Plusieurs questions subsistent néanmoins : comment les fondateurs de la ville ont-ils eu connaissance de la ville de Karlovy Vary, connue sous le nom de Karlsbad alors ? S’y étaient-ils déjà rendus ? Pourquoi avoir retenu ce nom plutôt qu’un autre ?
« Pendant que Frazier effectuait ses forages et vendait l’eau de ses puits, un groupe d’investisseurs s’était mis en route vers l’Ouest américain. Ils étaient quatre : Samuel Church Smith, Gerhard Schutte, D.D. Wadsworth et Henry Nelson. Ces derniers ont acheté 160 hectares, situés le long de la voie ferrée, à John Frazier et à d’autres exploitants agricoles. Ensemble, ils ont fondé la ville et l’ont baptisée Carlsbad, avec un ‘C’ et non un ‘K’ [comme dans sa graphie allemande]. L’un des investisseurs, Gerhard Schutte, est né et a grandi à Oldenbourg en Allemagne. Il connaissait bien les spas de Karlsbad en Bohême. Ils ont, par conséquent, utilisé ce nom comme un outil promotionnel. Dans les années 1880, tout le monde aux États-Unis raffolait des stations thermales. Elles fleurissaient partout, et notamment dans le comté de San Diego. »
Le succès a-t-il été au rendez-vous ?
« Oui, ces quatre hommes ont divisé les 160 hectares achetés en plusieurs parcelles. Ils ont planté des arbres pour délimiter les rues et ont construit un immense hôtel et spa de quatre étages dont l’eau des bains était pompée directement dans les puits. C’était un bâtiment remarquable pour l’époque et la région. L’édifice disposait, en effet, d’un ascenseur et d’un éclairage au gaz, le tout dans une structure en bois. Avant l’arrivée du train, et des convois de bois en provenance des montagnes, les seules bâtisses qui existaient dans les environs étaient faites d’adobe, faute d’arbres dans la région. »
Spa&baseball
Pouvez-vous nous décrire ce à quoi ressemblait la ville et la vie à Carlsbad au tournant du XXe siècle ?
« Peu après la création de la ville en 1887-1888, Carlsbad a connu une grave sécheresse, un phénomène récurrent en Californie. Tous les fondateurs ont alors quitté la ville, à l’exception de Gerhard Schutte, celui originaire d’Allemagne. Il est resté jusqu’en 1906 et a vendu les restes de la propriété de la Carlsbad Land and Water Company à la South Coast Land and Water Company qui a pris la main sur tout le secteur, du comté d’Orange, au sud de Los Angeles, à San Diego. La société a tout racheté. Elle a commencé à installer des canalisations d’eau en puisant dans l’eau des rivières et a rouvert les puits originaux de John Frazier. Plus tard, en 1930, le luxueux Carlsbad Mineral Springs Hotel & Spa a été inauguré. Le lieu était prisé notamment par les équipes californiennes de baseball qui y organisaient régulièrement leurs camps d’entraînement de printemps. Les joueurs venaient ici s’entraîner tout en profitant de l’hôtel et du spa pour se baigner et se relaxer. »
La ville de Karlovy Vary compte elle aussi de nombreuses sources, toutes très différentes, tant par leur goût que leurs vertus thérapeutiques ou leur température. Certaines, en effet, atteignent les 70°C. Que pouvez-vous nous dire de l’eau des sources de Carlsbad ? A-t-elle également des vertus thérapeutiques ? L’avez-vous déjà goûtée ?
« Oui, j’y ai goûté et je n’ai pas été convaincue (rires). L’eau avait un goût très salé. Je ne pense pas que l’eau de nos sources atteigne des températures aussi élevées, mais elle a, malgré tout, des vertus thérapeutiques. Durant la guerre de Sécession, une multitude de prisonniers de guerre ont développé de graves problèmes de santé. Beaucoup d’entre eux ont afflué en Californie, à l’issue du conflit, pour se soigner. Les compagnies de chemin de fer offraient pratiquement alors les billets pour venir sur la côte ouest. Un ticket depuis le Midwest coûtait un dollar seulement. »
Alt Karlsbad
Comment le secteur du thermalisme a-t-il évolué au cours du XXe siècle ? La ville reste-t-elle encore aujourd’hui réputée pour son eau et ses spas ?
