Des œuvres disparues de Gertrud Kauders, assassinée par les nazis, données au Musée juif de Prague
En 2018, des centaines de toiles de l’artiste Gertrud Kauders (1883-1942) ont été découvertes par hasard lors de la démolition d’une vieille maison près de Prague. Aujourd’hui, une partie de ces œuvres de la peintre d’origine juive, assassinée par les nazis a fait l’objet d’une donation au Musée juif de Prague par ses proches.
Des centaines d’œuvres qui ont échappé à la folie destructrice du régime nazi, mais dont l’auteure, elle, n’en a pas réchappé. Après l’occupation de la Tchécoslovaquie par les armées hitlériennes en 1939, Gertrud Kauders demande à une amie, Natálie Jahůdková, de dissimuler son œuvre : celle-ci accepte de cacher toiles, dessins et esquisses dans sa maison alors en construction à Zbraslav, à côté de Prague. Et c’est là que ce trésor pictural est resté jusqu’à ce qu’un nouveau propriétaire, proche de la famille de Natálie Jahůdková, ne décide de faire démolir la maison désormais abandonnée.
Si Natálie Jahůdková est morte en 1977 sans jamais révéler l’existence de cette œuvre, c’est le hasard de ces travaux qui met au jour l’œuvre de Gertrud Kauders. Michaela Sidenberg est conservatrice au Musée juif de Prague, elle nous en dit plus sur cette découverte :
« Au départ, les ouvriers ont parlé de 30 peintures qu’ils avaient trouvées, des peintures sur toile mais non tendues. Mais il s’est avéré par la suite qu’il y avait près de 700 œuvres de Gertrud Kauders. Il y a surtout des dessins, parce que c’était en fait tout le contenu de son atelier au moment où elle a décidé de le transférer dans la maison de son amie. Il y a donc beaucoup d’esquisses, beaucoup d’œuvres inachevées, beaucoup de peintures figuratives. Elle était également une excellente portraitiste. Elle a peint beaucoup de portraits de ses amis, principalement des amies d’ailleurs, mais aussi des membres de sa famille. Il y a aussi des paysages, donc beaucoup d’aquarelles et de dessins au pinceau à l’encre de Chine. »
Gertrud Kauders est née à Prague le 26 avril 1883. Etudiante auprès du peintre Otakar Nejedlý, elle expose ses œuvres figuratives dès 1924 à la galerie du Rudolfinum.
« Gertrud Kauders était une artiste extraordinaire. Elle représente la génération plus ancienne d’artistes féminines qui ont commencé à être actives à Prague, au tournant du siècle. Elle n’a pas pu étudier à l’Académie des Beaux-Arts car les femmes n’y ont été admises qu’à partir des années 1920. Finalement, elle a fait des études à Munich dans une académie destinée aux femmes. Elle a poursuivi sa carrière artistique en allant faire des études à Paris, avant de revenir à Prague. Déjà artiste accomplie, elle a fini par pouvoir entrer aux Beaux-Arts dans la capitale tchèque et étudier justement avec Otakar Nejedly dans son atelier d’art paysagiste. »
En 1942, Gertrud Kauders est déportée au camp de Theresienstadt, où ont été emprisonnés d’innombrables artistes. Très vite, elle est envoyée au camp de concentration de Majdanek en Pologne, où elle est assassinée.
Des dizaines d’années plus tard, donc, son œuvre est redécouverte : mais il faudra attendre 2019, lorsque les descendants du neveu de Gertrud Kauders, qui s’était réfugié en Nouvelle-Zélande, entendent parler de l’histoire de ces peintures.
Au terme d’une enquête menée le photographe néo-zélandais Amos Chapelle et d’une journaliste tchèque, ils sont finalement invités à découvrir le trésor retrouvé : ce ne sont pas les 30 œuvres découvertes en premier par les ouvriers, mais finalement des centaines et des centaines d’œuvres qui ont été extraites des murs de la maison. 700 en tout, dont 380 rejoignent désormais les collections du Musée juif de Prague, comme le détaille Michaela Sidenberg :
« Je pense que la famille a décidé d’en garder quelques-unes en souvenir de Gertrud, car la découverte des tableaux a été un moment très émouvant. Mais je pense que la plupart des œuvres d’art seront distribuées à des collections publiques. En effet, le Musée juif de Prague va en recevoir la plus grande partie. Pour le reste, je crois que cela sera réparti entre certaines institutions américaines, telles que le Musée de l’Holocauste à Washington DC et le Musée juif de New York. Et une partie ira là où vit la famille, c’est-à-dire à Wellington, en Nouvelle-Zélande, au musée Te Papa. »
Cette importante donation au Musée juif de Prague va permettre à l’institution de conserver cette collection et à terme, d’organiser une exposition afin de faire découvrir aux Pragois l’œuvre d’une artiste en quête de reconnaissance, plus de 80 ans après sa mort.