Dana Drábová : « Les conséquences de Tchernobyl en République tchèque sont négligeables »

Pour Dana Drábová, la directrice de l’Agence tchèque pour la sécurité nucléaire, la catastrophe nucléaire au Japon n’aura pas d’impact en Europe. Mais d’après les experts, les fuites radioactives encore en cours dans la centrale de Fukushima ne représenteraient que 10% de celles émises à Tchernobyl, en 1986. Un événement qui appartient déjà à l’histoire mais qui n’a pas fini d’alimenter les fantasmes.

Dana Drábová
Bonjour Dana Drábová. Aujourd’hui, a-t-on pu clairement évaluer l’impact de la catastrophe de Tchernobyl sur la République tchèque ?

« Nous sommes convaincus que nous connaissons l’étendue des conséquences de Tchernobyl en République tchèque. Le niveau des radiations a été mesuré et a donné des taux très bas, proche de celui que l’on trouve habituellement en milieu naturel. L’impact de Tchernobyl sur le territoire tchèque est donc négligeable. Les Tchèques ont eu et ont toujours du mal à le croire. C’est là la conséquence directe du manque de communication et de transparence sous le communisme ».

La catastrophe de Tchernobyl
« En 1986, il y avait peu d’information. Durant les journées qui ont suivi la catastrophe, les gens recevaient des nouvelles de Radio Europe Libre (Radio Free Europe) et d’autres radios étrangères mais les faits se contredisaient et personne ne savait démêler le vrai du faux ».

« Dès le début, nous avons pu mesurer et estimer le taux de radioactivité. J’y ai d’ailleurs participé personnellement puisque je débutais alors ma carrière. Malheureusement, aujourd’hui encore, la plupart des gens sont convaincus que le niveau de radioactivité aurait pu avoir un impact la santé de la population. Ce n’est pas le cas. Et d’ailleurs, je doute qu’en France, les conséquences aient été différentes ».

Aucune chance donc que nous mangions des fruits ou des légumes radioactifs, en République tchèque comme en France ?

« Nous avons eu affaire à un cas intéressant, en relation avec l’actualité puisque le même problème s’est produit au Japon. Il s’agissait de la contamination d’épinards de printemps par des éléments radioactifs. La solution fut très simple car ces épinards étaient surgelés et ils n’étaient pas encore passés dans le circuit de distribution commerciale. Durant la congélation, la radioactivité avait disparu. Ce cas de contamination par des iodes radioactives a été résolue de la même manière au Japon ».

Le rideau de fer a-t-il fait une différence concernant les retombées de Tchernobyl ?

« Les retombées de Tchernobyl ont été beaucoup plus importantes en Autriche qu’en Tchécoslovaquie même si elles n’ont pas causé de dommage direct. Altitude oblige, ce sont les Alpes qui ont capté une grande partie de la radioactivité. Aujourd’hui, certains niveaux de radiation sont enregistrés en République tchèque mais ils proviennent des missiles de défense utilisés dans les années 1960. Ces missiles avaient créé des retombées atmosphériques. »

« Pour Tchernobyl, il n’y a aucun risque, d’autant plus qu’aujourd’hui le facteur temps, qui joue un rôle très important, a pu déjà produire ses effets depuis 25 ans. Et n’oublions pas que presque un millier de kilomètres nous séparent de Tchernobyl. La surveillance d’Etat de la sécurité nucléaire a une longue histoire, d’environ 50 ans. Dès que l’idée de construire une centrale nucléaire en Tchécoslovaquie fut émise, c’était en 1955, des outils de base avaient été mis en place pour réguler les risques ».

Existaient-ils des contacts entre chercheurs tchèques et occidentaux sous le communisme ?

Photo illustrative: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.
« Oui, les contacts avec les Soviétiques n’étaient pas les seuls que nous avions dans le domaine nucléaire. Il était indispensable, même durant la période communiste, d’entretenir des contacts avec l’étranger. La discipline repose en effet sur le partage des expériences. Le rideau de fer était donc beaucoup plus perméable que pour les autres affaires. Il n’existait pratiquement pas dans le domaine de la recherche nucléaire. »

« Dès l’époque communiste, la Tchécoslovaquie collaborait très activement au niveau des organisations internationales pour l’énergie nucléaire. On le sait peu mais le premier président de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique était tchécoslovaque, slovaque plus exactement. En 1957, la Tchécoslovaquie faisait partie des Etats fondateurs de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique. Dans ce contexte, de nombreux contacts ont pu être noués. »

« Par ailleurs, notre infrastructure a tiré quelques bénéfices de la collaboration soviétique. Grâce à la construction de réacteurs à pression d’eau de plan soviétique, nous avons été très vite capables de hisser nos centrales aux standards occidentaux après 1989. Mais encore une fois, à l’intérieur du Bloc soviétique, le niveau technologique était comparable avec ce qui se faisait à l’Ouest. Beaucoup de gens ne le réalisent pas. »

En 1949, l’URSS se dote de la bombe atomique. La Tchécoslovaquie a-t-elle envisagée de devenir une puissance nucléaire militaire sous le communisme ?

« Non jamais. Depuis le début, notre programme était déclaré comme étant pacifique. »

Et vous pensez que ce sera toujours le cas ?

« Oui je le pense. Si de plus en plus d’Etats, en dehors de ceux qui y ont été officiellement autorisés, se dotent de l’arme nucléaire, c’est tout le système de l’équilibre international qui s’effondre. Concernant la République tchèque, c’est donc hors de question. »

« Quel que soit le nombre d’Etats qui essaient de se procurer la bombe atomique, il s’agit là d’une grave remise en cause l’ensemble de la sécurité globale. C’est pourquoi nous restons préoccupés par certains pays, comme la Corée du Nord ou l’Iran. La tendance devrait être la suivante : essayer de se concentrer sur les cinq pays qui disposent légalement de la bombe et faire en sorte qu’ils donnent l’exemple en s’en débarrassant. Cela devrait aller dans ce sens et pas dans l’autre. La République tchèque a toujours suivi cette ligne et fut parmi les premiers pays à signer et à ratifier le traité de non prolifération nucléaire. »

Loin d’être alarmiste, Dana Drábová évoque donc une situation post-communiste ne présentant a priori pas de danger dans le domaine nucléaire. Bien sûr, elle l’admet elle-même, il faut constamment essayer d’améliorer les protections. Les événements au Japon le prouvent tragiquement.