Christian Vincent : « Cinéastes et cuisiniers essayent avant tout de faire plaisir »

'Les saveurs du palais', photo: Festival du film français

Parmi les films présentés à la 15e édition du Festival du film français, « Les saveurs du palais » de Christian Vincent, qui met en scène la comédienne Catherine Frot et l’écrivain Jean d’Ormesson. Le film relate l’histoire de Danièle Mazet-Delpeuch qui fut la cuisinière privée de François Mitterrand à la fin des années 1980, car l’ancien président français aspirait à une cuisine simple, plus proche des racines de la cuisine traditionnelle française et des recettes des mères et des grands-mères. Radio Prague a évoqué avec Christian Vincent la genèse du film et le destin hors du commun de Danièle Mazet-Delpeuch.

Christian Vincent,  photo: Julien Bellegueulle,  Festival du film français
« C’est mon producteur qui est à l’origine du projet. Il avait lu un portrait dans Le Monde sur la cuisinière de François Mitterrand. Il s’est dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire autour de cette histoire, m’en a parlé et ça m’a tout de suite intéressé. Après il fallait qu’on rencontre la cuisinière, qu’elle soit d’accord. Cette dame existe, elle a travaillé pour François Mitterrand à la fin des années 1980, elle avait à l’époque une cinquantaine d’années, donc aujourd’hui, elle a 70 ans. »

Mais elle reste toujours très active !

« Oui, elle a une pêche terrible. Il fallait qu’elle soit d’accord pour qu’on écrive dans un premier temps un scénario tiré de son expérience. Et puis, elle a donné son accord de principe. Après il a fallu qu’elle ait confiance en nous, en moi. La première fois qu’on s’est vus, c’était chez elle dans le Périgord. On l’a accompagnée faire le marché à Brive, puis on a passé trois jours à faire à manger, matin, midi et soir. »

C’était une bonne entrée en matière !

'Les saveurs du palais',  photo: Festival du film français
« C’était en effet plutôt agréable. Mais elle m’a surtout testé pour savoir si j’y connaissais quelque chose, si je n’étais pas un imposteur, si j’étais moi-même cuisinier. »

C’est le cas ?

« Heureusement, j’adore faire à manger, elle a donc tout de suite vu à qui elle avait à faire. Elle était rassurée. On a donc pu travailler sur le scénario et écrire une histoire qui était grosso modo inspiré de ce qu’elle a vécu. »

Même si en effet dans le film, les personnes ont d’autres noms, on ne sait pas qui est le président… C’est en tout cas un film d’avant l’ère des portables…

« J’ai essayé de supprimer, c’est les anachronismes. En effet, il n’y a pas de téléphone portable, on est dans une époque indéterminée, avec un président qui n’est pas nommé, mais il fait irrésistiblement penser à François Mitterrand. »

Catherine Frot est une comédienne formidable : vous l’avez tout de suite vue dans le rôle de la cuisinière ?

'Les saveurs du palais',  photo: Festival du film français
« Quand mon producteur Etienne Comar m’a parlé de ce personnage, j’ai tout de suite pensé à Catherine Frot. Lui-même ne m’en avait pas parlé, mais il avait pensé à elle. Donc on était d’accord. Très vite on lui a fait savoir qu’on écrivait un scénario pour elle, tiré d’une histoire vraie, etc. A priori elle était intéressée. Dès qu’on a eu une première version du scénario, on lui a fait lire et elle a très vite dit oui. »

Comment filme-t-on au plus près de la vérité cette cuisine privée du président, avec des acteurs pas forcément aguerris en la matière ?

« Catherine Frot n’est pas du tout cuisinière, mais son travail c’est de faire croire qu’elle l’est. Et c’est mon travail aussi de la montrer comme telle. Etre acteur, c’est un travail : ils sont amenés à jouer des personnages pour lesquels ils n’ont pas forcément d’affinités ou même de savoir-faire. Le métier de cuisinier demande des gestes précis, pas faciles à acquérir. Le cinéma, c’est dire la vérité des choses mais aussi tricher. On donne ainsi l’illusion qu’elle est une cuisinière qui a un savoir-faire. Ca, ce sont nos recettes ! »

Justement, j’allais vous demander : y a-t-il une parenté entre cinéma et cuisine ?

