Des messages féministes sur les murs de Prague

Photo: Instagram de Plakátujem Prahu

Depuis quelques mois maintenant, des slogans féministes recouvrent les murs de la capitale tchèque, initiés par un nouveau collectif de jeunes femmes. Nous sommes allés interroger deux de ses membres : l’une est étudiante à Bordeaux et la seconde est en sciences de l’audiovisuel à Prague. Toutes deux souhaitent rester anonyme.

Alors qu’il existe très peu de mouvements féministes en République tchèque, depuis quelques mois maintenant, ce nouveau collectif qui ne porte pas de nom s’est lancé dans des collages visant à dénoncer le sexisme, comme cela se fait dans d’autres pays d’Europe. Née en septembre 2019 à Paris, cette idée a déjà fait des émules en province, au Portugal et ailleurs. Aujourd’hui, c’est au tour des féministes tchèques de s’en inspirer.

Photo: Instagram de Plakátujem Prahu

Commencement

« Quand j’étais à Bordeaux, j’en ai entendu parler grâce à des amies. Il y avait des collages partout et j’ai entendu que ça avait commencé en septembre à Paris. J’ai trouvé que c’était un projet intéressant. On a commencé à faire ça à Prague grâce à une amie de Bordeaux qui est venue à Prague car elle était en Erasmus. On a fait une réunion, on était seulement trois filles. On a discuté de sujets, de ce qu’on voulait créer comme slogans. »

Certaines fois, les collages restent plusieurs jours sur les murs, d’autres sont arrachés dès le lendemain. En effet, il arrive que des slogans ne plaisent pas à tous.

Photo illustrative: Wiktorija Borodinowa/Pixabay,  CC0

T. : « Une fois on a collé un slogan en anglais, c’était ’7000 femmes sont violées en République tchèque chaque année’ et quelqu’un a retiré le numéro 7. Donc on a trouvé ça bizarre, car ça faisait 0 femme victime de viols. »

Parmi les slogans, certains sont donc en anglais. Elles nous ont expliqué avoir fait ce choix pour gagner en visibilité, pour que les étrangers puissent également comprendre.

Interrogées sur le futur de leur organisation et de leurs projets, elles souhaitent agir pour la lutte féministe mais également en faveur de la justice sociale.

Photo: Instagram de Plakátujem Prahu

V. : « Je voudrais former une organisation comme ça, mais je ne sais pas si ça serait une organisation féministe ou une organisation orientée vers la justice sociale parce qu’il y a beaucoup de problèmes qui ne sont pas discutés dans notre société. »

T. : « Ce qui m’intéresse c’est de rejoindre le groupe Konsent (www.konsent.cz), de faire avec eux quelques workshops. »

En effet, de nombreuses inégalités et stéréotypes perdurent. Pourtant, aucune discussion n’a lieu sur ces sujets-là.

Source: Prentsa Aldundia,  Flickr,  CC BY-SA 2.0

Me too

V. : « Ca dépend des problèmes qui sont soulevés dans la société. Par exemple, en France, j’ai vu le mouvement Me Too, mais ça n’existe pas en République tchèque. Le problème n’existe pas donc la solution n’existe pas non plus. »

T. : « Je pense qu’il y a des femmes qui ont parlé dans l’espace public mais elles étaient souvent ignorées ou les réponses des autres sur les réseaux sociaux étaient agressives. Les gens se sont dit que puisque maintenant on avait Me Too, tout le monde allait parler de choses qu’ils ont imaginées. »

Pendant notre rencontre, les deux étudiantes ont également fait référence au réalisateur Jiří Strach qui a publié une photo de lui avec un t-shirt portant l’inscription ‘Je suis Weinstein’. Par ailleurs, le cinéma est loin d’être un domaine épargné par les stéréotypes sexistes, puisque selon l’une d’elles, qui fait des études d’audiovisuel, la République tchèque est rétrograde.

