« Cool Czechia », nouveau projet pour diffuser la voix de la Tchéquie en Afrique
« Cool Czechia : Voyage d’études de jeunes leaders africains » est le nom d’un nouveau projet de communication stratégique de la diplomatie tchèque. Une semaine durant, une vingtaine de jeunes journalistes, représentants d’ONG, activistes et autres influenceurs de différents pays africains sont accueillis en Tchéquie avec pour objectif de présenter celle-ci comme un pays attrayant et dynamique.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine et de l’influence croissante de la Russie en Afrique, le but est aussi d’exposer aux participants à ce séjour le point de vue d’un pays démocratique d’Europe centrale sur les principales questions politiques, sécuritaires et économiques mondiales actuelles. Plus de détails sur ce projet avec Soňa Jarošová, du département Afrique subsaharienne au ministère des Affaires étrangères.
« C’est un projet unique en son genre, aussi bien dans sa forme que dans son contenu. Les participants sont assez atypiques si on les compare à nos invités habituels, car c’est une des rares activités du ministère qui est orientée vers des journalistes, activistes et représentants d’ONG. Cela est lié aux objectifs de ce projet qui a pour vocation de faire passer un message. C’est précisément pour cette raison que nous avons essayé d’identifier des voix africaines qui ont une portée plus grande que celle des personnes avec lesquelles le ministère a l’habitude de traiter. »
C’est la première fois que « Cool Czechia » est organisé. Comment ce projet a-t-il vu le jour ?
« Il y a plusieurs niveaux. Je commencerai par le niveau le plus général, celui de la prise de conscience, non seulement de la République tchèque mais aussi de l’ensemble de l’Occident, et des pays européens en premier lieu, à savoir qu’il nous faut modifier notre approche des pays du Sud global. Le moment déclencheur de cette prise de conscience a été l’agression de la Russie contre l’Ukraine, à la suite de laquelle nous avons tous été étonnés au sein des forums internationaux par le vote des pays du Sud global comme on les appelle – dont les pays africains – dans les résolutions ukrainiennes. Il y a donc vraiment eu un moment déclencheur lorsque des pays comme l’Allemagne et d’autres se sont rendu compte que quelque chose n’allait pas. »
« La manière de communiquer est une des choses qui ne va pas, et ce n’est d’ailleurs pas nouveau. Atteindre les dirigeants et les classes supérieures est une chose, mais il y a aussi les populations auxquelles nos messages ne parviennent pas. Nous voulons donc leur expliquer notre position vis-à-vis de l’Ukraine et de l’agression russe. Faire passer ce message est extrêmement délicat. C’est aussi un sujet qui est instrumentalisé de manière très habile par la Russie. Celle-ci a tout un agenda de communication dirigé contre l’Occident dans ces pays-là. Ce séjour d'une vingtaine de jeunes activistes, journalistes et représentants d’ONG africains peut donc être considéré comme une réaction au narratif russe. »
Comment les participants ont-ils été choisis ?
« Ils ont été identifiés par le biais de nos ambassades sur le territoire africain. Nous avons tenu à ce qu’il y ait un nombre égal d’hommes et de femmes, et nous avons effectivement réussi à faire venir à Prague dix jeunes femmes du Nigéria, d’Algérie, de la Zambie ou encore, par exemple, du Kenya… »
Pourquoi ne trouve-t-on pas dans ce groupe de représentants de pays francophones d’Afrique de l’Ouest ?
« D’abord parce que le programme se déroule en anglais. Un des critères d’identification était que les participants puissent communiquer et passer le séjour ici en anglais. D’autre part, la République tchèque est sous-représentée en Afrique occidentale et dans les pays francophones. »
La volonté du ministère étant donc de faire entendre la voix tchèque dans le contexte de la guerre en Ukraine et de l’influence croissante de la Russie en Afrique, quel programme a-t-il donc été mis sur pied ?