'Les saveurs du palais',  photo: Festival du film français
« Oui, car quand un chef imagine une recette, qu’il compose un menu, il raconte une histoire. Et les cuisiniers sont des gens qui travaillent sur des matières ‘vivantes’. Il y a quelque chose d’organique. Ils font des associations, des mariages, pour, à partir d’éléments hétéroclites, produire du sens. J’ai l’impression de faire un peu la même chose : je travaille avec du matériau vivant, les acteurs et j’essaye de raconter une histoire, avec un scénario. Le cinéma est un art de la composition : on met en relation des êtres, on fait des croisements, des raccourcis, on essaye aussi de produire du sens. Enfin, il y a une chose encore qui nous relie, cinéastes et cuisiniers : on essaye de faire plaisir. Personnellement, j’aime bien qu’on aime ce que je fais. Il n’y a évidemment pas que cela qui compte, car on ne peut pas plaire à tout le monde. Mais quand même… Un chef cuisinier a envie que la proposition qu’il fait au client soit appréciée : c’est pour cette raison qu’ils viennent en général regarder dans la salle. »

Comment filme-t-on la nourriture ? C’est quand même un objet filmique assez particulier…

« C’est beaucoup plus simple de filmer un plat qu’une actrice (rires) ! »

Mais comment fait-on pour rendre l’aspect appétissant ? Car quand on voit le film, on a faim !

'Les saveurs du palais',  photo: Festival du film français
« Il suffit de filmer de jolis plats. C’est très simple. Mais ça demande des moyens : il faut avoir de bon chefs qui vont répondre à la commande, préparer des choses belles à voir dont on se dit également que c’est bon à manger. Quand on regarde les publicités à la télévision, qu’on voit des plats cuisinés, c’est peut-être joli, mais ça ne donne pas très faim. On voit que les légumes ne sont pas cuits, qu’on a rajouté du gel, bref que c’est artificiel. Alors que là, on voit bien que ce n’est pas le cas. En outre, on mangeait les plats qu’on filmait. Il faut aussi du temps et des moyens techniques parce qu’il faut avoir la machinerie qui va permettre de monter au-dessus d’une tarte. Cela demande aussi un timing bien précis parce qu’on a un délai très court : il faut que le plat soit fumant, que quand on sort le pâté en croûte du four, toute l’équipe soit prête ! »

On pourrait dire que votre film est aussi un tour de France de la gastronomie…

« Oui, on peut le voir comme cela. Mais pour moi, c’est avant tout le portrait d’une femme. Quand j’ai rencontré Danièle Delpeuch, je me suis quand même dit que c’était une drôle de bonne femme assez singulière. Elle n’a pas du tout cherché à être cuisinière à l’Elysée. On est allé la chercher, elle a finalement accepté et y a travaillé pendant deux ans. C’était compliqué, car c’était une femme, qui n’appartenait pas au sérail et qui était très mal vue par les autres chefs. Quelques années après, le fait qu’elle ait postulé pour aller travailler dans ces îles du bout du monde, en Antarctique, c’est quelque chose qui m’a toujours étonné. Parce que c’est le grand écart ! »

Comment l’explique-t-elle ?

'Les saveurs du palais',  photo: Festival du film français
« Je n’ai jamais compris. Elle l’explique assez confusément. Mais finalement, quand j’écris un personnage, une histoire, je ne cherche pas à tout savoir d’eux. Il y a une part de mystère. Même les gens qu’on connaît, avec lesquels on vit, il y a quelque chose d’irréductible en eux qu’on ne parviendra jamais à posséder, à comprendre. Cela m’a donc interpellé : l’expérience élyséenne est quand même formidable. On fait à manger pour le président, on travaille avec des produits excellents. Et elle s’est retrouvée à passer un an dans la pluie, le froid, le vent, à manger des conserves… Un bateau arrive à la base tous les trois ans, on ne mange pas de produits frais… En même temps, ça m’a permis de construire un film, puisqu’il est bâti sur l’opposition entre ces deux univers qui se télescopent. »

Vous avez dit quelque part avoir fait un livre sur la reconnaissance…

'Les saveurs du palais',  photo: Festival du film français
« Sur l’absence de reconnaissance. Car c’est qui se passe à l’Elysée. On lui fait une proposition qu’elle ne peut pas refuser : faire à manger pour le président. On lui déroule le tapis rouge, tout est merveilleux au début, elle finit même par rencontrer le président qui est content. Ils ont une relation apparemment bonne l’un et l’autre. Mais deux ans à l’Elysée, c’est usant, surtout quand on est une femme, une cuisinière, qu’on n’appartient pas au sérail et qu’on n’a pas que des amis. Au bout de deux ans, elle partira dans des conditions assez compliquées, sans qu’on la remercie vraiment. Le pouvoir est souvent ingrat : on fait les fait venir, on les utilise et on les jette aussi vite. C’est un peu cela que le film raconte. Faire à manger est un métier difficile, surtout quand on ne voit pas celui pour qui on cuisine. On ne sait pas s’il a aimé ou pas… C’est donc difficile de travailler dans ces conditions-là. Le film est donc sur cette reconnaissance. Et sur l’île, elle a affaire avec des gens qui n’ont rien à voir. Ce sont des techniciens, des scientifiques. Quand elle va partir, ils vont lui dire : ‘tu avais mauvais caractère, tu n’étais pas tous les jours facile, mais on t’aime et tu vas nous manquer’. Ce qu’on ne lui dit pas quand elle part de l’Elysée. »