Choupenitch, un nom que les Français prononcent mieux que les Tchèques
Grand, jeune, beau, intelligent, doué et sûr de lui, il est peut-être une des stars du sport tchèque de demain. Et demain, c’est déjà aujourd’hui. L’été prochain, Alexander Choupenitch pourrait bien écrire en effet une des plus belles pages, en tchèque, des Jeux olympiques à Rio de Janeiro. A 21 ans, cet escrimeur d’origine biélorusse au nom français (si, si) compte parmi les meilleurs jeunes fleurettistes au monde. Dans un pays, la République tchèque, où le public confond parfois escrime et apiculture et pense encore que Fanfan la Tulipe et les trois Mousquetaires sont d’anciens champions olympiques (on exagère, bien sûr), un éventuel succès au Brésil constituerait un authentique exploit. Radio Prague s’est rendu récemment à Paris, une des capitales mondiales de l’escrime, pour s’en faire une meilleure idée. Reportage.
Alexander, c’est Alexander Choupenitch, le meilleur escrimeur tchèque actuel et sans doute même de l’histoire de cette discipline olympique depuis les premiers Jeux de l’ère moderne en 1896. Et comme Jan Krejčík, son partenaire en équipe nationale, ils sont quelques-uns aujourd’hui en République tchèque à promettre un avenir doré à Alexander Choupenitch.
Samedi 16 janvier dernier se tenait au stade Pierre de Coubertin le traditionnel Challenge international de Paris (CIP), une épreuve comptant pour la Coupe du monde de fleuret messieurs. L’élite du fleuret mondial, un des trois types d’armes de l’escrime avec l’épée et le sabre, était réunie dans la capitale française pour un des grands rendez-vous de la saison. Un rendez-vous d’autant plus important que les Jeux olympiques de Rio pointent déjà à l’horizon. Car si 219 tireurs (escrimeurs) en provenance de plusieurs dizaines de pays étaient réunis à Paris, seuls trente-deux parmi eux pourront participer, en août prochain, au tournoi olympique. Autant dire que les places sont chères. Actuel 18e au classement de la fédération internationale (FIE), Alexander Choupenitch possède toutefois de solides chances de se qualifier. Si tel est le cas, il sera très probablement le seul escrimeur tchèque à Rio, le premier même à participer aux Jeux depuis l’épéiste Roman Ječmínek à Atlanta en 1996… Une éventualité, vingt ans plus tard donc, que verrait d’un bon œil Vilém Mádr, arbitre tchèque lui aussi présent au CIP :
« Ce serait une bonne chose, car la grande majorité des gens en République tchèque ne connaissent rien de l’escrime. Le public commencerait donc à s’y intéresser. C’est aussi un sport que peuvent pratiquer les filles comme les garçons. C’est tout cela qu’une qualification de Saša (prononcer Sacha, diminutif d’Alexander, ndlr) pour les JO pourrait apporter. »« Ses chances de se qualifier sont réelles, car il possède du potentiel. Je ne sais pas si cela sera suffisant pour décrocher une médaille à Rio. En revanche, je suis persuadé qu'il parviendra à en gagner une un jour dans un championnat du monde. »
« En Garde ! Prêts ? Allez ! »
En escrime, pour expliquer chaque phrase d’armes, peu importe que les adversaires soient chinois, russes, italiens, hongrois, américains ou tchèques. Dans les compétitions internationales, l'arbitrage se fait toujours en français. Avant de pouvoir arbitrer, les juges doivent même passer un examen dans la langue du baron Pierre de Coubertin, qui lui-même pratiquait l’escrime. Si cette histoire est vieille de neuf siècles, ce n’est néanmoins pas pour cette raison que Vilém Mádr, comme Jan Krejčík, un des trois fleurettistes tchèques en compétition à Paris, sont francophones. Et à en croire Vilém Mádr, qui à seulement 29 ans compte déjà parmi les meilleurs arbitres de fleuret au monde, le français tend même, comme aux JO et dans d’autres domaines d’activité, à perdre sa place privilégiée :« Oui, nous pouvons arbitrer en français. Et quand on est ici à Paris, c’est mieux pour tout le monde de parler français… Mais en réalité, dans les pays anglophones, cela se passe différemment et parler français n’est plus si important. L’allemand est aussi une langue internationale pour la FIE, même si les trois langues officielles sont dans l’ordre le français, l’anglais et l’espagnol. »
S’il parle, lui, anglais et italien, la langue du pays dans lequel il s’entraîne, Alexander Choupenitch, ancien champion d’Europe et vice-champion du monde chez les juniors, n’en possède pas moins un petit lien avec la France.