Photo: Instagram de Plakátujem Prahu

V. : « Pour ce qui est des films, on a d’après moi un problème grave ici. Je dirai qu’on a les films les plus sexistes du monde, parce qu’il y a beaucoup de films qui se focalisent sur des relations où les femmes sont sexualisés, et leur seul but est de trouver un homme et d’être avec pour le restant de leur vie. »

De manière plus générale, nos interlocutrices regrettent que la situation des femmes en République tchèque ne soit pas un sujet suffisamment abordé :

T. : « Moi aussi avant je me disais qu’il n’y avait pas beaucoup de problèmes et quand j’ai commencé à faire les collages, à me renseigner en qui concerne les viols, le harcèlement sexuel, j’ai vu que c’était toujours un problème. Par exemple, il y a 7000 femmes qui sont violés chaque année en République tchèque mais seulement 2% des violeurs qui sont condamnés. Il y a aussi la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe qui n’a pas acceptée. Elle a été signée par la République tchèque mais elle n’est pas encore ratifiée. »

V. : « Il y  a beaucoup de gens qui sont contre la convention d’Istanbul car ils pensent qu’il n’y a pas de problème. Je ne connais pas une femme qui n’a pas expérimenté un acte sexiste. Chaque femme vit une expérience de sexisme. »

Ce sont donc, en partie, les raisons qui les poussent à faire ces collages. Mais c’est aussi l’occasion de rencontrer d’autres personnes, de discuter de leurs vécus et d’écouter des témoignages.

Photo: Instagram de Plakátujem Prahu

T. : « Avant on n’en parlait pas entre nous, ou pas si souvent. Maintenant on fait des réunions, on discute des slogans, de ce qu’il se passe en République tchèque et dans le monde.  Et c’est aussi, ce qui est important je pense est que pour les gens qui ont déjà été victime d’harcèlement ou de viol, c’est un moyen d’exprimer leur colère en collant les slogans dans les rues. »

V. : « Pour moi, ça a toujours été très important de lutter contre l’injustice sociale. J’aime l’acte de lutter contre quelque chose qui est injuste. Ce n’est pas vraiment facile en République tchèque. J’aime aussi l’idée d’être réunie avec d’autres femmes, d’être un collectif. »

Photo: Instagram de Plakátujem Prahu

Car si beaucoup croient que le sexisme est dépassé, les chiffres montrent pourtant l’opposé. Il reste de nombreux mythes à déconstruire autour des violences. Contrairement aux croyances, 90% des viols sont commis par une personne de l’entourage, comme un voisin, un supérieur, un ami, ou par le partenaire. Et contrairement à une autre idée reçue, les fausses accusations représentent entre 6 et 10% du nombre total de plaintes, ce qui correspond plus ou moins la proportion de fausses accusations pour les autres crimes.

Marie Mrvová, qui travaille au Centre de Gender Studies à Prague, nous a expliqué les difficultés que les militantes féministes pouvaient rencontrer malgré une récente progression des idées féministes chez les jeunes.

« Nous avons encore beaucoup de problèmes. Généralement, le discours qu’on entend est que nous avons atteint l’égalité et que nous n’avons donc plus rien à réclamer. Et nous avons du mal à combattre ce discours. C’est peut-être la raison pour laquelle des mouvements comme Me Too ne sont pas acceptés, que la Convention d’Istanbul n’est toujours pas ratifiée et que le féminisme est toujours black-listé ».

« Il n’a que très peu de personnes qui adhèrent au féminisme et qui se considèrent comme féministes, et il y a encore moins d’activistes féministes. Selon moi, il y a un grand fossé générationnel, les jeunes gens sont de plus en plus investis pour l’égalité, les droits humains, pour les droits des personnes LGBT. Mais il reste beaucoup de travail à faire, c’est un long processus. »

Pour plus d’informations, rendez-vous sur leur page Instagram https://www.instagram.com/plakatujem_prahu/?hl=fr

et sur le site https://genderstudies.cz/