« Nous avons tous connaissance de ces sources et du rôle qu’elles ont joué dans cette région très aride. Cependant, je ne pense pas qu’elles constituent la raison principale pour laquelle les gens viennent dorénavant à Carlsbad. Les infrastructures liées aux sources d’eau nécessitent néanmoins un entretien constant. La proximité des puits historiques avec l’océan reste un problème majeur. Les tuyaux se corrodent vite. C’est un défi permanent que de maintenir l’écoulement de l’eau en raison de sa forte teneur en minéraux. Cela n’a toutefois pas rebuté les époux Kay et Chris Christiansen, dans la seconde moitié du XXe siècle, à racheter la propriété où se situe le puits. Ensemble, ils ont participé à la construction de bains d’eau minérale et ont rouvert le puits. Aujourd’hui, lorsque vous empruntez la route côtière 101, vous apercevez toujours une file de gens qui remplissent leurs bouteilles d’eau à la source. Ce n’est pas comparable, bien sûr, au succès des sources de Karlovy Vary, mais y venir reste toujours très populaire. »
Y a-t-il encore des éléments dans la ville qui rappellent l’époque glorieuse du thermalisme à Carlsbad et, par la même occasion, les liens avec sa cousine tchèque ?
« Les époux Christiansen, qui ont acheté le terrain sur lequel se trouve le puits, ont fait construire un petit bâtiment de deux étages qu’ils ont appelé ‘Alt Karlsbad’ [le vieux Carlsbad, en allemand], où les visiteurs peuvent venir prendre un bain d’eau minérale et se faire masser. Tous deux étaient membres du Carlsbad Historical Society et ont beaucoup œuvré pour entretenir l’héritage de la ville. En 1994, une statue de John Frazier a été inaugurée devant le Alt Karlsbad des Christiansen. Elle est l’œuvre du sculpteur et ancien maire de Karlovy Vary, Václav Lokvenc, qui l’a offerte à Carlsbad, dans le cadre du jumelage entre les deux villes depuis 1991. Lokvenc a représenté Frazier en tenue d’époque, une tasse à la main, comme s’il buvait. La statue a été placée à proximité du kiosque, aux allures de belvédère, où les passants viennent encore remplir leurs bouteilles d’eau. »
Karlovy Vary est connu entre autres pour son festival international du film, ses sources d’eau et sa liqueur nommée Becherovka. Quelles sont les principales curiosités touristiques de Carlsbad de nos jours ? Pourquoi les gens s’y rendent-ils ? Y a-t-il, par exemple, des spécialités culinaires locales ?
« Permettez-moi de commencer par la gastronomie. Si vous me demandez quelle est la spécialité locale, je vous répondrai les tacos au poisson. La recette a été rapportée de Basse-Californie (Mexique) par les surfeurs, particulièrement nombreux dans la région. Cet État mexicain a une cuisine riche en produits de la mer, très différente de celle du reste du Mexique. La chaîne de restaurants Rubio’s, fondée à Carlsbad, a bâti son succès grâce à ce plat et compte désormais des établissements un peu partout dans le pays. »
« Carlsbad est, par ailleurs, une ville résolument tournée vers le sport, que ce soit le surf, le golf, le jet ski, la voile, le kayak, le paddle, la randonnée ou le cyclisme. Nous sommes une petite ville de 120 000 habitants, rien à voir donc avec de grandes agglomérations comme Los Angeles ou New York. Nous cultivons, néanmoins, un style de vie particulièrement sain et il semble que ce style de vie plutôt sportif continue de séduire. »