« Nous avons veillé à établir un construire un programme de façon à ne pas pouvoir être traités de propagandistes. Notre volonté n’est pas de les convaincre, mais d’expliquer notre contexte, notre expérience historique et notre mentalité pour qu’ils puissent mieux comprendre notre position sur du conflit et sur d’autres sujets. »
« Ce que nous souhaitons, c’est leur faire découvrir notre expérience historique, notre culture, notre système politique et nos valeurs, pour qu'ils comprennent notre interprétation et vision de l’actualité politique. C'st pourquoi nous avons voulu leur présenter nos institutions. Ils ont ainsi été reçus au ministère des Affaires étrangères, ont rencontré des représentants du Parlement et ont été reçus au bureau du président de la République. »
« Etant donné qu'il s'agit des personnes actives dans les médias – nous avons des journalistes, des membres de différentes ONG en Afrique –, nous avons aussi tenu à leur présenter notre paysage médiatique et certaines de nos ONG. Nous avons pu collaborer à ce titre avec Člověk v tísni [People in Need]. Nous avons toute une série de débats centrés sur le rôle des ONG au sein de la société civile. »
« Nous avons également un programme culturel, notamment la projection du film 'Kolya' avec une organisation (Some like it Czech) qui accompagne les projections de films tchèques de commentaires explicatifs. Il s’agit là du programme à Prague ; la seconde partie de l’événement se déroule, elle, à Telč. Cela permet aux participants de sortir de la capitale. Ils seront logés au centre universitaire de l’Université Masaryk de Brno et participeront à une série de séminaires. »
Les conflits sont également multiples sur le continent africain. La semaine dernière Vladimir Poutine a accueilli une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernement africains à Saint-Pétersbourg avec la promesse de livraisons de céréales à six d’entre eux. Par rapport à cela, quelle réflexion menez-vous à Prague sur la nécessité de mieux comprendre aussi la vision africaine des choses dans la relation de ces pays avec la Russie ? Les préoccupations n'y sont forcément pas les mêmes qu’à Prague, Varsovie ou Bratislava.
« Tout à fait. Cela rejoint l’idée que nous ne sommes pas très habiles pour communiquer nos messages, entre autres raisons parce que nous n’avons pas une connaissance assez approfondie des contextes africains. Or, nous ne pouvons pas prétendre connaître un pays seulement par le prisme de ses élites et c'est pourquoi nous entendons nous concentrer davantage sur des acteurs plus 'ordinaires' mais actifs dans leurs sociétés pour qu'ils nous aident à mieux comprendre les défis auxquels font face leurs populations. »
« C’est dans ce sens que le projet 'Cool Czechia' est unique en son genre. Puisque nous estimons ne pas avoir une compréhension assez fine du contexte africain, nous espérons à travers ce nouveau type de contacts établir des relations qui nous apporteront cette connaissance. »
Parmi les séminaires qui sont organisés à Telč, figure le partage de l’expérience tchèque avec la Russie. N’y a-t-il pas là le risque de leur présenter un chapitre de l'histoire qui, aux yeux de ces participants afrincains, ne représente pas forcément grand-chose , même si les Tchèques restent, encore aujourd’hui, marqués par l'occupation de leur pays ?
« Non, car c’est une chose que nous pouvons prétendre avoir en commun avec beaucoup de pays africains. Nous avons cette expérience d’une certaine forme de colonialisme avec ce qui était à l'époque l’Union soviétique. Ces quatre décennies sous influence russe nous ont profondément marqués, jusqu'à aujourd’hui même. Il en va de même pour tous les pays africains qui ont subi le colonialisme. Ils peuvent donc comprendre. »
« C’est un point commun que nous essayons de leur présenter comme une 'valeur ajoutée', de manière à coopérer avec un pays comme la République tchèque qui n’a ni passé colonial ni, étant donné sa taille et sa position en Europe, ambitions néocolonialistes. Cette expérience commune, dans une certaine mesure, peut, nous en sommes persuadés, faciliter nos échanges et contribuer à une confiance mutuelle. »