Fils d’un couple de chanteurs d’opéra biélorusses qui ont quitté leur pays d’origine pour émigrer en Europe avant de s’installer à Brno, en Moravie, Choupenitch porte un nom unique en son genre :« Effectivement, c’est un nom biélorusse avec une transcription française. A l’époque où mes parents voyageaient en Europe, l’usage voulait que les noms soient transcris en français. C’est ainsi que mes parents se sont retrouvés avec des papiers d’identité sur lesquels était inscrit un autre nom que le leur. C’est sûr, c’est un nom intéressant, du moins pour ce qui est de son écriture, car sinon, pour ce qui est de sa lecture, il existe bien d’autres Choupenitch. Mais nous devons être les seuls au monde avec cette forme-là. »
Un nom encore mal connu du grand public, mais cela pourrait vite changer. Comme par exemple pour la patineuse de vitesse Martina Sáblíková ou le pentathlonien moderne David Svoboda, respectivement triple championne olympique et champion olympique, les Tchèques pourraient bien apprendre à décliner le nom de Choupenitch à tous les cas que compte leur grammaire en cas de succès à Rio l’été prochain.
« Je voudrais enlever de l’esprit des gens l’idée qu’ils se font selon laquelle nous sommes des apiculteurs avec un masque sur la tête… Je veux qu’ils sachent ce qu’est vraiment l’escrime. Ce n’est pas non plus un film de cape et d’épées. Grâce aux résultats que j’ai obtenus ces deux dernières années, les choses évoluent petit à petit. Les médias parlent un peu plus d’escrime. Mon nom curieux m’aide aussi. Le public s’en souvient plus facilement. Je suis même passé dans quelques émissions de télé, même si je suis bien conscient que l’escrime chez nous ne sera jamais aussi populaire qu’elle peut l’être en France ou en Italie. »Faute de conditions d’entraînement dignes de ce nom dans sa ville natale de Brno, c’est à Livourne, en Toscane, qu’Alexander Choupenitch, dont la carrière bénéficie du soutien de Red Bull, se prépare aux grandes échéances qui se présentent à lui. A Paris cependant la semaine dernière, l’Italie, ou plus précisément l’Italien Daniele Garozzo, actuel 4e fleurettiste mondial, a cependant été synonyme d’élimination au stade des 16es de finale (défaite 12-15) pour le Tchèque.
Cette relative déception, ne serait-ce que pour un Choupenitch qui se voyait bien aller plus loin dans la compétition devant le nombreux public français, ne fait néanmoins pas oublier aux autres escrimeurs tchèques d’où ils viennent. Sorti dès les qualifications vendredi, Jan Krejčík a été le premier supporter d’Alexander le lendemain. Etudiant en marketing sportif, lui reste les pieds bien sur terre, conscient de son destin d’escrimeur en République tchèque :
« Moi, je n’ai pas souvent l’occasion de m’entraîner à l’étranger. J’ai mes études à côté de l’escrime… Concernant ma préparation, elle est essentiellement athlétique mais aussi technique avec mon entraîneur. Malheureusement, il n’y pas grand-monde pour s’entraîner avec moi. Alors, parfois, nous allons à Londres pour un week-end d’entraînement. Il y a déjà eu une semaine à Paris aussi. Mais cela reste relativement rare. Et puis je ne suis pas professionnel (à la différence de Choupenitch, ndlr), ce n’est donc pas possible de toute façon. Si je suis frustré de ne pas pouvoir mettre tous les moyens en œuvre pour progresser et donner le meilleur de moi-même ? Non, je ne vois pas les choses comme ça. Je pense pouvoir dire que je ne deviendrai jamais champion du monde. Cela ne m’empêche pas de pratiquer à un haut niveau et ce n’est pas forcément plus mal. »Une conception du sport qui ne déplairait pas à Pierre de Coubertin, mais qui n’est certainement pas celle d’Alexandre Choupenitch. Le nom d’un sportif tchèque que même les Tchèques pourraient donc bientôt apprendre à prononcer correctement. A la française et quoi de plus normal, au fond, pour un escrimeur ?