« Fresh Memories : The Look » : un film en réalité virtuelle au cœur de la guerre en Ukraine
Seriez-vous capable de soutenir le regard de ceux qui ont tout perdu ? C’est la question que pose le film « Fresh Memories : The Look ». Ce court métrage tchéco-ukrainien transporte les téléspectateurs au moyen de la réalité virtuelle jusqu’à Kharkiv. Le public se retrouve alors face à face avec ses habitants, au milieu des décombres et des infrastructures touchées par la guerre.
Une salle de classe vide, un hôpital qui n’est plus, ou encore une salle de bain dont le plafond s’est effondré sont des lieux parmi d’autres dans lesquels le public est transporté via la réalité virtuelle. A chaque endroit, un habitant se tient debout, immobile, et fixe longuement le spectateur du regard. Le film « Fresh Memories : The Look » se concentre sur les histoires de gens ordinaires touchés par l’invasion russe de l’Ukraine. Réalisé par Ondřej Moravec et Volodymyr Kolbasa, les scènes ont été tournées à Kharkiv, l’une des villes les plus impactées par la guerre.
Par le simple regard de ces habitants, les deux réalisateurs ont souhaité transmettre les émotions de ceux se trouvant au cœur de la guerre aux spectateurs. La similitude avec la performance « L’artiste est présent » par l’artiste conceptuelle de renommée mondiale Marina Abramović n’est pas accidentelle, comme l’explique le réalisateur Ondřej Moravec :
« Le film est inspiré par la célèbre artiste Marina Abramović, qui a créé le concept dans une galerie durant lequel les visiteurs devaient fixer son regard. Ils s’agissaient des émotions qui pouvaient se jouer entre eux. Nous nous demandions donc comment cela fonctionnerait quand nous déplacerions ce concept vers l’espace virtuel, vers la réalité virtuelle et, ce, connecté à un sujet aussi spécifique et lourd que la guerre en Ukraine. Et je crois que cela a bien fonctionné et la réponse des visiteurs est très émouvante. »
Présenté au prestigieux festival de cinéma américain South by Southwest (SXSW) en mars dernier, le film peut à présent être visionné au musée DOX, à Prague. Déstabilisant, le regard de ces Ukrainiens peut évoquer divers sentiments pour les visiteurs. Le désespoir, le chagrin ou l’espoir, chacun est libre d’interpréter à sa manière cette expérience, comme le détaille le réalisateur :
« Beaucoup de gens déclarent qu’ils se sentent beaucoup coupables même s’ils ne savent pas pourquoi. Puisque personnellement, ils ne peuvent rien faire, mais ils ressentent du chagrin et de la tristesse en lien avec ce qu’il se passe et ils ont l’impression qu’ils ne peuvent rien faire pour améliorer la situation. C’est ce qu’une femme a dit quand nous avons présenté le film aux États-Unis au festival South by SouthWest. Elle a dit qu’elle ne voulait pas regarder les habitants dans les yeux parce que c’était trop difficile pour elle. Mais elle s’est rendue compte que les personnes en Ukraine n’ont pas le choix de voir ou non ce qu’il se passe dans le pays, alors elle a bien voulu les regarder. C’est une bonne réflexion selon nous, c’est la façon dont cela devrait être vu ou du moins, ce que cela devrait évoquer en nous. »
L’expérience est encore renforcée par le fait que tout se déroule sans paroles. Seuls les sons des scènes de vie qui se déroulaient avant la guerre sur les lieux en questions résonnent : le bruit des machines de l’hôpital ou des enfants jouant sur un terrain de jeu, bien qu’il n’y ait que des ruines tout autour. A la fin du court-métrage, un chant ukrainien retentit.
Après plus d’un an de conflit, le film n’avait pas pour vocation de faire connaître la guerre en Ukraine mais plutôt de faire en sorte qu’elle ne soit pas oubliée, comme l’explique le réalisateur :
« Nous sommes constamment entourés par les images de la guerre, c’est difficile, c’est lourd, nous essayons de ne pas trop les voir mais il s’agit de quelque chose que nous devrions retenir. La guerre n’est pas terminée, elle est toujours là et a des conséquences réelles. Je crois que c’est important parce que chaque fois que nous oublions ces choses, elles nous rattrapent de toute façon. »
Ondřej Moravec n’en est pas à son premier film en réalité virtuelle. Son court métrage Darkening, évoquant le sujet de la santé mentale, avait notamment été nommé aux prix des Lions tchèques 2023. Un autre projet se dessine pour le réalisateur puisque « Fresh Memories : The Look » comportera une seconde partie, un documentaire interactif intitulé « The Dive », en cours de création, et dans lequel les spectateurs feront, une nouvelle fois, face aux horreurs de la guerre.
« Je pense qu’il est logique de créer ce lien émotionnel avec des personnes vivant dans un pays différent, mais qui ont des liens émotionnels très forts avec nous. Parce que nous, en Tchéquie, avons aussi eu cette expérience de l’invasion russe. Je crois donc qu’il est important de le rappeler.”
Le film « Fresh Memories : The Look » peut être visionné au musée d’art contemporain DOX à Prague, et ce jusqu’au 4 juin.