De nouveaux développements dans l’affaire de Vrbětice
L’actualité étant en grande partie monopolisée par la pandémie certains sujets pourraient sembler avoir disparu. Ce n’est pas le cas de l’affaire de Vrbětice, dont l’enquête est toujours en cours. On fait le point sur les avancements de cette histoire retentissante qui a tendu encore davantage les relations entre Prague et Moscou.
Le 17 avril 2021, à l’occasion d’une conférence de presse aussi hâtivement convoquée qu’inattendue, l’ancien Premier ministre Andrej Babiš annonçait que les services de renseignements russes étaient impliqués dans l’explosion meurtrière de deux dépôts de munitions à Vrbětice (Moravie) en 2014. Identifiés grâce à une enquête du site d’investigation Bellingcat, deux espions russes font depuis l’objet d’un avis de recherche par la police tchèque, et pas n’importe lesquels : il s’agit en effet d’Alexander Michkine et Anatoli Tchepiga, deux agents du GRU célèbres dans le monde depuis l’affaire de l’empoisonnement au novitchok de Sergueï Skripal en Angleterre en 2018. Selon la presse tchèque, les deux hommes se sont rendus en Tchéquie sous de fausses identités quelques jours avant la première explosion d’octobre 2014, munis de passeports moldave et tadjik.
Ces révélations sur l’implication d’un service de renseignement russe, et pas des moindres puisque le GRU est pointé du doigt par l’Europe et les Etats-Unis pour ses activités de sabotage, de subversion ainsi que des assassinats et tentatives d’assassinats, avaient eu l’effet d’un coup de tonnerre en République tchèque, entraînant l’expulsion de plus de 80 diplomates russes, dont nombre d’entre eux étaient par ailleurs soupçonnés d’être eux-mêmes des agents.
S’il est improbable que les autorités russes livrent les deux agents recherchés, l’affaire de Vrbětice n’est de loin pas terminée pour les enquêteurs tchèques : ceux-ci cherchent en effet à déterminer quelles personnes ont pu aider les deux hommes dans leur méfait. Selon de récentes informations de la Télévision tchèque, ils s'intéressent notamment aux contacts possibles entre un employé d’Imex Group, la société chargée de gérer les entrepôts et montrée du doigt pour ses défaillances au niveau de la surveillance, et des agents du GRU. L'homme en question s’appelle Nikolaï Shaposhnikov, un ancien soldat de l'armée soviétique, que deux reporters de la Télévision ont retrouvé à l’étranger.
Comme le précise le journaliste d’investigation bulgare, Christo Grozev, qui pour le collectif Bellingcat a pu retracer les déplacements des agents russes jusqu’à Vrbětice, Nikolaï Shaposhnikov était en voyage au Portugal quelques jours avant l’explosion. Or un autre homme, le général Andreï Averyanov qui s’avère être le supérieur hiérarchique des deux agents du GRU, s’y trouvait également. Lors des révélations liées aux explosions de Vrbětice, Christo Grozev avait déroulé le fil des événements :
« L’opération a débuté en septembre 2014. Les premiers membres de l'équipe GRU ont déménagé en Suisse le 25 septembre. Nous avons eu leurs billets – en aller simple, soit dit en passant. Ils ne savaient pas quand il reviendrait. Ensuite, le responsable de l'unité 29155, Andreï Averyanov, est apparu au Portugal, où il est resté pendant un certain temps, puis après un passage en Russie, il est arrivé à Vienne, où il a atterri le 14 octobre. C'est une journée clé et beaucoup de choses se sont passées pendant cette journée. Le 14 octobre, Alexander Michkine et Anatoli Tchepiga ont déménagé de Prague à Ostrava, où ils ont réservé un logement sous les faux noms de Petrov et Bosirov. Au même moment, un autre membre de cette unité a loué une voiture à Vienne et est parti. Notre hypothèse est qu’il est parti pour la République tchèque avec le responsable de l’unité 29155. »
Le procureur régional Martin Malůš a confirmé une des orientations de l’enquête sur les personnes soupçonnées d’avoir, au minimum, fourni une assistance aux agents russes. Dans cette optique, l’employé du groupe Imex Nikolaï Shaposhnikov apparaît comme un personnage-clé pour les enquêteurs – de par sa présence au Portugal au même moment que le général Andreï Averyanov et le fait qu’il se soit trouvé en République tchèque au moment des explosions, alors qu’il vit en Grèce depuis de nombreuses années. Interrogé par la Télévision tchèque, il a démenti toute implication ou toute connaissance des agents russes.
L’autre développement récent en lien avec l’affaire de Vrbětice mène jusqu’au Château de Prague : selon la Radio tchèque et l’hebdomadaire Respekt, la police cherche à savoir pourquoi le rapport secret des services de renseignement tchèques (BIS) sur l’implication des deux agents du GRU, transmis au président tchèque Miloš Zeman plusieurs jours avant que l’information n’ait été rendue publique, a été détruit.
A l’origine, les enquêteurs s’intéressaient à la question de savoir si le rapport secret avait été vu par une personne de l’entourage présidentiel direct, sans habilitation de sécurité. Contrairement à l’usage, deux de ses plus proches conseillers en sont en effet dépourvus. Lorsqu’ils ont demandé à voir le document, les enquêteurs tchèques se sont vus signifier que celui-ci avait été détruit « par erreur ».
Si le Château de Prague a nié avoir commis une erreur dans le traitement d’un document classifié, l’ancien porte-parole du Château de Prague sous la présidence de Václav Havel Michael Žantovský a noté que la gestion des documents classifiés était soumise à des règles strictes et qu’une destruction « par erreur » était impossible, soulevant la question d’une infraction. La question de destruction présumée du document secret devrait être au cœur de la réunion de jeudi de la commission parlementaire de sécurité.