Concours Radio Prague 2009, suite et fin
Pour la 4e semaine consécutive, nous consacrons notre courrier des auditeurs au concours 2009 de Radio Prague, remporté, toutes langues confondues, par la franco-tchèque Claire Le Bris-Cep. Rappelons que la question à laquelle il fallait répondre cette année était : quelle date, quelle époque ou quel évènement de l’histoire tchèque vous a le plus impressionné ? Cette semaine, nous vous proposons de découvrir deux lettres, contenant les réponses d’Aurélie Serfaty-Bercoff, et de Bernard Leblicq.
Parmi les auditeurs qui nous ont écrit, nombreux ont été marqués par deux des principales dates de l’histoire récente en République tchèque, le Printemps de Prague en 1968, et la Révolution de Velours en 1989. Aurélie Serfaty-Bercoff a elle choisi de parler de tout autre chose, d’une date de naissance, celle de l’écrivain Kafka, le 3 juillet 1883. Une lettre qu’elle adresse directement à l’auteur.
"Cher Franz Kafka, Ne vous étonnez pas de cette lettre. Cela fait longtemps que je souhaitais vous l’écrire, en toute modestie, par reconnaissance, en remerciement de ce que vous m’avez donné à lire, vivre et sentir durant ces années.
(…) Merci d’abord de m’avoir fait connaître votre ville, Prague, de m’avoir tenu la main dans ses ruelles tortueuses, ses petites cours intérieures ou ses églises baroques. Sur le pont Charles, monumental pont de pierre, devant les statues de Saints sur lesquels reposent de riantes mouettes, me revient un de vos poèmes de jeunesse, comme soufflé par le vent caressant la surface de la Vltava :
"Des gens qui foulent des ponts obscurs
En passant devant des Saints
Avec une lanterne dépolie,
Des nuages qui défilent dans un ciel gris
Devant des églises
Dont les tours baignent dans le crépuscule,
Quelqu’un est appuyé contre le parapet
Et contemple l’eau du soir
Les mains posées sur les vieilles pierres."
(…) Comment se fait-il que Prague soit si présente dans vos œuvres, alors que vous ne l’avez jamais citée nommément ? Chacune de ses pierres crie votre nom ou donne à voir la profondeur de votre regard : "Kafka était Prague et Prague était Kafka", Mr Johannes Urzidil l’avait déjà compris.
(…) Merci également d’avoir tenu votre journal qui représente pour moi et beaucoup d’autres un véritable bréviaire : un trésor indispensable où l’on suit les interrogations et angoisses d’un écrivain, et ses observations :
"27 mai 1914 : Violente averse. Mets-toi face à la pluie, laisse ses rayons de fer te pénétrer, glisse dans l’eau qui veut t’emporter, mais ne bouge pas, reste droit et attends le soleil qui va couler à flots, subitement et sans fin."
(…) Merci enfin d’accepter que l’on vienne vous rendre visite au cimetière juif de Strašnice où vous reposez (en paix, qui sait ?) auprès de votre père et de votre mère. La dernière fois, le soleil était éclatant, j’y ai déposé un petit pot de marguerites puis, le ciel s’est brusquement noirci, laissant place à une violente averse, la même que dans votre journal. Etait-ce un signe de vous ? "
La seconde lettre que nous avons choisi de vous faire partager évoque les évènements de la fin des années 1960 et le Printemps de Prague, et les désillusions du jeune Bernard Leblicq. Il raconte comment à l’époque, lui et la jeunesse bruxelloise ont vécu deux temps forts de cette période.
"Ce n’est pas seulement une date qui m’a impressionné et marqué dans l’histoire plus ou moins récente de la Tchéquie mais bien deux (…). La première est le 21 août 1968 : j’étais en vacances depuis déjà plus d’un mois, après avoir terminé mon année scolaire. J’étais avec des amis, nous nous préparions à fêter mon anniversaire le lendemain. Bref, l’insouciance. Mais aux informations de la mi-journée à la radio, nous sommes subitement retombés sur terre : on venait d’annoncer l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie.
(…) Pour mes amis et moi, qui avions déjà voulu, un peu, refaire le monde, en rêvant de plus de justice, de plus de social, avec peut-être un socialisme "tranquille" qui pourrait trouver place chez nous, les évènements du 21 août nous ont intellectuellement terrassés.
(…) Et puis le temps a passé, comme toujours, et j’ai eu le sentiment que les choses étaient redevenues normales "là-bas", comme avant 1968 (…). Les nouvelles se firent de plus en plus espacées chez nous jusqu’à ce qu’arrive la seconde date qui m’a profondément marqué : le 16 janvier 1969 et le geste incroyable de Jan Palach qui s’immola par le feu sur la place Venceslas.
(…) J’étais encore en proie aux doutes, mais la réaction des Praguois, la foule bravant l’autorité le long du cortège lors de son enterrement, m’a redonné espoir : oui, Jan Palach avait réveillé les gens et son geste pouvait servir d’exemples pour d’autres causes.
(…) Aujourd’hui je ne manque jamais, quand je viens à Prague, de m’arrêter quelques instants devant le petit mémorial de la place Venceslas, pour adresser un petit bonjour à celui qui est un incontestable modèle pour moi, depuis si longtemps déjà."